Homélie dimanche 14/08: Bonjour, Shalom, Salam Aleykoum!

S’il vous arrive de regarder un match de foot à la télé, vous avez sûrement entendu parler du contrepied. Le joueur qui a le ballon se retrouve forcément face à un adversaire qui va essayer de le lui subtiliser. Alors pour le garder et surtout pour progresser vers le but adverse, il peut essayer de prendre son adversaire à contrepied. Par une feinte de corps il va faire croire qu’il part à gauche et, donnant un coup de rein au dernier moment, il part à droite. Si le contrepied est bien réussi, l’adversaire, comme on dit, est dans le vent !

Eh bien, je trouve que, dans cet Évangile, Jésus utilise à merveille l’art du contrepied. En effet, si vous interrogez les gens en leur demandant : à votre avis, qu’est-ce que Jésus est venu apporter sur la terre ? Ils vous répondront presque tous qu’il est venu apporter la paix et ils n’ont pas tort ! En effet, dans son discours d’adieu que l’on retrouve dans l’évangile de St Jean, Jésus dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » Et ces paroles sont tellement importantes que le prêtre les redit à chaque messe juste après le Notre Père. Oui, mais, n’empêche que dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus nous prend à contrepied en affirmant : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. » Avouez que pour un contrepied, c’est vraiment un contrepied ! Je vous ai dit qu’au foot, on utilisait le contrepied pour mettre ses adversaires dans le vent, pour les désorienter, est-ce à dire que c’est ce que Jésus cherche à faire avec nous ?

Evidemment, non ! Mais, du coup, il nous faut comprendre comment il est possible d’avoir, dans les Évangiles, deux paroles aussi contradictoires. Est-ce la paix ou est-ce la division que Jésus apporte ? Quand on se retrouve en face de citations contradictoires, pour comprendre, il n’y a qu’une seule solution, c’est de regarder le contexte dans lequel Jésus a donné chacune de ces paroles.  Parce que Jésus ne peut pas dire blanc et noir en même temps. C’est très important de faire ce travail car autrement, en fonction de mon humeur, de mon tempérament, je risque d’invoquer un verset pour justifier mon comportement et c’est comme ça qu’on tombe dans l’idéologie et qu’on dénature l’Évangile.

Vous voyez c’est ce travail d’interprétation du texte que devraient faire les musulmans et le plus vite possible. Parce que dans le Coran, sur des sujets aussi importants que l’attitude à avoir vis à vis des hommes pratiquant une autre religion, il y a des sourates totalement contradictoires. Alors, comme il est interdit d’interpréter le Coran, les musulmans qu’on appelle modérés invoquent les sourates bienveillantes vis à vis des juifs et des chrétiens pour justifier leur esprit d’ouverture et les musulmans les plus durs invoquent au contraire les sourates les plus dures pour justifier leurs attitudes violentes et sectaires. Et, comme chacun peut trouver les sourates dont il a besoin pour justifier son attitude, on ne s’en sortira pas. Dans chaque religion, il est nécessaire de sortir d’une lecture fondamentaliste des Écritures Saintes si nous voulons devenir capables de nous respecter et de vivre ensemble. Chez nous, les chrétiens, il y a aussi des fondamentalistes qui lisent sans interpréter et qui, du coup, utilisent l’Évangile pour justifier leur comportement. On peut faire dire n’importe quoi à un texte sorti de son contexte.

Alors, revenons à notre Évangile d’aujourd’hui et cherchons comment l’interpréter pour qu’il ne dise pas le contraire du verset contenu dans le discours d’adieu de Jésus. Si Jésus dit qu’il n’est pas venu mettre la paix, mais la division, c’est parce qu’il a bien conscience que, devenir chrétien, ça ne sera pas simple tous les jours. D’ailleurs, dans le discours d’adieu, quand il dit : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » Il s’empresse de rajouter : « Mais ce n’est pas à la manière du monde que je vous la laisse. » En effet, dans le français courant, quand on dit à quelqu’un, d’ailleurs souvent un peu violemment : « la paix ! » c’est pour lui dire : « dégage ! » Evidemment, ce n’est pas cette paix-là que Jésus aime et veut répandre, une paix qui, finalement, s’obtient en éliminant ceux qui nous gênent !

