Homélie dimanche 16/10 / Pour les “crises de foi”

 Je peux dire que Dieu a vraiment été bon avec moi ! Jamais il n’a permis que je sois assailli par le doute. J’entends parfois des personnes dire combien la foi est difficile pour elles, j’avoue que, personnellement, du plus loin que je me retourne, je ne vois pas de moments où j’aurais douté. J’en remercie vivement le Seigneur qui avait peut-être perçu que je pouvais être plus faible que d’autres et qui m’a protégé de ce point de vie là. Pour autant, ça ne veut pas dire que, dans ma vie de foi, tout a été toujours comme un long fleuve tranquille ! Je me rappelle notamment ce que j’aime appeler ma « première crise de foi » au moment de l’adolescence. J’étais un fervent supporter de l’équipe de Lyon en foot ; ils s’apprêtaient à jouer un match important en coupe d’Europe, alors j’avais beaucoup prié pour qu’ils gagnent … et ils ont perdu ! Ce moment avait été compliqué pour moi et je m’étais demandé à quoi pouvait bien servir la prière si Dieu n’écoutait pas quand on lui parlait ! Evidemment, avec le recul, ça paraît dérisoire de réagir ainsi pour un match de foot perdu, mais à l’époque, pour moi, ça comptait tellement !

J’ai l’impression que pas mal de crises de foi trouvent leur explication dans une situation similaire, c’est à dire une prière fervente qui n’a pas été exaucée. Du coup, bien des personnes en arrivent à remettre en cause Dieu lui-même, dans sa bonté, voire dans son existence puisque leurs prières ne sont pas exaucées. Moi, je n’étais pas allé aussi loin, j’avais juste remis en cause l’intérêt de la prière. Et puis, en réfléchissant, j’ai compris que Lyon gagne ou perde, ça n’allait pas changer la face du monde, ni le cours de ma vie. Mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Pour ne prendre qu’un seul exemple, lorsque des parents prient pour la guérison de leur enfant très malade ou que des enfants prient pour la guérison d’un de leurs parents très malades, que cette prière soit exaucée ou non change profondément le cours d’une existence. Il nous est tous arrivé de rencontrer des personnes qui nous disent avoir lâché la foi parce qu’elles ont eu le sentiment à une heure décisive de leur vie d’avoir été lâché par Dieu. Devant leur souffrance, reconnaissons-le, nous sommes souvent bien démunis.

Il me semble que les lectures d’aujourd’hui parlent précisément de cela. Evidemment, il ne s’agit pas de chercher des arguments pour convaincre ceux qui auraient lâché la foi à cause de ce sentiment d’avoir été lâché par Dieu. J’accueille ces textes comme une aide qui peut nous être apportée pour que nous tenions bon dans la foi malgré les difficultés et c’est ainsi que nous pourrons aider ceux qui flanchent. Car si nous sombrons avec tous ceux qui sombrent, nous ne leur serons jamais d’une grande utilité.

 Commençons par recueillir l’enseignement de l’évangile dans lequel Jésus raconte une histoire volontairement provocante. Ce juge qui ne craint pas Dieu et qui ne respecte pas les hommes, voilà qu’il va devenir capable de faire du bien à cette femme, une veuve en situation si difficile. Certes, il ne le fait pas pour des raisons très nobles, il espère seulement qu’elle ne viendra plus lui casser les pieds. Mais quand même, il accepte de l’aider pour que justice soit faite, il fait du bien alors que, lui, il est mauvais. La conclusion est facile à tirer : si un homme mauvais peut faire du bien pour des raisons complètement tordues, à combien plus forte raison, Dieu fera-t-il du bien à ceux qui le lui demandent et pour des raisons éminemment justes.

En effet, puisque Dieu est le créateur, le Père de tous et qu’il n’est qu’amour comment pourrait-il se désintéresser d’un seul de ses enfants ? Et, quand Dieu agit, ce n’est pas parce qu’il espère qu’ayant obtenu ce que nous demandions, nous le laisserons enfin tranquille ! C’est tout le contraire ! C’est parce que nous sommes unis à lui par un lien d’amour qu’il agit avec le grand désir que ce lien ne soit jamais rompu. Oui, mais l’expérience nous montre que ce n’est pas si évident que Dieu agisse, il y a tant et tant de prières qui ne sont pas exaucées, vous en avez sûrement eu et vous connaissez des gens qui se sont fermés à la foi à cause de cela.

