Homélie dimanche 21/03/2021 : Cinquième dimanche du carême B

L1 : Jr 31,31-34 ; Ps 51(50) ; L2 : He 5,7-9 ; Evangile : Jn 12,20-33.

L’évangile du dimanche dernier nous avait présenté Jésus en conversation privée et nocturne avec le Pharisien Nicodème (Jn 3,1-21). Aujourd’hui, c’est en plein jour qu’on le voit face à une foule d’où émergent des Grecs demandant à le voir. Par-delà la différence des contextes, l’enseignement de Jésus, même en l’absence du mot, porte sur la croix comme instrument d’une souffrance mortelle qui vaudra au monde le salut annoncé par les prophètes.

En considérant l’évangile d’aujourd’hui, il est facile d’y détecter des éléments qui nous
mettent carrément dans l’ambiance de Gethsémani. Or, Gethsémani apparaît comme le début immédiat du processus qui conduira à la croix. L’évangéliste fait état du trouble intérieur au niveau de Jésus quand il lui fait déclarer : maintenant, je suis bouleversé… L’affirmation est grave surtout sous la plume du quatrième Evangile qui tend à montrer toujours Jésus au-dessus de toutes les situations. A son arrestation, par exemple, sa candide déclaration “c’est moi” suffit pour faire reculer et tomber ceux qui viennent l’arrêter (Jn 18,5-6). Pareille sérénité n’a plus cours ici, même si Jésus se ressaisit immédiatement : mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! D’ailleurs, le bouleversement mentionné par Jean se vérifie aussi dans les Evangiles synoptiques (cf. Mc 14, 32.36 et par). Mais tandis que chez les Synoptiques, la perplexité du Christ n’obtient aucune réponse verbale, audible et spectaculaire est la réplique du Père rapportée par le quatrième Evangile : j’ai glorifié mon nom et de nouveau je le glorifierai.

C’est vraiment l’heure de la croix, et c’est cette heure que Jésus annonce en recourant à un symbole aérien : quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. Dimanche dernier, nous avions déjà rencontré un autre symbole aérien avec l’allusion faite par Jésus au serpent de bronze élevé au désert pour sauver les fils d’Israël de la morsure des serpents brûlants (cf. Jn 3,14 ; Nb 21,4- 9). Mais dans l’évangile d’aujourd’hui, le Seigneur exprime et confirme le Mystère de sa croix
avec un symbole souterrain lorsqu’il déclare : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il donne beaucoup de fruit. Comme dans les deux symboles aériens, l’élévation du serpent de bronze apporte guérison et celle du Christ attire à lui les hommes, ainsi le symbole souterrain connote à son tour une heureuse issue : l’abondance de la moisson. Dans ce dernier symbole cependant, la mort nécessaire de la graine en vue de la moisson renvoie à la Mort du Christ sur la croix pour le salut de tous.

En faisant le bilan des symboles souterrains et aériens, force est de constater que pour exprimer le Mystère de la Croix, ils se complètent mutuellement : à l’instar du serpent de bronze érigé au désert, Christ et la croix sont élevés, mais c’est Christ seul qui est mis en terre. Le passage de l’élévation à l’ensevelissement est favorisé par la proximité du Golgotha et du jardin de la sépulture (cf. Jn 19,41). Et il résulte de ces événements qu’avec la croix du Christ, l’offense bénéficie du pardon, la perte suscite le gain, la défaite engendre la victoire, l’opprobre aboutit à la Gloire et la mort génère la vie, bref, dans un passage mystérieux, l’inattendu jaillit sous forme de surprise et de nouveauté.

C’est cette nouveauté que chante le prophète Jérémie dans la première lecture de ce jour. Il faut avouer que Jérémie se dote d’une grande audace lorsqu’il ose envisager le renouvellement de l’Alliance, car cela n’est pas du goût de l’Ancien Testament qui concède l’éventuel renouvellement de Jérusalem, du Temple, du roi…, mais jamais de l’alliance. Mais alors comment peut s’opérer le renouvellement en question si le peuple ne cesse pas d’être pécheur ?

La réponse, c’est que le renouveau en question ne pourra pas se baser sur l’œuvre de l’homme, mais c’est Dieu qui en sera l’acteur et l’auteur en accordant le pardon, non pas en proportion du péché, mais dans l’infini de sa Miséricorde. Celle-ci constitue le Fils de Dieu Nouveau Moïse et prêtre de la nouvelle Alliance. De ce fils, la deuxième lecture dit : pendant les jours de sa vie mortelle, il a présenté avec un grand cri et dans les larmes sa prière et sa supplication. On se demande d’ailleurs pourquoi l’Epitre aux Hébreux que nous venons de citer ajoute que ce Fils a été exaucé, alors qu’il est bien mort. Et c’est là la source de la nouveauté : il a été exaucé parce qu’il a appris l’obéissance et que celle-ci l’a conduit à la perfection pour en faire cause du salut éternel. Or, le salut en question ne couvre pas seulement l’éternité, mais aussi la totalité des hommes.

Dans l’Evangile de ce jour, le signe de cette ouverture à l’universel, c’est l’intervention des Grecs jaillis on ne sait d’où et désireux de voir Jésus, des Grecs, c’est-à-dire, des païens ! Est-ce par hasard que les deux disciples qui médiatisent l’accès entre Jésus et ces Grecs sont les seuls, du collège des Douze Apôtres, à porter des noms d’origine grecque (Philippe et André) et que, au début du ministère de Jésus, Philippe a eu à médiatiser la rencontre entre Nathanaël et Jésus (cf. Jn 1,54-51), et André celle de Pierre, son frère, et de Jésus son maître (cf. Jn 1,41-42) ? Toujours est-il que, pour nous faire entrer dans la Nouvelle Alliance en son sang (Lc 22,20), Jésus, Unique Médiateur entre Dieu et les hommes, veut que nous nous inscrivions aussi dans
un jeu de médiations les uns pour les autres, car personne ne se sauvera tout seul.
Et si tu vois les champs mûrir pour la moisson du salut, sache que Jésus et sa croix sont déjà élevés et que le grain de Jésus est semé. Alors, sème avec lui le grain de ta vie. Tu porteras beaucoup de fruit et tu seras attiré à Lui.