Homélie dimanche 12/08/18: Pour faire grandir notre foi en la Puissance du Pain de Vie.

Un ami prêtre et médecin, baroudeur de surcroit que j’aimais inviter quand je m’occupais des jeunes nous a raconté cette histoire extraordinaire. C’était vers la fin du terrible génocide au Rwanda. Il avait été envoyé dans un lieu où la haine ethnique qui s’était répandue comme un trainée de poudre avait fait de très nombreuses victimes. A cause des cadavres qui s’entassaient, de terribles épidémies menaçaient de finir le travail que la folie des hommes avait commencé.

 

Quand il arrive sur place, avec de tout petits moyens, il rencontre des gens et leur dit : « je suis prêtre et médecin, de quoi avez-vous besoin ? » On lui répond : « si tu es prêtre et médecin, ce dont on a le plus besoin, c’est que tu célèbres la messe ! Les prêtres sont tous partis pour se mettre en sécurité, nous ne pouvons plus avoir la messe. » Il s’attendait à tout sauf à ça ! Il imaginait qu’on allait lui demander des médicaments, des soins, de la nourriture, mais, eux, c’est la messe qu’ils lui demandent ! Il leur explique qu’il doit d’abord trouver une solution pour enterrer les cadavres, c’est l’urgence numéro 1 si on ne veut pas être confronté à des épidémies qui seront bien difficiles à enrayer, mais, c’est promis, le soir, il célèbrera la messe.

 

Dans la journée, il fait ce qu’il a à faire pour s’occuper de tous ces cadavres, je n’entre pas dans les détails car ce qu’il nous a raconté est terrible. Le soir venu, il se rend donc au lieu convenu pour célébrer la messe. Quand il arrive, quelle surprise, c’est une véritable foule qui l’attend ! Le bouche à oreille a mieux fonctionné que les cloches pour appeler à la messe ! Seulement voilà, immédiatement un énorme problème se pose à lui : il est venu avec une boite d’hosties qui devait lui permettre de célébrer la messe chaque jour avec quelques personnes. Il n’y en aura jamais assez pour tout ce monde et, renseignement pris, il n’y a pas de pain. Il est vraiment désolé, il va célébrer la messe pour ce peuple affamé de l’Eucharistie, mais ils ne pourront pas communier. Il fait part de son problème au petit groupe qui a organisé la messe. Alors, ils vont chercher une religieuse qui est là depuis peu et voilà qu’elle arrive en portant sur la tête un plateau sur lequel il y a plus d’une dizaine de ciboires, tous remplis à ras bord d’hosties. Le prêtre lui demande d’où ça vient ? Elle explique qu’elle est arrivée depuis peu ici, après avoir fui son village. Et tout au long de sa fuite, elle est rentrée dans les églises abandonnées pour sauver le St Sacrement, elle a dû souvent forcer les portes des tabernacles pour récupérer les ciboires pleins d’hosties consacrées. Mais elle ne voulait pas que, dans leur folie, les hommes qui avaient commis déjà tant de meurtres, commentent en plus des profanations.

 

Quand il a entendu son récit, le prêtre en avait les larmes aux yeux ! Quelle foi chez cette religieuse qui avait pris des risques pour « sauver » le saint sacrement. Les prêtres avaient fui pour se mettre à l’abri sans s’en préoccuper, mais, elle, elle a fait tout ce qu’elle a pu, elle n’a pas craint de risquer sa vie en retardant sa marche pour que le Pain de Vie puisse continuer à accomplir son œuvre dans ce pays où la mort avait fait tant de ravages. Cette histoire me semble être l’un des plus beaux commentaires que l’on puisse faire de cette déclaration de Jésus qui revient à plusieurs reprises dans l’évangile que nous venons d’entendre dans lequel Jésus déclare, en annonçant l’Eucharistie, qu’il est le Pain de Vie.

