Homélie dimanche 26/04/2020: TROISIEME DIMANCHE DE PAQUE A

Première Lecture : Ac 2, 14.22b-33 ; Psaume : 15 (16)

Deuxième Lecture : 1 P 1, 17-21 ; Évangile : Lc 24, 13-35

 

Homélie

Des deux disciples dits d’Emmaüs, l’Evangile d’aujourd’hui spécifie le nom d’un seul. Des Biblistes disent que celui qui est connu représente le collège des disciples de Jésus et l’inconnu toutes les générations à venir. Vrai ou faux, le fait est que les deux disciples ont fait, dans la rencontre avec Jésus Ressuscité, une expérience extensible à tout homme et à toute femme. En effet, qui n’a jamais été déçu dans son attente, soit par une femme ou un homme, soit par la tournure des événements, soit, disons, par Dieu même ? C’est ainsi que, au regard de la mort de Jésus, les deux voyageurs expriment leur déception à leur compagnon non identifié : et nous qui espérions qu’il serait le libérateur d’Israël !

Pour nous, ce n’est pas la Mort de Jésus qui nous déçoit, puisque nous avons appris à croire qu’elle est toute à notre avantage, mais qui pardonnera à je ne sais qui, le fait que l’humanité ait passé Pâque 2020 dans le strict confinement ? Pendant que tout le monde crie : “on n’a jamais vu ça, même pas pendant la deuxième Guerre mondiale”, moi je me permets d’inviter chacune et chacun à identifier sincèrement ce qui l’a choqué dans cette façon inédite de fêter Pâque.

Pour ne rien vous cacher, je le dis parce que si l’on devait faire la remontée des carrefours, on recenserait, entre autres, des raisons aussi superficielles que celles-ci : regret de l’ambiance Pascale avec ses belles et longues cérémonies, des rassemblements d’amis et de proches, du long week-end de Pâque confondu maintenant avec le confinement, des gâteaux, des repas en restaurant, des sorties dans des parcs, des jardins ou des musées par un temps printanier, et pour les curés, l’absence des quêtes, impérées ou non, l’arrêt du flot des demandes de messe ou, sur certaines tropiques, l’interruption du flux des deniers du culte.

De ceux qui sentent ainsi la chose, je ne veux pas m’occuper. Je veux m’intéresser à celui qui la sent comme une grosse frustration et un dommageable contretemps dans sa relation avec le Christ, à la souffrance duquel il n’a pas pu communier à travers la liturgie Pascale communautaire, malgré les efforts accomplis en privé ou en famille pour maintenir le cœur à cœur avec Jésus, dans une atmosphère confinée.

À celui qui a fait une expérience aussi profonde et aussi sincère, j’ai une bonne nouvelle à annoncer. Cette année, Jésus a voulu pour toi une Pâque confinée et c’est de cette façon qu’il a voulu que tu participes à sa Mort. Si tu l’acceptes, tu verras comment il partagera avec toi la Victoire de sa Résurrection.

Je veux m’intéresser à celui qui, comme les disciples de Jésus enfermés par peur des Juifs, éprouve au cœur toutes les peurs possibles de la vie : la peur d’échouer, la peur de mourir, la peur de l’ennemi. Cette dernière peur ronge le cœur de beaucoup. L’ennemi qui cherche à te nuire, décidé à arrêter ton progrès, à réduire ta richesse en pauvreté, ton honneur en opprobre. L’ennemi parfois réel, mais souvent inventé par le charlatan que tu vas consulter et qui a l’art de te le débusquer dans ton proche voisinage et dans ta parenté immédiate. Et quelle diversité de solutions les hommes et même des chrétiens ne cherchent pas pour la sécurité de leur vie devant la peur de l’ennemi !

À toi qui éprouves toutes ces peurs, je rappelle quelques paroles du Seigneur : c’est moi, n’ayez pas peur(Jn 6, 20), ou encore la paix soit avec vous(Jn 20, 19.21.26). Je dis aussi que pour toi, le problème, ce n’est pas d’avoir des ennemis, mais d’avoir Jésus pour ami. Et si tu fais de Jésus ton ami, tu n’auras plus d’ennemis à craindre, car Jésus a tout vaincu dans sa Mort et sa Résurrection.

