Homélie dimanche 25/09: De grâce plus de morale avec l’Évangile !

 Je crains de plus en plus les discours qui se servent de l’Évangile pour faire des leçons de morale. Et j’ai bien peur que ce dimanche retentissent dans beaucoup d’églises des prêches qui feront la morale aux gens pour leur dire que ceux qui sont riches doivent aider ceux qui sont pauvres. C’est vrai que l’évangile que nous venons d’entendre pourrait se prêter à une telle leçon de morale. Il y a deux raisons pour lesquelles ce genre de discours me met mal à l’aise. La 1°, c’est que ça ne sert à rien. Les leçons de morale qui culpabilisent n’ont aucun effet positif. Quand les gens concernés entendent ça, ils se disent : bon, on va encore en prendre pour notre grade aujourd’hui, alors, mieux vaut fermer les écoutilles et attendre que ça passe !

 Et il y a une 2° raison, encore plus fondamentale, pour laquelle je supporte de moins en moins, c’est que l’Évangile n’a pas été écrit pour faire des leçons de morale. Il n’y avait pas besoin que Dieu envoie son Fils sur la terre pour apprendre aux hommes que l’on doit partager. Le premier Testament le disait de fort belle manière, on a d’ailleurs entendu ces paroles très énergiques de la 1° lecture qui explique le sort que la vie va réserver à ceux qui ne partagent pas. Toutes les sagesses, dans toutes les civilisations et religions le disent aussi. Nous ne devons pas lire l’Évangile comme un livre de morale ou un livre de sagesse parce que Dieu, en envoyant son Fils sur terre, n’a pas envoyé un Sage, il a envoyé un Sauveur. C’est bien différent et surtout, c’est bien mieux ! Attention, je ne dis pas que l’Évangile n’a pas des répercussions sur notre manière de vivre, mais je dis qu’il n’a pas été écrit pour nous apprendre à vivre.

Si je devais donner un titre à ce passage que nous venons d’entendre, je ne donnerai sûrement pas le titre suivant : Lazare et le mauvais riche. Je donnerai plutôt : Dieu et le pauvre Lazare. Souvent quand on commente ce texte, on développe le fait que le riche n’a pas de nom, c’est vrai, mais ce n’est pas étonnant. En effet, dans les paraboles de Jésus, les personnages n’ont jamais de nom. Il y a une seule exception, c’est précisément cette parabole. Il n’est donc pas étonnant que le riche n’ait pas de nom, par contre, il est très étonnant que le pauvre en ait un et quel nom, Lazare ! Quand je vous aurai donné la signification de ce nom, vous comprendrez à quel point c’est étonnant. Retenons donc que ce qui est étonnant, c’est que, dans cette parabole le pauvre ait un nom et que son nom soit Lazare.

Pour comprendre ce qu’il y a de vraiment étonnant, il faut se rappeler, qu’à cette époque, une idée était fermement ancrée dans la tête des gens : la richesse et la santé étaient signe de la bénédiction de Dieu et, à l’inverse, la pauvreté et la maladie étaient des signes de la malédiction de Dieu. Ce pauvre Lazare, j’oserais dire qu’il cumulait les handicaps : il était pauvre et très malade et en plus cette maladie de peau était considérée comme l’une des plus terribles. A cause de son corps recouvert d’ulcères, les gens le regardaient avec autant de dégoût qu’ils regardaient les lépreux. Ses seuls compagnons étaient des chiens et vous savez, à l’époque, les chiens n’étaient pas des gentils toutous qu’on amenait au toilettage ! C’étaient plutôt des chiens errants assez peu sympathiques, mais il n’avait même plus la force de les repousser.

Maintenant, je dois mettre fin au suspense en vous donnant la signification du nom de Lazare ! Dans la langue de Jésus, Lazare signifie : Dieu aide ! Quand les auditeurs de la parabole ont entendu ce nom, ils ont sûrement eu du mal à en croire leurs oreilles ! Vous avez bien compris que ce nom, Jésus l’a choisi tout spécialement. D’habitude, il ne donne jamais de noms aux personnages de ses paraboles, là, il a voulu un nom pour cet homme pauvre, ça signifie qu’il ne l’a pas choisi au hasard. En lui donnant ce nom et surtout en racontant la suite de l’histoire, Jésus a voulu montrer qu’elle est absolument scandaleuse cette idée si répandue qui affirme que Dieu bénit ceux qui sont riches et en bonne santé et qu’à l’inverse, il maudit les pauvres et les malades. On ne peut pas dire non plus que c’est l’inverse car Dieu ne maudit personne. Mais il est clair que ce pauvre, il ne peut être maudit puisqu’il s’appelle Lazare et qu’à sa mort, Dieu déroule le tapis rouge pour l’accueillir. S’il avait été maudit il l’aurait été aussi dans l’éternité.