Eh bien, je crois que Jésus parle aussi de cela dans une phrase assez énigmatique de cet évangile quand il dit : « Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ? » C’est une phrase énigmatique car les traducteurs ont bien du mal à rendre en français le texte originel. Vous savez que le texte des Évangiles a été en grec, mais Jésus, lui, il parlait araméen. Le grec est donc déjà une 1° traduction d’expressions araméennes. Alors quand il faut encore passer du grec au français, il va y avoir des problèmes supplémentaires. Les grands exégètes que j’ai lus pour préparer cette homélie proposent de traduire : Dieu ne ferait-il pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit, même s’il les laisse attendre ? »

Ainsi donc l’explication des prières non-exaucées serait là : on ne peut pas dire que Dieu n’exauce pas, mais il exauce avec sa propre gestion du temps, donc, de notre point de vue, souvent avec du retard. Vous allez me dire que c’est encore pire car lorsqu’on prie pour une guérison, il ne faut pas que Dieu nous fasse attendre car la mort, elle, n’attendra pas. Alors, comment comprendre cette phrase énigmatique ? Je me risque à une interprétation, tout en ayant bien conscience que ces questions sont extrêmement délicates parce que douloureuses. En apportant une restriction à l’action de Dieu, restriction dont la formulation est compliquée, j’ai l’impression que Jésus nous dit : vous ne pouvez pas percer le mystère de l’action Dieu en faveur des hommes et comprendre sa manière de répondre à vos prières. Mais, par contre, il y a une chose que je vous demande, c’est de ne jamais remettre en cause sa bonté. Ce n’est pas parce que vous ne comprenez pas qu’il faut en déduire que Dieu n’est pas bon. Parce qu’alors, si vous remettez en cause sa bonté, votre foi va mourir, d’où sa question : « le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » C’est donc un appel à la foi qui nous est lancé dans cet évangile, qui ne fait qu’enfoncer le clou par rapport à ces derniers dimanches. Vous ne comprendrez jamais tout nous dit Jésus, mas même quand vous ne comprenez pas, surtout ne baissez pas les bras !

 Et, c’est là que la 1° lecture va nous être précieuse. Le livre de l’Exode nous parlait de cet épisode étonnant au cours duquel une rude bataille était engagée contre ceux qui vont se révéler en permanence les ennemis du Peuple de Dieu. Moïse envoie Josué au combat et lui, il monte sur une colline avec Aaron et Hour. Nous avons entendu cette si belle image parlant de l’efficacité de la prière : « Quand Moïse tenait la main levée, Israël était le plus fort. Quand il la laissait retomber, Amalec était le plus fort. » Comme tout le monde, quand Moïse n’en peut plus, il est tenté de baisser les bras, mais les conséquences sont dramatiques.

Alors, une double suggestion est faite à Moïse : 1/ s’asseoir et 2/ de laisser Aaron et Hour lui tenir les bras levés. Voilà peut-être le secret de l’attitude juste quand nous rencontrons des personnes qui n’en peuvent plus, qui sont à deux doigts de laisser tomber la foi, de baisser les bras à cause de leurs prières non-exaucées. Il faut

1/ d’abord s’occuper d’elles, pas chercher à les convaincre que Dieu reste bon, s’occuper d’elles comme on s’est occupé de Moïse en le faisait asseoir, il faut leur faire du bien, beaucoup de bien.

2/ puisqu’elles ne peuvent plus lever les bras vers le ciel dans la prière, c’est à nous de prendre le relai pour elles, comme l’ont fait Aaron et Hour pour Moïse.

Nous ne comprendrons jamais tout de Dieu, de sa manière d’entendre nos prières, mais une chose est sûre, bien des crises de foi pourraient être évitées, si ceux qui les traversent trouvaient autour d’eux des frères, de vrais frères qui leur fassent du bien, beaucoup de bien et qui prennent le relai de la prière devenue impossible pour eux. Comment continuer à croire que Dieu est bon quand tout le monde vous lâche en disant pour se donner bonne conscience : on ne va pas vous voir parce qu’avec toutes vos difficultés, vous devez avoir besoin de calme ! Tu parles, c’est de fraternité qu’on a besoin dans ces moments-là, pas de tranquillité !

En t’accueillant au cours de cette messe, Seigneur, nous te demandons de nous aider à devenir ces frères qui ne lâcheront pas ceux qui vivent déjà la lourde épreuve d’avoir le sentiment d’être lâchés par Dieu. Et nous te demandons de nous donner des frères quand, nous-mêmes, nous traverserons cette épreuve. C’est ainsi que, le fils de l’homme, quand il viendra pourra trouver encore de la foi sur la terre.

Père Roger Hébert