Je veux m’intéresser à celui qui peine dans son travail sans obtenir de résultats comme, sur le lac, les disciples qui ont peiné toute la nuit sans rien prendre (cf. Jn 21, 3). Écoute Jésus qui leur dit : jetez le filet à droite de la barque et vous trouverez(Jn 21, 6). À toi aussi, Jésus fera faire une de ces pêches fabuleuses, comme il l’a réalisé à l’égard de ses disciples !

Je veux m’intéresser enfin à celui qui fait la même expérience que les disciples d’Emmaüs, c’est-à-dire, l’expérience de la désillusion. Pour lui, voici la bonne nouvelle. Dans cette circonstance comme dans d’autres semblables, Jésus ne se comporte pas comme un Ressuscité étincelant, mais comme un compagnon discret qui marche avec toi au cœur de ta détresse. Il prolonge sa vie de Ressuscité au sein de tes angoisses et de tes déceptions, se montrant prêt à te réchauffer le cœur au contact des Écritures.

Le seul mal qui te guette désormais, c’est la cécité, non pas celle des yeux du corps, mais celle qui te ferme les yeux du cœur aux Écritures. Les Disciples d’Emmaüs ont souffert de ce mal, une cécité épaisse. Oh, en bons Juifs, ils connaissaient certainement la lettre des Écritures, mais ils n’ont pas su les appliquer à Jésus comme le Messie attendu. De plus, Jésus qui cheminait avec eux non seulement leur expliquait les Écritures, mais il parlait de lui-même et les Disciples ne le savaient pas, ils ne savaient pas que c’étaient les Écritures en Personne qui leur parlaient d’elles-mêmes, en chair et en os, comme on dit.

Entre les Disciples d’Emmaüs et Jésus, il s’agit d’une rencontre et il s’impose de souligner les rôles des uns et des autres.

Les disciples se montrent ouverts car ce qui aurait pu arriver et n’est pas arrivé, c’est que le troisième pèlerin soit jugé d’intrus et rejeté, et que les deux autres se renferment dans leur commune désillusion. À la fin aussi, ils font générosité en se montrant prêts à payer le gîte et le couvert à l’inconnu.  De plus, on ne mesure pas assez la gravité de la motivation de l’invitation :le soir approche et déjà le jour baisse. De nos jours, la tombée de la nuit ne crée aucune angoisse, et pour cause, mais en ce temps-là, au Moyen-Orient, l’approche de la nuit, c’est la voie ouverte à tous les dangers. Quelle délicatesse donc que d’épargner à l’inconnu tous ces désagréments !

Mais beaucoup plus généreux et plus délicat l’inconnu qui, au départ, détient l’initiative d’aborder les deux voyageurs et de poser à la fin, le geste décisif, répondant à l’hospitalité qui lui est offerte par l’accueil à la table du Royaume. C’est le cas de dire que l’homme ne peut pas battre Dieu en générosité !

Accueillons-Le à la table de notre vie et de nos cœurs.

Emmaüs, l’histoire de chacun

Une prémisse.

L’épisode des deux disciples d’Emmaüs est très connu et personnellement je l’aime beaucoup car c’est aussi la narration de l’histoire de chacun de nous. En outre, la structure de cette histoire est la même que celle de la Messe. Que fait Jésus ? Il devient un compagnon sur la route des deux disciples qui de fugitifs deviennent des pèlerins. En demandant au Christ de rester avec eux l’auberge d’Emmaüs devient un « sanctuaire ». Dans ce lieu rendu sacré par la présence du Ressuscité, le Christ, après leur avoir parlé de la Loi et des Prophètes en cours de route – sont les premières lectures de la Bible – explique l’Évangile de la Passion et, enfin, à la table, il rompt le Pain. Cela devient du Pain de vie.

C’est au partage du pain que les yeux des disciples s’ouvrent enfin car aujourd’hui comme alors nous voyons que toutes ces paroles deviennent Pain de vie réelle. Et aujourd’hui encore, nous rencontrons le Seigneur, comme toute personne, et nous le reconnaissons par ce qu’il a fait, par la Parole qui nous l’explique et par le changement, l’expérience qui se passe en nous, que nous nous élevons nous-mêmes en rencontrant le Ressuscité. Notre cœur change. Notre vie change. Nos yeux changent. Notre façon de voir la réalité change. Notre façon de ressentir et de vivre change.

