Homélie du 12 juin 2016

S’il y a une chose qui met mal à l’aise un homme, c’est d’être en contact avec une femme qui pleure. Et mesdames, au moins pour un certain nombre d’entre vous, il vous arrive souvent de pleurer, bien sûr quand vous êtes tristes, mais aussi quand vous êtes heureuses, c’est assez souvent que les émotions viennent vous submerger au point qu’elles déclenchent une crise de larmes plus ou moins voyante. Dans cette situation, tous les hommes pourront vous le dire : ils ne savent pas quoi faire ! Du coup, selon le caractère de l’homme et les liens qui l’unissent à cette femme qui pleure, on peut assister à toutes sortes de réactions. Il y a ceux qui font comme s’ils n’avaient pas repéré les pleurs, ça les arrange, comme ça ils n’ont rien à faire, rien à dire. Il y a encore ceux qui s’énervent et qui disent sèchement : tu es ridicule à pleurer comme ça sans arrêt, est-ce que je pleure, moi, pour un oui ou pour un non ? Il y a également ceux qui essaient, souvent maladroitement, de consoler par des paroles ou des gestes de tendresse.

Dans cet évangile, vous l’aurez remarqué, nous sommes en présence d’une femme qui pleure et de deux hommes au moins : Jésus et Simon le pharisien. Regardons l’attitude chacun d’eux.

Cette femme qui pleure, vous l’avez bien compris, c’était une femme de petite vertu, plus ou moins prostituée. Les reportages que j’ai pu voir à la télé m’ont permis de constater que ces femmes, généralement, ont du caractère et peu de sentiments, au moins quand elles exercent leur métier. Il est bien possible qu’en privé, elles connaissent de grands moments de solitude où la honte, le dégoût, la privation de tendresse leur font verser beaucoup de larmes. Alors, justement, dans ce texte, ce qui est étonnant, c’est de voir cette femme pleurer en public. Elle pleure parce qu’elle est en train de faire une expérience étonnante, une expérience qu’elle n’avait encore jamais faite auprès d’un homme et c’est ce qui la fait pleurer de joie, d’émotion.

Avec elle, les hommes ont ordinairement deux types de réactions :

Soit elle se fait remballer. Quand les hommes sont en compagnie d’autres hommes et qu’ils veulent montrer qu’ils sont des hommes bien, ils la remballent. C’est la réaction que Simon, le pharisien aurait aimé trouver chez Jésus. Puisque Jésus est considéré comme un rabbi, c’est à dire un maître religieux, il n’aurait pas dû se laisser approcher par ce genre de femmes !
Quand elle ne se fait pas remballer, elle se fait emballer ! Les hommes seuls sont contents de la trouver sur leur route pour passer un bon moment avec elle. Un moment dans lequel, elle ne sera qu’un objet de plaisir, jamais considérée comme une personne ayant soif d’amour.

C’est pour cela qu’elle ne devait plus pleurer depuis belle lurette, elle s’était endurcie à force de se faire remballer ou de se faire emballer. Mais là, auprès de Jésus, elle pleure parce que, peut-être pour la 1° fois, elle tombe sur un homme qui ni la remballe, ni ne l’emballe. Elle perçoit donc très vite que cet homme correspond bien à ce qu’on lui avait dit.

En effet, si elle est venue, c’est qu’on lui avait parlé de cet homme et elle cherchait à voir par elle-même si ce qu’on disait de lui était vrai. Depuis le temps qu’elle cherchait un homme qui la respecterait, qui pourrait la considérer comme une personne, qui regarderait son cœur et non son corps, bref qui lui permettrait d’exister, de reprendre vie, de retrouver sa dignité … Et voilà qu’elle vient de le trouver, elle est même devant lui. Et la preuve qu’il est unique, c’est qu’elle est à ses pieds, soumise et abandonnée et il n’en profite pas. Nous n’avons donc pas de peine à comprendre pourquoi elle pleure. Je crois que nous pouvons tirer 2 points d’attention pour nous aujourd’hui :

Il peut, à nous aussi, nous arriver d’en avoir marre, d’être remballés ou emballés ; à certains moment, nous pouvons vraiment être fatigués de voir que nous n’existons pas vraiment, que nous ne sommes pas compris ; parfois nous avons la sensation douloureuse d’être toujours utilisés, de n’intéresser les autres que pour ce que nous pouvons leur apporter. Quand nous ressentons tout cela, il est temps de chercher la présence de Jésus et de demeurer en sa présence pour que son regard vienne nous rendre notre dignité. Dans la feuille de ce dimanche, nous lançons un appel pour constituer une nouvelle équipe d’adorateurs, c’est vraiment une belle proposition qui nous est faite que de pouvoir passer une heure en présence du Seigneur. Et nous ne venons pas d’abord là pour lui parler, pour le regarder, mais nous venons pour nous laisser regarder et reconstruire par Lui.

Quand nous rencontrons des personnes qui, elles aussi, sont fatiguées d’être emballées ou remballées, il est urgent que nous puissions les conduire à Jésus. Car, finalement, lui seul a cette capacité de rendre la dignité à ceux qui l’ont perdue, lui seul peut relever ceux qui sont effondrés, consolés ceux qui n’en peuvent plus. Mais comment les conduire à Jésus ? Bien sûr, on peut toujours leur proposer de prier et, dans ces conditions, il vaut mieux prier avec eux, car souvent ils ne savent plus, ils ne peuvent plus prier à cause des épreuves qu’ils ont traversées. On peut toujours leur proposer de venir à la messe, là, c’est sûr, ils rencontreront Jésus qui leur parlera à travers les Ecritures, qui envahira tout leur être par la communion. Mais n’oublions jamais que pour eux, la rencontre avec Jésus se fera d’abord dans la rencontre avec nous. Et cela ne sera possible que si, nous-mêmes nous vivons une grande intimité avec Jésus. Si nous le fréquentons vraiment, quand nous accueillons les autres, nous finissons par les accueillir comme Jésus. Si nous le fréquentons vraiment, quand nous écoutons, quand nous regardons les autres, nous finissons par les écouter et les regarder comme Jésus. Si nous le fréquentons vraiment, nous finirons par devenir miséricordieux comme lui.

Mes amis, il y a tellement de gens blessés qui sont fatigués d’être emballés, remballés qu’il devient de plus en plus urgent que nous, les chrétiens, nous puissions les conduire vers Celui qui est la source de la miséricorde. Et nous le ferons d’autant mieux, d’autant plus spontanément que, nous-mêmes, nous puiserons à cette source de la miséricorde quand nous sommes fatigués d’être emballés ou remballés.