Homélie dimanche 29/01/2017: Pourquoi, les chrétiens, nous ne sommes-nous plus qu’un petit reste ? Et comment sortir de cette crise ?

« Notre jeunesse aime le luxe ; elle est mal élevée ; elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect pour les anciens. Ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. » Ce jugement sur la jeunesse, on pourrait penser qu’il a été écrit ces jours par des personnes qui ont des responsabilités dans le domaine de l’éducation et qui sont fatiguées d’être confrontées en permanence aux difficultés grandissantes du métier. En fait, il n’en est rien, ces réflexions sont de Socrate, rapportées par Platon. C’est dire qu’elles ne datent pas d’aujourd’hui puisque Socrate est né à peu près en 470 avant Jésus-Christ. C’est vrai qu’on a un peu bricolé certaines de ses citations pour en sortir cette formule choc, mais en tout cas si ce n’est pas de lui dans le mot à mot, ça l’est dans l’esprit. Ça ne date pas d’aujourd’hui et pourtant ça reste très actuel.

C’est étonnant comme certaines paroles peuvent traverser les siècles et garder toute leur pertinence. C’est le cas de cette phrase qu’on a entendu dans la 1° lecture : « je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit. » Alors bien sûr, ne nous étonnons pas que la pertinence de la Parole de Dieu traverse les siècles. Mais ce qui peut être étonnant, c’est que la prophétie reste tellement d’actualité pour nous. « Je laisserai chez toi un peuple pauvre et petit. » C’est Dieu qui s’adresse à son peuple par l’intermédiaire du prophète Sophonie. Et cette parole est encore bien plus ancienne que les propos de Socrate, puisque Sophonie a écrit au 7° siècle avant Jésus-Christ et pourtant ça semble écrit pour nous. C’est un peu comme si cette prophétie décrivait la situation de l’Église, aujourd’hui. Regardez le nombre que nous sommes à cette messe et mettez ce nombre en rapport avec le nombre de baptisés qui peuvent habiter chez nous, inutile de faire de grands discours, les paroles de Sophonie sont d’une actualité étonnante : il ne reste plus qu’un peuple pauvre et petit !

Peut-être serait-il judicieux de regarder comment, naguère, le Peuple de Dieu en est arrivé à devenir ce pauvre petit reste. Si nous le comprenons et si nous voyons comment ils ont pu s’en sortir , nous comprendrons peut-être aussi un peu mieux ce qui nous arrive et nous pourrons aussi entrevoir une porte de sortie pour la crise que nous traversons.

Pour comprendre comment le Peuple des hébreux a fini par devenir juste un petit reste, il est nécessaire de faire un peu d’histoire. La Bible nous dit qu’en Égypte, ce peuple de réfugiés est devenu très nombreux. Il est bon de se rappeler qu’au départ ils étaient des réfugiés économiques qui avaient fui les territoires qu’ils cultivaient et sur lesquels ils faisaient un peu de culture à cause d’une grande sécheresse. Installés en Egypte grâce à l’influence de l’un des leurs, Joseph, dont la vie n’avait pas été un long fleuve tranquille, ils vont devenir un peuple nombreux, menaçant pour les Égyptiens, vous voyez l’histoire se répète sans cesse. Pour tenter de réduire leur nombre, des conditions de travail et de vie inhumaines leur sont imposées. C’est ce qui décidera Dieu à envoyer Moïse pour les libérer. Après la traversée épique de la Mer Rouge, coup d’éclat de Dieu en leur faveur, ils passent 40 années difficiles dans le désert. Mais ces 40 ans furent aussi un temps de grâce au cours duquel ils ont appris à compter sur Dieu car dans le désert, il n’y a rien. Dieu seul pouvait les garder en vie.

Avec l’arrivée en Terre Promise, va commencer un temps d’opulence et de prospérité. Le peuple s’installe, cultive la terre, développe ses troupeaux et, très vite va chercher à se doter d’institutions qu’il pense pouvoir le protéger : ils veulent un roi, ils construisent un Temple. On a presque l’impression qu’ils cherchent à mettre Dieu sous contrôle ! En effet, ils sont persuadés que dépendre d’un roi sera plus simple que de dépendre de Dieu, leur laissera plus d’autonomie. La plupart des rois qui les gouverneront seront des scélérats, mais tant pis, c’est le prix qu’ils sont prêts à payer pour cette autonomie. Avoir un Temple, c’est aussi très pratique, parce que Dieu est « géolocalisé » dans le Temple, on s’occupe de Lui mais en dehors, chacun reste libre d’organiser sa vie. Et puis, on sait où le trouver quand ça va mal, on sait comment s’attirer ses bonnes grâce avec le système des sacrifices. Tout baigne ! Du moins en apparence !

Parce que, moins on compte sur Dieu et plus il faut compter sur les hommes et c’est souvent problématique. Etant un tout petit peuple qui croit de moins en moins à la protection de Dieu, ils vont  chercher à faire des alliances avec les super-puissances de l’époque. Mais, quand on est un tout petit peuple et qu’on s’allie avec les super-puissants, on peut dire qu’on programme sa disparition. Et c’est ce qui va arriver. Ce petit Royaume va d’abord être divisé en deux puis, assez vite, le Royaume du Nord avec Samarie comme capitale disparaitra. Le Royaume de Jérusalem connaîtra un sursis, mais il finira par être envahi et sa population déportée à Babylone. C’est un peu avant ce drame que Sophonie prophétise et c’est ce qu’il annonce.