Permettez-moi une petite digression mais fort à propos pour les temps que nous vivons.Vous savez d’ailleurs que paix en hébreu, ça se dit Shalom et que c’est de cette manière-là que se saluent les juifs, en se disant : Shalom. Et dire à quelqu’un Shalom, c’est encore plus que lui dire : Bonjour, et bonjour, c’est une belle formule puisqu’elle signifie : je souhaite que ce jour soit bon pour toi. Shalom, ça signifie plénitude ; en disant Shalom on souhaite à l’autre une plénitude de vie pour cette journée et pour toute sa vie. Vous savez que dans la salutation arabe, il y a ce même mot de paix : Salam Aleykoum. Ah si les hommes faisaient attention à ce qu’ils disent si souvent dans une journée, le monde serait déjà transformé. Dans nos salutations, il y a tout un programme de vie pour un monde meilleur : Bonjour, Shalom, Salam Aleykoum.

Ce détour était loin d’être inutile pour comprendre ce que Jésus veut nous dire quand il annonce qu’il est venu mettre la division. Bien sûr que Jésus souhaite Shalom à chacun de nous, mais cette paix, plénitude de vie, pour Jésus, il est clair qu’elle ne s’obtiendra qu’en faisant des choix. Quand j’ai parlé aux jeunes du Burundi l’année dernière, je leur ai expliqué qu’en montant dans l’avion pour Moscou, on ne pourra pas arriver à Washington. Et c’est, ça notre problème : nous voudrions avec des choix tordus obtenir de bons résultats. Ce n’est pas possible : en montant dans l’avion pour Moscou, tu ne pourras pas arriver à Washington ! Si tu veux accueillir ce Shalom que Jésus te souhaite, si tu veux entrer dans cette plénitude de vie, il faut que tu fasses les choix appropriés, les choix qui te conduisent à cette plénitude de vie et non pas les choix qui te conduisent dans des impasses. Les choix qui conduisent dans des impasses, nous les connaissons bien, c’est tout miser, ou presque, sur le superficiel. La pape Paul VI avait dit, en son temps : l’homme vaut plus par ce qu’il est que par ce qu’il a. Choisir le chemin qui conduit à la plénitude de vie, ce n’est donc pas rêver d’avoir toujours plus, mais c’est rêver d’être toujours plus, en empruntant le chemin des béatitudes : être plus doux, miséricordieux, artisan de paix, assoiffé de justice, bref, vous les relirez et vous verrez qu’aucune de ces béatitudes ne parle d’avoir, mais qu’elles nous invitent à cultiver « le savoir être » comme on dit aujourd’hui.

Eh bien, mes amis, quand on fait ce genre de choix qui conduisent à la plénitude de vie, on sent très vite que ça nous éloigne de plein de personnes. Et on vit souvent cela à l’intérieur de nos propres familles. Les plus grands écartèlements ne viennent pas du fait que certains croient et d’autres ne croient pas, ils viennent de nos choix de vie.

Vous avez dû le constater, avec ceux qui vivent dans le superficiel, très vite on n’a plus rien à se dire, nos chemins s’éloignent tellement qu’on a de plus en plus de mal à se rencontrer. C’est de cela que Jésus parle quand il parle de division. Il est clair qu’il souhaite Shalom à tous les hommes, mais il sait que tout le monde ne fera pas les choix qui conduisent à la plénitude de vie et il nous prévient qu’il ne faudra pas nous en étonner. Alors, chers amis, dans cette messe, demandons au Seigneur qu’en nous souhaitant Shalom, il nous donne, en même temps, la force d’accomplir ces bons choix. Et demandons surtout qu’il nous donne de témoigner que ces choix qui nous obligeront toujours à dire non à une vie, en apparence facile, nous emplissent de joie. Et que cette joie soit tellement forte que ceux qui sont en train de s’éloigner de nous finissent par revenir vers nous et surtout finissent par revenir vers Jésus.

Père Roger Hébert