Homélie dimanche 26/11/17: Si vous aimez jouer au jeu des 7 erreurs, l’évangile d’aujourd’hui pourrait vous intéresser !

Bonne semaine!

Roger

 

Quand vous étiez enfant peut-être que vous aimiez jouer comme moi au jeu des 7 erreurs. Vous savez, on trouvait ça sur des magazines pour enfants, il y avait deux dessins qui semblaient être parfaitement identiques et on nous disait : celui qui a reproduit le 1° dessin a fait 7 erreurs, à vous de les trouver. Il fallait souvent chercher avec beaucoup d’attention parce que ce n’était pas évident, on en trouvait vite 4 ou 5, mais les deux ou 3 dernières étaient plus difficiles à trouver ! Personnellement j’aimais bien ce jeu.

Eh bien figurez-vous que je m’y suis amusé avec le texte d’évangile que nous venons d’entendre. Il ne vous aura pas échappé que nous avons deux fois le même récit une fois en blanc et une fois en noir. C’est à dire que Jésus, qui parle de lui en se désignant comme le Fils de l’Homme, dit deux fois la même chose : une fois en positif, une fois en négatif. Une première fois, il loue l’attitude de ceux qui auront été capables de le reconnaître présent dans les plus petits et, la deuxième fois, il reprend ceux qui n’ont rien fait vis à vis des petits. Je vous l’ai souvent dit : c’est dans les détails que l’évangile est habituellement le plus parlant. Alors puisqu’il semble que ce soit deux fois la même chose avec un récit positif et un récit négatif, écrivons ces deux récits en parallèle pour être bien sûr que c’est la même chose, qu’il n’y a pas, comme dans le jeu des dessins, quelques erreurs qui se sont glissés, mais là il ne s’agira pas d’erreurs, mais de différences et elles pourraient bien devenir parlantes.

Quand on fait cet exercice, il y a au moins 2 différences qui apparaissent, en fait, il y en a plus, mais ce sont ces deux différences qui m’ont parlé.

1/ Vous aurez remarqué  que dans les deux récits, ceux à qui Jésus adresse des compliments ou des reproches ne comprennent pas pourquoi ils méritent ces compliments ou ces reproches : quand ont-ils vu Jésus être en difficulté ? Et ce qui est intéressant c’est que, ceux à qui il adresse des compliments, eux, ils reprennent toutes les situations difficiles que Jésus a évoquées et ils les reprennent dans les mêmes termes que Jésus les avait énoncées : « Tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? Tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? Tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? Tu étais nu, et nous t’avons habillé ? Tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ? » Alors que les seconds, eux, ils vont faire un résumé très rapide de ces situations : « Quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ? » On pourrait penser que c’est juste un détail de formulation, je ne le pense pas. Les premiers, ils reprennent le mot à mot des situations de détresse parce que ces situations leur paraissent trop insoutenables, du coup, ils prennent le temps de s’arrêter sur chacune de ces situations, ils ont perçu que, derrière ces situations, il y a des personnes qui souffrent. Puisqu’ils agissent ainsi dans leurs paroles, il n’y a pas à s’étonner qu’ils agissent aussi en actes : ils ont pris le temps de s’arrêter pour faire du bien à ceux qui vivaient ces situations dramatiques. Les seconds, eux ils résument en quelques mots ; pour eux, ces situations ne sont que des situations, ils passent très vite dessus parce qu’ils n’ont pas été capables de voir qu’il y avait des personnes qui souffraient dans ces situations dramatiques évoquées par Jésus.

C’est un peu comme à la télé, à la radio, dans les journaux quand on nous donne les statistiques du chômage, de la pauvreté : on nous annonce des chiffres. Si nous n’entendons que des chiffres et des pourcentages quand les situations de misère sont évoquées, évidemment, ça ne va rien déclencher, si, par contre, immédiatement nous mettons des visages derrière ces chiffres, alors, à l’écoute de ces statistiques, notre cœur sera forcément déchiré et nous ne pourrons pas rester indifférents, inactifs.

