Homélie dimanche 29/10/17

Même si la Loi peut être considérée comme une pièce de monnaie, on ne tire pas à pile ou face pour savoir ce qu’on veut vivre !

Bonne semaine !

Roger

Vous avez sans doute été témoin de cette question très embarrassante que certains adultes posent à des enfants : « Qui est-ce que tu aimes le mieux, ton papa ou ta maman ? » C’est sûr que c’est terrible de poser une telle question à un enfant parce qu’il n’a pas à faire de choix. Il aime forcément autant son papa que sa maman, sauf peut-être dans les cas où l’un des deux est vraiment défaillant. Mais encore, même dans ces situations, il se construit souvent, de manière imaginaire, le papa ou la maman idéale qu’il aimerait avoir. Ça n’a vraiment pas de sens de poser une telle question à un enfant. D’ailleurs, je suis sûr que, l’enfant, il aimerait répondre : ce que j’aime le mieux, c’est quand mon papa et ma maman s’aiment très fort !

Eh bien, je crois que la question que les pharisiens posent à Jésus est aussi embarrassante que celle que je viens d’évoquer ou disons-le autrement, elle n’a pas plus de sens que la question qu’on pose aux enfants en leur demandant de choisir qui ils aiment le mieux. D’ailleurs vous aurez remarqué que cette question est posée dans un contexte polémique et qu’elle vise bien à mettre Jésus dans l’embarras. C’est quand ils apprennent que Jésus a cloué le bec aux saduccéens que les pharisiens passent à l’attaque ! Les saduccéens et les pharisiens ne pouvaient pas se voir. Un des points qui les divisait profondément, mais c’était loin d’être le seul, le passif entre eux était très important, c’était la foi en la résurrection des morts. Les saduccéens, en effet, refusaient de croire en la résurrection. Ils étaient donc venus trouver Jésus pour le mettre dans l’embarras en lui citant cette situation invraisemblable d’une femme qui a eu 7 maris, tous morts les uns après les autres. Pour le piéger, ils lui demandent: à la résurrection, qui sera son mari puisqu’elle en a eu 7 ? Comme toujours, Jésus va leur répondre de manière très habile.

Les pharisiens l’ont appris et ils sont très contents de savoir que leurs adversaires, les saduccéens, ont été défaits. Mais pour que leur joie puisse être totale, il leur faudrait une autre défaite. Parce que si les saduccéens sont leurs ennemis, Jésus n’est pas leur ami ! La défaite des saduccéens les réjouit, mais pas la victoire de Jésus ! Ils veulent donc faire trébucher Jésus pour qu’ils apparaissent comme les grands vainqueurs. Jésus a été victorieux des saduccéens, mais eux, ils veulent être victorieux de Jésus. Et c’est pour cela qu’ils lui posent cette question embarrassante : dans la Loi, quel est le plus grand des commandements ? Et je dis que cette question est aussi embarrassante que celle que l’on pose à un enfant quand on lui demande de choisir entre son père et sa mère car, finalement, poser cette question, c’est aussi obliger Jésus à faire un choix : qui est-ce que tu préfères ? Ton Père ou tes frères ?

En effet, dans la Loi, il y a beaucoup de commandements qui concernent Dieu, le respect de Dieu et beaucoup de commandements qui concernent les hommes, le respect des hommes. La 1° lecture nous a donné un certain nombre de ces commandements obligeant au respect des hommes, particulièrement les plus fragiles. Demander à Jésus de dire quel est, dans toute la loi, le plus grand des commandements, c’est le mettre face à un piège terrible qui pourrait permettre aux pharisiens de remporter une brillante victoire contre Jésus. Ainsi, ils pourraient apparaître, comme les champions toutes catégories, ils ont vaincu celui qui a vaincu leurs ennemis, ils sont donc les grands vainqueurs !

Comme d’habitude, Jésus va réussir à se sortir de ce piège et vous aurez remarqué qu’il le fait sans humilier ceux qui lui avaient tendu ce piège, comme il avait refusé d’humilier les saduccéens qui étaient venu lui tendre un autre piège. Pour Jésus, faire triompher la vérité, ça ne se fait jamais en maltraitant les personnes. Comme il serait bon que nous nous inspirions de cette manière de faire. Oui, la défense de la vérité exige un combat souvent âpre, mais nous ne pourrons jamais nous réjouir d’avoir gagné le combat si en même temps nous avons blessé nos adversaires.

Pour répondre à cette question embarrassante, Jésus refuse donc de choisir en citant un commandement qui privilégierait le respect de Dieu, son Père ou le respect des hommes, ses frères. Sa réponse est habile, citant le respect de Dieu, il dit : voilà le grand, le premier commandement. Et il y en a un second qui lui est semblable et il cite le respect des hommes. C’est à dire que, pour Jésus, la Loi, c’est un peu comme une pièce de monnaie qui a deux faces : sur une face, le respect de Dieu, sur l’autre face, le respect des hommes, mais ces deux faces sont absolument inséparables. Ça signifie que nul ne peut se prétendre chrétien s’il dissocie les deux faces de la Loi, c’est à dire s’il privilégie l’une des faces au détriment de l’autre.

Et nous savons que la tentation est forte car l’équilibre n’est pas toujours facile. Il y en a qui se définiraient plutôt comme des chrétiens spirituels mettant en premier dans leur vie la dimension de prière, valorisant le respect dû à Dieu en oubliant souvent le respect dû aux hommes et à tous les hommes. D’autres, au contraire, se définissent comme des chrétiens sociaux, ils sont généreusement engagés dans la lutte pour le respect des hommes, mais ils ne mettent pas comme une dimension prioritaire de leur vie chrétienne la participation à la messe, la vie de prière. C’est peut-être moins fort aujourd’hui, mais il faut reconnaître que ces débats ont agité et divisé notre Église pendant des dizaines d’années : qu’est-ce qui est prioritaire : la prière ou l’action ? Vraiment ce genre de question n’a pas de sens, nul ne peut se dire chrétien s’il n’accepte pas que ces deux dimensions soient les deux faces d’une même pièce. Alors, c’est vrai, selon nos tempéraments et peut-être que ça peut changer au cours de notre vie, nous sommes plus spontanément à l’aise avec l’une des deux dimensions. Mais, vouloir devenir toujours plus chrétien nous obligera à demander la grâce de vivre un bel équilibre entre ces deux dimensions.

Je termine en soulignant que Jésus donne quand même un ordre entre ces deux dimensions. Si la vie chrétienne est comme une pièce qui a deux faces, Jésus ne tire pas à pile ou face pour savoir par quelle dimension il va commencer. Non, très clairement, il explique que le grand, le premier commandement consiste à aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit. Ça signifie que lorsqu’on met le respect de Dieu à la 1° place, le respect des frères viendra naturellement. Si j’accueille dans ma vie l’amour du Père, il me donnera l’amour des frères. Plus je laisserai l’amour du Père inonder ma vie et plus l’amour des frères deviendra comme une seconde nature. J’aime beaucoup cette remarque de Jésus dans le sermon sur la montagne : cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste se mettra en place, à sa juste place dans vos vies.

Il me semble que c’est exactement ce que Jésus veut nous dire dans cet évangile en rappelant que respect de Dieu et respect des frères ou mieux amour de Dieu et amour des frères sont les deux faces de la vie chrétienne qu’on ne pourra jamais séparer. Mais il précise que l’équilibre ne sera possible que si on cherche d’abord à accueillir l’amour de Dieu. Oui, cherchons d’abord le Royaume de Dieu et sa justice et l’amour des frères trouvera sa juste place dans nos vies.