À travers l’Évangile, nous voyons le Christ ressuscité, nous le savons. Sa parole fait brûler nos cœurs, nos têtes changent, nos visages, nos yeux, notre bouche, nos mains, nos pieds changent ; il nous a fait ressusciter. Voici ce que signifie connaître le Seigneur, le Vivant : que nous aussi nous vivions en lui, que nous vivions maintenant par sa résurrection ; de même que nous avons été crucifiés avec lui sur la croix et enterrés dans le sépulcre, de même nous sommes ainsi ressuscités avec lui et assis à la droite du Père avec lui.

Passons de la tristesse à la joie. De l’égoïsme à l’amour. Du propriétaire du pain au partage du pain. De fuir des autres à marcher vers les autres. Des combats aux ententes. Ceci est la résurrection, le vrai miracle. Avant, nous étions morts comme les idoles mortes que nous adorions. Maintenant, nous devenons comme les vivants parce qu’à travers la Parole, nous rencontrons les vivants et nous nourrissons de lui.

Et maintenant voyons brièvement le chemin à suivre en Christ, avec Christ et pour Christ.

1) La route de Jérusalem à Jérusalem, en passant par Emmaüs.

L’Evangile de Saint Luc est encadré par le récit de deux faits : l’annonce de l’Ange à Marie, au début, et la rencontre de Jésus avec les deux disciples d’Emmaüs, à la fin.

Le premier est comme une préface qui nous explique ce qu’il arrivera en écoutant l’Evangile : la Parole s’incarne en nous, comme elle s’est incarnée en Marie.

Le second est la conclusion, qui résume ce qu’il est arrivé à celui qui a « lu » l’Evangile, en écoutant la Parole attentivement et en la suivant avec constance : on devient fils dans le Fils de Dieu, qui rompt le pain de vie avec nous et pour nous.

Pendant toute l’année liturgique, particulièrement au cours de la Semaine Sainte et la semaine de Pâques, le Seigneur marche avec nous et nous explique les Ecritures, nous fait comprendre ce mystère : tout parle de Lui. Et cela devrait faire brûler aussi nos cœurs. Le Seigneur est avec nous, il nous montre le vrai chemin. Nous reconnaissons, nous aussi, Sa présence comme les deux disciples reconnurent Jésus lorsqu’il rompit le pain. Cléophas et l’autre disciple, dont l’Evangile ne nous dit pas le nom et qui pourrait être un représentant de chacun de nous, reconnurent le Messie et se souvinrent des moments où il avait rompu le pain. Et ce geste – rompre le pain – nous fait penser à la première Eucharistie célébrée dans le contexte de la Cène du Seigneur, lorsque le Rédempteur rompit le pain et prédit ainsi sa mort et sa résurrection, en se livrant à ses disciples.

Jésus rompt le pain aussi avec nous et pour nous, il se rend visible à nous dans l’Eucharistie, se donne à nous et ouvre nos cœurs.

Dans l’Eucharistie, au cours de la rencontre avec sa Parole, nous pouvons nous aussi rencontrer et connaître Jésus, à la double table de la Parole et du Pain et du Vin consacrés.

La Parole a allumé le cœur des disciples, le Pain ouvre leurs yeux : ils le reconnurent quand il rompit le pain. Le signe de reconnaissance de Jésus est son Corps rompu, une vie donnée pour nourrir la vie. Jésus passa toute sa vie à se livrer avec passion. Jusqu’à la croix et sur la croix.

La Parole et le Pain changèrent la direction du chemin pris par les deux disciples. La nuit n’était plus une objection à marcher et ils quittèrent sur-le-champ un refuge humain, l’auberge d’Emmaüs, pour retourner au Cénacle de Jérusalem où la communauté des apôtres les accueillit dans la communion et les confirma dans la foi que la rencontre avec le Ressuscité avait fait renaître.

Au moins chaque dimanche la communauté chrétienne revit ainsi la Pâques du Seigneur et recueille du Sauveur son testament d’amour au Père et de service aux frères, surtout avec la Sainte Messe dont le premier nom était « fractio panis » (fraction, « scission » du Pain qui donne la vie).

Grâce à ce « Pain rompu » qui n’est pas seulement une prière mais un acte, un geste de Dieu et de l’Église, l’existence humaine acquiert une dimension eucharistique, car elle unit la fatigue humaine et la charité de Dieu, qui nous accueille en fils dans le Fils. Il nous accueille parce qu’il est Père depuis toujours et pour toujours, et qu’il est riche en miséricorde.