 

Cette religieuse, elle n’avait sans doute pas fait de hautes études théologiques pour étudier le mystère de la transsubstantiation qui rend compte du fait que le pain posé sur l’autel devient, à la prière du prêtre, le corps du Christ. Elle n’avait sûrement pas fait non plus de grandes études exégétiques pour décortiquer ce discours de Jésus sur le pain de vie dans le chapitre 6 de l’évangile de St Jean, discours que nous lisons par tranche tous ces dimanches. Oui, sans doute qu’elle n’était pas diplômée en théologie, mais elle avait une foi admirable. Elle croyait que, lorsqu’elle communiait, elle ne recevait pas une vague force mystérieuse ; elle ne venait pas non plus à la messe pour vivre un temps de partage avec ses amis. Tant mieux si on vit le partage, mais ce n’est pas d’abord ça la messe. Elle, elle croyait que la déclaration de Jésus ce n’était pas de la littérature, elle croyait Jésus quand il disait : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. » C’est la puissance de sa foi en l’Eucharistie qui a fait que, dans sa fuite, il n’y avait rien de plus essentiel que de sauver le Saint Sacrement pour permettre au Pain de Vie d’accomplir son œuvre, de semer la vie, au cœur de son pays ravagé par la mort, conséquence de la folie des hommes.

 

Je crois que ce genre de témoignage a un pouvoir bien plus grand que n’importe quel discours pour aider à comprendre la grandeur de l’Eucharistie, car c’est bien de cela qu’il est question dans ce discours sur le Pain de Vie. Et ce qui est formidable, c’est que ce témoignage n’est pas le seul ! Je pense encore au témoignage du Cardinal Van Thuan qui a passé tant d’années de sa vie dans les terribles prisons du pouvoir communiste vietnamien. Pour lui, le plus difficile, ce n’était pas la privation de liberté, ni même les terribles sévices endurés, comme le fait d’être enfermé, parfois des journées entières, dans une cage dans laquelle il ne pouvait tenir debout. Non ! Ce qui était le plus difficile, c’était de ne pas pouvoir célébrer la messe : il n’avait pas de vin et si peu de pain. Un jour des amis vont réussir à tromper la vigilance des gardiens en lui faisant passer une petite fiole en laissant croire qu’elle contenait un médicament alors qu’elle contenait du vin. Quelle joie ! Avec quelques miettes de pain, et quelques gouttes de vin qu’il gardait tout le temps de la célébration dans le creux de sa main puisqu’il n’avait pas de calice, il pouvait enfin se nourrir du Pain de Vie. Et, c’est précisément grâce à ce Pain de Vie, parce qu’il est le Pain de Vie, qu’il a pu rester vivant malgré les mauvais traitements endurés. C’est grâce au Pain de Vie que sa foi, son espérance et sa charité n’ont pas chancelé. Quel témoignage qui nous interroge sur notre propre foi en la puissance du Pain de Vie.

 

Que dire encore de Marthe Robin cette mystique vivant à Chateauneuf de Galaure dans la Drôme. Très jeune, elle va être atteinte d’une maladie incurable provoquant une quasi-paralysie, la rendant quasiment aveugle et bloquant ses fonctions digestives et sa déglutition. Pendant des dizaines d’années, elle ne se nourrira que de l’Eucharistie. Au début, bien des gens pensaient à une supercherie, plusieurs enquêtes très sérieuses seront conduites à la demandes des évêques successifs qui voulaient que tout soit parfaitement clair. Force a été de reconnaître la vérité : elle ne se nourrissait que de l’Eucharistie. Et, quand elle communiait, elle ne mangeait pas des tombereaux d’hosties pour tenir le coup !

 

Non ! Une seule hostie, reçue une fois par semaine, avant d’entrer dans la passion qu’elle revivait chaque semaine en union avec Jésus. C’est trop clair, seul le Pain de Vie peut maintenir en vie dans ces conditions. Si Marthe est restée vivante et bien vivante si longtemps défiant les pronostics de la médecine, si elle a pu avoir un tel rayonnement dans sa situation si peu enviable, c’est la preuve que cette hostie qu’elle recevait est bien le Pain de Vie

 

Comme le dit l’Evangile : que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende !

 

Père Roger Hébert