Voilà donc une première différence assez parlante du texte qui nous interroge profondément. Si nous ne sommes jamais touchés quand nous entendons l’énumération des situations dramatiques chez nous et dans le monde, si pour nous, toutes ces situations, c’est de la misère et que nous nous donnons bonne conscience en disant qu’on ne peut pas soulager toute la misère du monde, alors nous appartenons à la deuxième catégorie de personnes qui n’auront pas un avenir très enviable.

2/ Deuxième différence qui va venir préciser ce que je viens de dire. Quand Jésus écoute l’étonnement des deux catégories qui ne comprennent pas quand ils ont pu le voir en situation si difficile, il répond aux premiers : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » et au second, il répondra : « Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait. » La différence est presque imperceptible, il ne manque qu’un seul mot, mais quel mot ! Il manque le mot de « frères. » Aux premiers, Jésus précise que les plus petits sont ses frères, il ne le fait pas pour les seconds. C’est à dire que Jésus souligne que, finalement, si les premiers ont agi, c’est parce qu’ils ont été capables de reconnaître des frères dans les personnes souffrantes alors que les seconds ne voyaient que des situations lointaines qui ne les touchaient pas vraiment. Plusieurs fois j’ai déjà dit que j’aimerais qu’on réécrive la devise républicaine dans le bon ordre en commençant par fraternité puis égalité et enfin liberté. C’est de fraternité qu’il manque, particulièrement dans nos pays riches, de la liberté, on en a et on ne s’en sert pas toujours très bien, ce n’est donc pas la liberté qui est à défendre en 1° mais c’est la fraternité qui est à promouvoir de toutes urgences. En effet, quand les hommes se considèrent comme des frères, ils travaillent avec ardeur au respect de chacun et donc à l’égalité de tous. Et c’est quand tous sont frères qu’une vraie liberté peut advenir. Il me semble que c’est ce que veut dire cette deuxième différence que l’on peut repérer en étant très attentif. Petite différence du texte, mais, vous l’aurez compris, grosses conséquences dans le comportement.

Je termine en évoquant un point assez étonnant. Ce texte parle du jugement dernier donc de ce qui va conditionner notre avenir éternel. Eh bien, chose étonnante, à aucun moment, Jésus ne dit que, pour déterminer notre avenir éternel, il va comptabiliser les heures passées à prier et que ces heures seront déterminantes. Non, il ne le dit pas : le seul élément déterminant qui sera pris en compte, c’est notre capacité à voir dans ceux qui souffrent des frères. Alors, est-ce à dire que la prière et la messe, ce n’est pas important et que l’essentiel, c’est d’agir ? Je ne crois pas que l’on puisse formuler les choses ainsi.

Parce que ça ne sera jamais naturel et immédiat de reconnaître des frères dans ceux qui souffrent. Nous pouvons tous avoir une charité et donc une fraternité sélective : telle situation nous émeut et nous mobilise, déclenche notre générosité tandis que telle autre ne nous touche pratiquement pas. Nous continuons tranquillement à manger notre soupe pendant qu’on nous parle de personnes en grande détresse.

Or, nous l’avons bien compris, à la lecture de ce texte d’évangile, Jésus ne nous invite pas à choisir le bien que nous voulons faire. Il ne nous dit pas : si vous réagissez favorablement à 50% des situations de détresse, c’est déjà pas mal ! Il nous dit que notre avenir éternel se joue sur notre capacité à voir en tout homme qui souffre un frère, quel que soit cet homme et quelle que soit sa souffrance. Entendre cela pourrait nous effrayer car, encore une fois, nul d’entre nous n’a immédiatement une charité et une fraternité universelle. Eh bien c’est là qu’interviennent la force et la nécessité de la prière et surtout de la messe. Ce sont elles qui me donneront une charité et une fraternité de moins en moins sélectives. A force de recevoir Jésus qui s’est fait le frère de tous, je finirai bien par lui ressembler … et vous aussi ! Il y a au moins une chose que nous pouvons faire et à laquelle le pape François nous invite dans un message qu’il vient de faire paraître, c’est de, au moins, regarder les personnes en situation difficile, de leur manifester justement de la fraternité. Si nous ne pouvons pas donner d’argent, nous pouvons toujours donner une poignée de main, un sourire, une marque d’attention et souvent, pour ces personnes en difficulté, ça vaut de l’or !

Père Roger Hébert