Replacée dans le cadre de l’histoire, finalement la leçon de Sophonie est assez simple : à ne plus vouloir compter sur Dieu, on finira par disparaître. Mais pas disparaître totalement car Dieu reste fidèle à ses promesse. Tout ne disparaitra pas, mais il ne restera pas grand chose, un petit reste, quelques personnes humbles dans le pays, fidèles au Seigneur et à sa loi. Et c’est avec ce petit reste que le Seigneur ouvrira un nouvel avenir, mais il faudra passer par la grande épreuve de l’Exil. Là-bas, loin de chez eux, ils n’auront ni terre, ni roi, ni Temple, ils devront à nouveau apprendre à compter sur Dieu. C’est ce renouveau de la foi qui permettra d’écrire une nouvelle page d’histoire, pleine de promesses. Pleine de promesses, oui, mais jusqu’à ce qu’on oublie à nouveau qu’on doit tout au Seigneur, du coup l’histoire se répètera encore : dès qu’on arrêtera de compter sur Lui, ça sera la catastrophe !

Ne trouvez-vous pas que cette histoire ressemble aussi à la nôtre ? Ne croyez-vous pas que nous aussi, au moins en Europe et plus largement dans le monde occidental, nous avons arrêté de compter sur Dieu ? Et nous l’avons fait pour les mêmes raisons : nous étions devenus puissants, nous n’avions donc plus besoin de Dieu. C’est vrai qu’il y a un siècle, notre Église était devenue très puissante : beaucoup de bâtiments et de propriétés, beaucoup de monde à la messe, beaucoup de prêtres qui quadrillaient le territoire et assuraient aussi une puissance temporelle à l’Église qui ne manquait pas de se faire entendre pour peser dans les décisions. Mais voilà, quand on devient puissant, quand on a tout, on a beaucoup moins besoin de Dieu !

On finit par ne plus compter que sur soi, sur la puissance de l’institution. Alors, bien sûr, de temps en temps, quand ça va très mal, on pousse encore la porte d’une église pour faire  brûler un cierge ! On passe encore à l’église, au moins une fois par an, pour Noël, juste avant le réveillon, en espérant qu’il y aura une belle animation, de beaux chants traditionnels et une messe pas trop longue ! Evidemment, ce n’est pas ce que j’appelle compter sur Dieu !

Du coup, ne nous étonnons pas que, chez nous aussi, il n’y ait plus qu’un petit reste. Et vous en faites partie, vous qui, fidèlement venez à la messe. Mais, attention, ce petit reste pourrait se retrouver encore moins nombreux s’il est plus attaché à la messe dans son village qu’à la messe en elle-même. Car ce qui compte, ce n’est pas l’église de son village, mais c’est la rencontre avec Jésus vivant, une rencontre qui nous permettra de vivre dans la foi tout au long de la semaine et d’apprendre à compter plus sur le Seigneur pour toutes choses.

Face à cette crise, certains ne peuvent supporter que nous ne soyons plus qu’un petit reste, ils sont nostalgiques du temps de la puissance et cherchent comment la retrouver le plus vite possible. Ils essaient donc de sauver les meubles et on voit apparaître deux stratégies complètement opposées, mais aussi stérile l’une que l’autre. D’un côté, il y a les promoteurs d’un retour en arrière. Puisqu’il y a un siècle, on était puissant, eh bien revenons à ce qui se passait, il y a un siècle : remettons en usage la liturgie d’il y a un siècle avec ses fastes, son décorum, sa langue latine, ses costumes, ses règles et tout repartira. C’est insensé, vouloir revenir au temps de la puissance c’est précisément vouloir revenir à ce qui nous a perdus. A chaque fois que l’Église est puissante, elle se suffit à elle-même et compte moins sur Dieu ce qui précipite son déclin. D’autres prêchent pour que l’Église se réforme totalement, ce qui est sûrement nécessaire, mais leur repère n’est pas d’abord l’Évangile, ce qu’ils souhaitent, c’est que l’Église se mette au goût du jour. Ça ne règlera rien non plus. J’aime cette maxime qui dit qu’être dans le vent, ça ne peut constituer un idéal que pour les feuilles mortes !

Donc, ni retour en arrière, ni bond en avant, ce qui nous sauvera, c’est bien plutôt un saut dans la foi. C’est d’ailleurs ce que disait St Paul dans la 2° lecture. Ce dont l’Église a le plus besoin aujourd’hui, c’est de fous ! Oui, vous m’avez bien entendu, des fous qui acceptent de vivre vraiment dans la foi en comptant d’abord sur Dieu pour diriger leur vie. Ceux-là et tous ceux qu’ils entrainent avec eux, ils font partie de ces bienheureux dont parle Jésus dans l’Évangile des Béatitudes. Eux, ils ne prennent plus les repères du monde pour se construire un petit bonheur individuel qui exclut tant de personnes, ils comptent sur Dieu. Puissions-nous être de ceux-là !

Père Roger Hébert