Célébration œcuménique à Bellegarde 2019 (Temple)

Dans l’une des nombreuses interviews qu’il a réalisées sur la Parole de Dieu, un journaliste posa au Cardinal Martini cette question capitale : ” Eminence, qu’est-ce qui vous a poussé à consacrer votre vie à la Parole de Dieu ” ? Et le brillant exégète de répondre que pendant son enfance, il voyait sur une table de leur maison une Bible en latin que personne ne lisait jamais. Puis un jour, il s’est demandé à quoi servait la Parole de Dieu si personne ne la lisait ni la comprenait. C’est depuis lors, ajouta-t-il qu’il a décidé de sy consacrer. En effet, à quoi sert un trésor s’il est enseveli sous les décombres ?

La célébration de ce soir nous conduit au cœur de trois assemblées réunies autour de la Parole de Dieu : d’abord avec le Deutéronome (16, 11-20), ensuite à la synagogue de Nazareth (Lc 4, 14-21), et enfin notre présente assemblée d’églises (Ps 82, 1-8).

La première lecture nous ramène au cinquième livre de la Bible qui s’intitule dans la tradition juive Débarim (paroles). Juste titre qui honore à raison la formule introductive du livre « voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël… », et son contenu qui recueille les révélations de Dieu à son prophète chargé de les transmettre au peuple. Ce sont ces paroles de Dieu que le peuple doit entendre, garder et mettre en pratique, comme le répète le livre, pour en vivre dans la terre promise où il s’apprête à entrer. Elles se présentent donc comme une ultime instruction, après l’histoire fondatrice des patriarches (Genèse), le récit pédagogique de la libération d’Egypte (Exode), les prescriptions pour l’organisation du culte (Lévitique) et les préparatifs de la conquête (Nombres).

Ce Livre nous introduit aussi à la justice, thème retenu pour notre célébration de cette année : JUSTICE & PAIX s’embrassent = chemin d’UNITE.   Jésus nous précise les bénéficiaires et privilégiés de la justice de Dieu.

Jésus dans la synagogue de Nazareth, c’est également la Parole de Dieu qui est au centre de la liturgie synagogale à laquelle Jésus prend part dans sa ville natale. Selon le rituel en usage à l’époque, les juifs pratiquants se réunissaient chaque sabbat dans une salle sans autel contenant une armoire sacrée (en souvenir de l’arche d’alliance) où sont conservés les rouleaux des Saintes Ecritures. L’office consistait essentiellement à faire des prières et à écouter la Parole de Dieu proclamée en hébreu et en araméen, puis commentée (généralement par les pharisiens ou par un autre membre de l’assemblée).

Ce jour-là, le passage présenté au Christ était un extrait du Prophète Isaïe (Is 58,6 ; 61,1-2) désignant les destinataires privilégiés de sa mission : les pauvres, les prisonniers, les aveugles et les opprimés. C’est à ceux-ci qu’est adressé en priorité le message libérateur du Messie. Voilà pourquoi, l’Eglise faillirait gravement à sa mission si elle se rangeait du côté des puissants et des riches en délaissant les pauvres de Dieu. Précisons d’autre part que la libération apportée par le Christ (aphesis) peut se traduire également par pardon. Ce dernier n’est-il pas, en effet, le plus grand pouvoir libérateur que Dieu nous Offre ?

Laujourd’hui de Dieu. En refermant le rouleau du prophète Isaïe, le Christ prononce quelques mots de commentaires : ” Cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit”. Aujourd’hui, ce mot revient plusieurs fois dans le Nouveau Testament pour marquer une intervention salvifique de Dieu. C’était le message des anges dans la nuit de noël : “Aujourd’hui vous est né un Sauveur ” (Lc 2,11). Ce fut également la bonne nouvelle annoncée à Zachée : “Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison  Plus tard, sur la croix, c’est la promesse que le Christ fait au larron repenti : ” Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis” (Lc 23,43).

 

L’aujourd’hui de Dieu c’est le moment de sa grâce, le temps favorable (2 Cor 6,2), le temps où Dieu fait signe : ” Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs”(He 4,7 ; Ps 95,7-8).

L’aujourd’hui de l’homme. Temps privilégié (kairos) accordé par Dieu, “aujourd’hui” est également une occasion idéale pour accueillir son salut dans notre vie de pauvres, de captifs. d’aveugles et d’opprimés.

* C’est aujourd’hui que le Christ vient vers nous les pauvres d’espérance, d’amour et de foi. Il vient combler nos cœurs assoiffés et rallumer notre espoir éteint.

  • C’est aujourd’hui qu’il vient briser les chaînes qui nous maintiennent dans la servitude : les chaînes du péché, des passions, du passé mal assumé et des erreurs qui nous poursuivent.
  • C’est aujourd’hui qu’il vient ouvrir nos yeux d’aveugles errant sur le chemin, pour que nous avancions vers lui dans l’assurance en nous tenant par la main.
  • C’est aujourd’hui qu’il vient nous libérer du joug de l’esclavage que nous nous sommes imposés ou auquel dautres nous ont soumis.
  • C’est aujourd’hui que, poussé par l’Esprit, le Christ vient nous libérer : ne ratons pas notre chance.

 

Cependant, chers frères & sœurs, comment cela se réalisera-t-il, si nous ne nous convertissons pas ? Comment la Justice et la Paix s’embrasseraient-elles si nous ne nous convertissons pas ? Comment l’Unité des chrétiens se fera-t-elle si nous ne nous convertissons pas ?

