Homélie dimanche 19 novembre: De grâce, servons-nous de tous les cadeaux qui nous sont offerts !

Ce week-end, je prêchais une récollection pour les diacres du diocèse d’Annecy à l’abbaye de la Rochette en Savoie. Et je vais célébrer la messe ce soir dans le Pays de Gex. Voilà l’homélie : 

Je suis à peu près sûr que, chez nous, chez chacun d’entre nous, il y a des cadeaux qu’on nous a fait et dont nous ne nous sommes jamais servis. Peut-être que c’est moins vrai chez nos sœurs qui sont moins encombrées que nous ! En tout cas, chez moi, il y en a ! Du beau papier à lettre, tellement beau que je n’ose pas écrire dessus ! Des bougies que des amis m’ont offerte ou qu’un filleul m’avait faites, tellement belles que je n’ose pas les allumer. Du coup, elles sont encore toutes neuves et servent d’éléments de décoration qui prend la poussière ! Mais est-ce vraiment de cette manière que j’honore ceux qui m’ont fait ces cadeaux ? Evidemment non ! S’ils m’ont offert ces bougies, par exemple, c’est parce qu’ils savent que je prie et ils imaginent que, lorsque je prie, j’allume une bougie. Ce qui est souvent le cas. C’est donc pour m’aider à prier qu’ils m’ont offert ces bougies et moi, je les garde comme éléments de décoration … d’ailleurs au bout d’un moment, je ne les vois même plus, elles font partie d’un décor immuable. Si je les avais allumées en priant, j’aurais sûrement, au moins une fois ou l’autre, pensé à ceux qui me les avaient offertes et j’aurais prié pour eux, rendu grâce pour leur amitié. Je pense que je ne suis pas seul à fonctionner ainsi.

Que de services de vaisselle offerts en cadeau dorment dans les placards de tant de familles de peur qu’on ne casse une assiette ou un verre. Ceux qui les ont offert, s’ils arrivaient à l’improviste et qu’ils découvraient qu’on mange dans des assiettes ébréchées par peur de casser celles qui nous offertes, c’est sûr qu’ils ne seraient pas très contents. On pourrait dire la même chose pour des nappes ou des serviettes brodées. Je m’arrête parce que ma mission n’est pas de vous aider à faire l’inventaire de vos placards ! Mais vous aurez bien compris que ce n’est pas la meilleure manière d’honorer ceux qui nous font des cadeaux que de ne pas nous en servir !

Eh bien, je crois que c’est pour nous faire comprendre cela que Jésus nous a raconté cette parabole. Ou plutôt, parce qu’il faut toujours rester modeste quand on lit et commente les Écritures, c’est ainsi que moi, j’ai entendu cette parabole. Dans ces paroles de Jésus, j’ai d’abord entendu l’appel à reprendre conscience que Dieu donne et qu’il donne largement. Dieu n’hésite pas comme le dit le texte à nous confier ses biens et il nous fait tellement confiance qu’ayant confié ses biens, il ne reste pas là pour surveiller ce qu’on va en faire. Alors, peut-être que les esprits chagrins, diront tout de suite : oui, il donne, quand même, c’est pas tout à fait génial puisque tout le monde n’est pas traité de la même manière. C’est vrai, certains ont reçu 5 talents, d’autres 3 et il y en a qui n’en auront qu’un. Mais n’oublions pas la justification qui est donnée de cette répartition à première vue si peu équitable : le maitre confie à chacun ce qu’il est capable de porter, ce qui est encore un signe de sa grande bonté. Et si nous sommes souvent mal à l’aise face à cette répartition inégale des dons, c’est que la langue française nous joue un mauvais tour, nous met sur une fausse piste d’interprétation de cet évangile. Avec ce mot talent, nous pensons trop souvent, trop vite aux qualités et du coup, nous nous interrogeons pour savoir pourquoi certains semblent avoir reçu moins de qualités que d’autres.

Mais la parabole explique bien que le talent n’est pas une qualité mais une somme d’argent et quelle somme d’argent. Un talent, c’est l’équivalent de 26 kg d’argent, vous m’avez bien entendu 26 kg d’argent ! C’est à dire que ça correspond à peu près pour l’époque au salaire de 6 000 journées de travail soit à peu près 20 ans de travail. Vous vous rendez compte, recevoir un seul talent, c’est déjà énorme.