Aux deux disciples d’Emmaüs Jésus expliqua les Ecritures (fractio Verbi = fraction, partage de la Parole), puis il rompit le Pain (fractio Panis= fraction, partage du Pain) et partagea la Vie (fractio Vitae = fraction de la Vie nouvelle et, donc, définitive). Aujourd’hui il fait tout cela pour nous, nous imitons ces deux disciples et sommes toujours des pèlerins de l’Infini.

2) De voyageurs à pèlerins.

Je crois juste de dire aussi que Saint Luc a bâti le récit des deux disciples d’Emmaüs autour de l’image d’une route.

D’abord une route qui éloigne de Jérusalem, des événements de la passion et du souvenir de Jésus : nous pourrions dire une route qui va de l’espérance à la déception (« Nous espérions qu’il serait le libérateur d’Israël »), une route chargée de tristesse (« Ils s’arrêtèrent tout tristes »).

Puis – après avoir marché avec l’Inconnu – ils rebroussent chemin, de la déception vers l’espérance : « À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem ».

L’inversion de marche est due à la nouvelle lecture des événements que l’inconnu leur a suggérée. Les événements sont restés les mêmes qu’avant (la croix et le tombeau vide), mais maintenant ils sont lus avec le cœur, avec un esprit et des yeux nouveaux.

Alors, selon moi, une question très importante s’impose : « Comment reconnaître le Seigneur qui marche avec nous ? ».

Les deux disciples d’Emmaüs, qui avaient écouté avec émotion Jésus leur expliquer sa passion et sa mort, ont ouvert les yeux quand Jésus s’est assis à table, après avoir accepté l’invitation à rester en leur compagnie, et qu’il eut accompli quatre gestes (prendre le pain, rendre grâce, le rompre et le distribuer).

Ces gestes renvoient en arrière, à la cène eucharistique, à la vie terrestre de Jésus (une vie donnée sous la forme d’un pain rompu), à la croix qui est l’achèvement de cette vie.

Mais ces gestes renvoient également plus avant, à la vie de l’Eglise, au temps où les chrétiens continuèrent à « rompre le pain ». Rompre le pain est donc un geste pour ainsi dire récapitulatif, dans lequel se concentrent, en se superposant entre elles, les trois étapes de l’existence de Jésus : le Jésus terrestre, le Ressuscité et le Seigneur qui est maintenant présent dans la communauté. Rompre le pain, c’est-à-dire le dévouement, reste une modalité qui permet de reconnaître la présence du Seigneur : elle est celle du Crucifié, du Ressuscité et du Seigneur glorieux présent dans l’Eglise. Un trait caractéristique qui permet de reconnaître le Seigneur Jésus.

Nous devons donc faire le même parcours que les deux disciples.

Tout d’abord nous devons reconnaître avoir besoin de quelqu’un qui les guide vers la lumière et la vérité et ce Quelqu’un est Jésus lui-même qui se transforme en compagnon de voyage dans leur existence marquée, en ce moment, par le découragement et par la plus sombre des déceptions.

Deuxièmement, nous avons besoin de nous retrouver ensemble et c’est Jésus lui-même qui nous donne l’occasion de le faire dans un autre esprit et un autre contexte, celui précisément de la célébration de l’eucharistie. En effet c’est Jésus qui rompt le pain et les deux disciples reconnaissent le Seigneur, relisent leur expérience de joie vécue quelques heures auparavant, avec cet Inconnu, qui fait brûler leur cœur en les catéchisant et leur enseignant à regarder la vie sous le signe de l’espérance et de la joie infinie.

Troisièmement, nous les disciples d’aujourd’hui, à l’instar des premiers disciples, nous avons besoin d’apporter l’annonce du Christ aux autres, de leur apporter ce que nous avons avec le regard de la foi : Jésus ! A l’exemple des disciples d’Emmaüs, sentons l’urgence de partir sur-le-champ pour rapporter ce qu’ils ont vécu, l’expérience de joie et de foi que nous faisons en rencontrant le Ressuscité dans l’Eucharistie (mais dans les autres Sacrements aussi), dans les Saintes Écritures, dans la communauté chrétienne. Pour être en mesure de le reconnaître il faut aussi une pureté angélique (M. Teresa de Calcutta).

N’oublions pas que les femmes furent les premières à avoir apporté l’annonce de la résurrection du Christ. Les premières dans l’amour. En se rendant au tombeau très tôt le matin, elles furent les premières dans la foi.