 

Mais en quoi cela consiste-t-il ?

 

Généralement, en entendant parler de conversion, nous ne nous sentons pas concernés, puisque déjà convertis, n’étant plus ni païens, ni incroyants. Nos cartes semblent en règle avec Dieu et peut-être inconsciemment, nous faisons l’examen de conscience des autres qui, à notre avis, auraient besoin de conversion. Or la pratique religieuse, même fréquente, n’est pas un indicateur de conversion, comme nous le rappelle le philosophe et écrivain français, Jean Guitton dans “Difficultés de croire” : ” le croyant n’est pas nécessairement un converti “.

Voilà pourquoi, il est important de distinguer quatre formes de conversion qui touchent successivement la vie religieuse, morale, intellectuelle et mystique de tout homme.

-La conversion religieuse.Elle consiste à découvrir Dieu et à s’attacher à lui dans une forme particulière d’adoration ou de service. Qui se convertit religieusement passe d’une connaissance de Dieu à une autre, renonçant généralement à une communauté de pensée ou de foi marquée par un contenu doctrinal déterminé pour s’engager dans une autre. L’élément de référence semble être ici l’identité du nouveau groupe auquel l’on adhère. Cette forme de conversion peut se produire à l’intérieur même de sa propre religion lorsqu’on fait une expérience particulière de Dieu et qu’on s’attache à lui d’une manière nouvelle. C’est d’ailleurs de cette expérience que dépendent les autres formes de conversion.

 

-La conversion morale.Elle consiste à quitter un état de péché, de rupture avec Dieu pour renouer les relations avec lui. Elle se produit chaque fois que nous écoutons la voix de notre conscience et que nous venons demander pardon à Dieu. Cette forme de conversion est marquée par quatre démarches essentielles : le regret sincère des péchés, la rupture avec le mal et ses avantages, la réparation et si possible la réconciliation.

Dans « Hamlet » la célèbre pièce de théâtre, l’écrivain anglais, Shakespeare nous donne une idée de ce qu’exige une telle rupture. Il raconte l’histoire d’un certain Claude qui assassine son frère, épouse sa belle-sœur Gertrude et se fait couronner roi de Danemark. Mais un jour, pris de remords, il essaie de prier. C’est alors qu’il se rend compte que sa prière ne peut être sincère tant qu’il n’aura pas renoncer aux fruits de son crime : « Prier ? Je ne peux pas, quoique mon désir ait l’acuité du vouloir : ma trop forte honte défait ma forte intention.

Impossible, puisque, encore, je possède ces objets pour lesquels j’ai commis le meurtre : ma couronne, ma propre ambition et ma reine. Peut-on être pardonné et garder le fruit de sa faute ? Dans le courant corrompu de ce monde, la patte dorée du crime peut pousser la justice à l’écart, et souvent on voit le bien mal acquis acheter la loi. Mais là-haut il n’en va pas ainsi… Mes paroles volent en haut, mes pensées demeurent en bas. Paroles sans pensées ne montent point au ciel ». Aussi, la conversion morale ne peut-elle être sincère, tant que l’on n’a pas le courage de renoncer au mal et à ses avantages.

-La conversion intellectuelle ou de l’esprit.Elle consiste à changer de manière de penser, de juger et de raisonner. Cela suppose un abandon de nos échelles de valeurs pour adopter le regard de Dieu sur les réalités. Pour que notre esprit se convertisse, il faut qu’il se laisse imprégner par les béatitudes et façonner par la sagesse de l’Evangile. L’expérience montre qu’il n’y a pas de conversion profonde sans un renversement de nos repères habituels. Globalement, cet aspect de la conversion touche nos convictions concernant les points suivants : la vengeance (Lc 9, 51-56), l’autorité et le service (Mt 20, 20-28), le désir de grandeur (Lc 22, 24-27), le pardon (Mt 18, 21-35), le bonheur (Mt 5), l’amour (Mt 6, 27-38), la richesse (Lc 16,19-29 ; Mt 19,16-26), le prochain (Lc 10, 29-37)

 

La conversion mystique.J’emprunte ce terme ” conversion mystique ” au cardinal Carlo Maria Martini, ancien archevêque de Milan (Italie) et bibliste de renom, qui décrit le phénomène dans son livret « Prière et conversion intellectuelle ». Il s’agit d’une transformation inattendue qui se produit dans la vie de certaines personnes, les introduisant dans une relation mystique profonde avec Dieu. C’est une telle expérience que décrit sainte Thérèse d’Avila dans ses autobiographies : après 20 années de vie religieuse, alors qu’elle était âgée de 39 ans, elle voit brusquement que toute sa vie antérieure a été marquée par la médiocrité. A ce sujet, elle écrit : « C’est désormais un nouveau livre, je veux dire une nouvelle vie ». Celle qui s’est écoulée jusque-là était sa vie ; celle qui commence est la vie de Dieu en elle. Même si elle ne dépend pas de nous, la conversion mystique peut être préparée par les trois formes antérieures.

 

Demandons à Jésus-Christ, notre Seigneur & Sauveur, la grâce de commencer aujourd’hui et pour toujours, une démarche de conversion authentique, pour que règnent dans nos vies et entre nous la Justice et la Paix, pour l’unité du genre humain. Amen.