En redonnant au mot talent sa véritable signification, nous changeons complètement le regard que nous pouvons avoir sur le maître. Ce n’est plus quelqu’un d’injuste qui donne beaucoup à certains et si peu à d’autres. Non, c’est quelqu’un d’extrêmement généreux puisque celui qui reçoit le moins, reçoit quand même de quoi être à l’abri toute sa vie ! Il est tellement bon ce maître qu’il fait en sorte que personne ne soit dans le besoin, que personne ne se fasse du souci pour joindre les deux bouts. Oui, vraiment, c’est un maître extraordinaire ! Alors, c’est vrai, certains ont plus, mais cette générosité du maître à leur égard n’est pas scandaleuse puisque ceux qui ont le moins ont déjà largement assez ! Ce qui est scandaleux dans notre monde et il est bon de nous le rappeler en cette journée mondiale des pauvres instituée par le pape François, ce qui est scandaleux dans notre monde c’est qu’il y a trop d’hommes qui manquent de l’essentiel quand d’autres vivent dans l’opulence. Mais si chacun avait largement ce qui lui est nécessaire, il ne serait plus scandaleux que d’autres aient plus.

Mais revenons à notre texte qui nous parle donc de notre Dieu qui est si généreux avec chacun d’entre nous et tellement proche de nous qu’il sait ce que chacun peut porter, ce dont chacun a vraiment besoin. Seulement voilà, Jésus explique qu’il y a deux catégories de personnes : celles qui vont laisser le don dormir sur une cheminée comme décoration sans jamais s’en servir et celles qui vont oser s’en servir. Ces dernières vont vivre une expérience vraiment extraordinaire : elles vont faire l’expérience de la profusion et de la joie. Quant à ceux qui n’osent pas, qui ne veulent pas, qui ne pensent pas à se servir de ce que Dieu leur a donné, eux vont vite se retrouver complètement démunis et désemparés s’enlisant dans la tristesse.

Au point où nous en sommes rendus, il est sûrement nécessaire de nous poser la question : mais quel est-il précisément ce don qui nous a été fait, ce don qui vaut de l’or ? En entendant que le maître a remis ces dons avant son départ, je me suis dit que ce don pourrait bien être celui de la foi. Parce que c’est bien la foi qui va nous permettre de vivre paisiblement l’éloignement du maître, qui nous aidera à croire qu’il est encore bien présent et qu’il reviendra. Oui, la foi, c’est vraiment un cadeau qui vaut de l’or ! Mais voilà, face au don de la foi, il y a deux catégories de personnes : ceux qui s’en servent et ceux qui n’en font qu’un élément de décoration. Et vous entendez peut-être qu’à travers cette formule, le texte ne parle pas de ceux qui ont la foi et de ceux qui ne l’ont pas. Non, il parle de ceux qui ont reçu la foi mais dans ceux qui ont reçu la foi, il y a ceux qui s’en servent et ceux qui ne s’en servent pas.

C’est donc chacun d’entre nous, de nous qui avons reçu la foi que le texte interroge : est-ce que tu te sers vraiment du don qui a été fait ou est-ce que tu vis ta vie chrétienne en ne comptant que sur tes forces et ta volonté ?

Sans lui, sans compter sur lui, sur le don de la foi, nous sommes réduits à tout faire avec nos seules forces. Alors les jours où nous sommes en forme, nous faisons des étincelles et les jours où nous sommes au 36° dessous, ce n’est pas très brillant ! Le curé d’Ars disait et nous pouvons retenir cette formule en cette journée particulière voulue par le Pape François : l’homme est un pauvre qui a besoin de tout demander à Dieu. Il s’agit donc d’apprendre à compter sur lui pour toutes choses, ça ne veut pas dire qu’il fera les choses à notre place, non, mais il s’agit de puiser en lui et non pas dans nos maigres réserves la force d’aimer au quotidien. Et, comme je le disais, ceux qui oseront reconnaître qu’ils sont des pauvres, ceux qui oseront compter sur Dieu, ceux qui oseront se servir du don de la Foi, ceux-là feront l’expérience de la profusion et de la joie, quant à ceux qui préfèrent ne compter que sur eux, qui ne croient pas en l’immense générosité de Dieu, ceux-là feront inévitablement, un jour ou l’autre, l’expérience d’être démunis et tristes.

Si nos contemporains croisaient plus souvent des chrétiens vivant manifestement cette expérience de la profusion et de la joie et un peu moins des chrétiens tristes et démunis, peut-être auraient-ils envie de se servir, eux aussi, de cette foi qu’ils ont reçue à leur baptême, mais qu’ils avaient rangé sur leur cheminée comme élément décoratif ne voyant pas bien à quoi ça pourrait leur servir.

 

Père Roger Hébert

Maison Paroissiale