Ce « génie féminin », vécu avec maturité, leur permit de « voir loin », au-delà des apparences, de « comprendre » et de « voir avec les yeux et avec le cœur »1 (l). Chez les Vierges consacrées vivant dans le monde, ce génie féminin se manifeste dans l’écoute constante de la Parole, qui est ensuite gardée, crue, mise en pratique et annoncée. Par leur virginité, celles-ci sont à la totale disposition de l’Evangélisation, sont des Epouses du Christ au service de l’Evangile. Elles mettent en pratique « Heureux qui règle ses pas sur la Parole de Dieu », antienne que l’on peut chanter après la remise des insignes de consécration. (Rituel de consécration N° 30)

 

 

 

Lecture Patristique

Saint Grégoire le Grand (540-604)

Homélie

 « Ils le reconnurent à la fraction du pain » 

Deux disciples faisaient route ensemble. Ils ne croyaient pas, et cependant ils parlaient du Seigneur. Soudain celui-ci apparut, mais sous des traits qu’ils ne purent reconnaître. A leurs yeux de chair le Seigneur manifestait ainsi du dehors ce qui se passait au fond d’eux-mêmes, dans le regard du cœur. Les disciples étaient intérieurement partagés entre l’amour et le doute. Le Seigneur était bien présent à leurs côtés, mais il ne se laissait pas reconnaître.

A ces hommes qui parlaient de lui il offrit sa présence, mais comme ils doutaient de lui, il leur dissimula son vrai visage. Il leur adressa la parole et leur reprocha leur dureté d’esprit. Il leur découvrit dans la Sainte Ecriture les mystères qui le concernaient, mais, il feignit de poursuivre sa route…

En agissant ainsi, la vérité qui est simple ne jouait nullement double jeu : elle se montrait aux yeux des disciples, telle qu’elle était dans leur esprit. Et le Seigneur voulait voir si ces disciples, qui ne l’aimaient pas encore comme Dieu, lui accorderaient du moins leur amitié sous les traits d’un étranger.

Mais ceux avec qui marchait la vérité ne pouvaient être éloignés de la charité : ils l’invitèrent donc à partager leur gîte, comme on le fait avec un voyageur. Dirons-nous simplement qu’ils l’invitèrent ? L’Ecriture précise qu’ils le pressèrent (Lc 24, 29). Elle nous montre par cet exemple que, lorsque nous invitons des étrangers sous notre toit, notre invitation doit être pressante.

Ils apprêtent donc la table, ils présentent la nourriture, et Dieu, qu’ils n’avaient pas reconnu dans l’explication de l’Ecriture, ils le découvrirent dans la fraction du pain. Ce n’est pas en écoutant les préceptes de Dieu qu’ils furent illuminés, mais en les accomplissant : Ce ne sont pas les auditeurs de la loi qui seront justes devant Dieu, mais les observateurs de la loi qui seront justifiés (Rom. 2, 13)

Quelqu’un veut-il comprendre ce qu’il a entendu, qu’il se hâte de mettre en pratique ce qu’il en a déjà pu saisir. Le Seigneur n’a pas été reconnu pendant qu’il parlait : il a daigné se manifester lorsqu’on lui offrit à manger.

Aimons donc l’hospitalité, frères très chers, aimons pratiquer la charité. C’est d’elle que Paul nous parle : Persévérez, dit-il, dans la charité fraternelle. N’oubliez pas l’hospitalité, car c’est grâce à elle que quelques-uns, à leur insu, hébergèrent des anges (Hébr. 13, 1-2) Pierre dit aussi : Pratiquez l’hospitalité les uns envers les autres, sans murmurer (1 Pierre 4, 9) Et la vérité elle-même nous en parle : j’étais un étranger, et vous m’avez recueilli (Mt. 25, 35). Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, nous dira le Seigneur au jour du jugement, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt. 25, 40) Et malgré cela, nous sommes si paresseux devant la grâce de l’hospitalité !

Mesurons, mes frères, la grandeur de cette vertu. Recevons le Christ à notre table, afin de pouvoir être reçus à son éternel festin. Donnons maintenant l’hospitalité au Christ présent dans l’étranger, afin qu’au jugement il ne nous ignore pas comme des étrangers, mais nous reçoive comme des frères dans son Royaume.

1 Les paroles entre guillemets et en italique sont de St Jean Paul II et se trouvent dans l’encyclique « Mulieris dignitatem ».