Vous pourriez me dire : d’accord, tout cela est très beau mais quand même le sort réservé au riche est terrible et puis il y a bien quand même un peu de morale puisqu’il nous est dit que si nous ne partageons pas, nous risquons d’être traités de la même manière. Pour répondre à cela, je dirai que les paraboles sont des histoires bien particulières. Quand on fait des études de Bible, on reste un temps sur les paraboles pour apprendre à les interpréter correctement. On utilise souvent la comparaison avec les fables qui se terminent par une leçon et, dans la fable, c’est la leçon qui est importante à retenir, pas les détails de la fable. Pour les paraboles, c’est pareil ! La leçon, on l’appelle la pointe de la parabole et tous les détails sont au service de cette pointe, il ne faut donc pas forcément trop s’étendre sur les détails. Le sort terrible réservé au riche dans l’au-delà, il n’est là que pour mieux faire ressortir le bonheur dont Dieu est en train de combler Lazare. Si vous voulez, c’est un tableau en noir et blanc. Le noir de la situation du riche n’est là que pour mieux faire ressortir le blanc lumineux de la situation de Lazare qui prouve qu’il n’est pas maudit. D’ailleurs, il y a trois indices qui montrent que si Dieu bénit Lazare, il ne maudit pas le riche. D’abord, Abraham continue à l’appeler mon fils. Ensuite, s’il souffre, ce n’est pas Dieu qui le fait souffrir, c’est lui qui souffre de réaliser tout ce qu’il n’a pas fait pour Lazare. Pour lui, comme pour nous, les plus gros péchés sont des péchés d’omission.  Enfin, il y a le terme qui est utilisé pour désigner le lieu de tortures dans lequel gémit le riche. A cette époque de Jésus, il y avait deux mots pour désigner le séjour des morts, l’un qui évoquait le séjour définitif, la géhenne et l’autre un lieu dans lequel on arrivait à notre mort, l’hadès. Cela signifie que, malgré tous les détails assez inquiétants, le sort définitif du riche n’est encore pas scellé. Et comment pourrait-il en être autrement puisque le nom de Dieu est miséricorde.

Je crois donc que Jésus raconte cette parabole pour effectuer un recadrage : voilà comment Dieu se comporte vis à vis des déshérités de la terre, sous-entendu, il ne se comporte pas du tout comme vous ! Alors me direz-vous, il y a une morale sous-entendu : faites comme lui ! Tirer une telle conclusion, c’est aller un peu vite, c’est sauter une étape. Parce que je ne sais pas comment vous êtes vous, mais moi, je sais que je ne peux pas imiter Dieu. Ça fait un moment que j’ai compris que c’était au-delà de mes forces !

 Non, je crois que, ce que Jésus veut nous aider à comprendre c’est que rien ne changera dans notre vie et plus largement dans le monde si nous ne nous rapprochons pas de lui. Le jour où nous dirons, comme St Paul : ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi, il est clair que nous aurons une toute autre attitude vis à vis de tous les déshérités de la terre. Puisque nous serons vraiment Fils de Dieu, nous nous comporterons comme Dieu vis à vis de Lazare. En effet, ne dit-on pas : tel père, tel fils ? La bonne conclusion de cette parabole, ce n’est donc pas : engagez-vous pour bâtir un monde de frères, mais : approchez-vous toujours plus de Jésus et si vous êtes vraiment liés à lui, naturellement, tout changera en vous et autour de vous. Mes amis, j’imagine que c’est ce que nous voulons profondément puisque nous sommes venus à cette messe. Que nos liens renouvelés et resserrés avec Jésus produisent de beaux fruits tout au long de cette semaine pour que le monde soit un peu plus conforme au rêve de Dieu.

 

Père Roger Hébert