Homélie L’ASCENSION 2021 B.

 

Première lecture : Ac 1,1-11 ; Psaume responsorial : 47(46) ; Deuxième lecture : Ep 4,1-
13 ; Evangile : Mc 16,15-20.

Le Mystère de l’Ascension sera loin d’être élucidé tant qu’on y pensera en termes du
Seigneur Jésus qui, montant au ciel, fait ses adieux à la terre. On ne l’épuisera pas non plus en le prenant pour la fin de la carrière terrestre d’un habitant du ciel. En réalité, l’Ascension contient beaucoup d’éléments contradictoires qu’il faut prendre en compte si l’on veut s’en donner une idée approximativement juste. En laissant donc de côté l’aspect prodigieux d’un homme que les disciples virent s’élever et disparaître à leurs yeux dans une nuée, appesantissons-nous sur le fait que le phénomène de l’Ascension correspond aussi au début d’un immense projet. L’Ascension constitue en effet le point que le Seigneur inscrit sur la barre de l’histoire humaine pour marquer non pas seulement la fin de sa propre carrière terrestre, mais aussi le début de la mission universelle de ses disciples. Voilà pourquoi il leur enjoint : allez dans le monde entier. Proclamez la bonne nouvelle à toute la création. Après
plus de deux mille ans de cette mission ininterrompue, retournons à sa source pour en évaluer les pesanteurs et les chances.

Les pesanteurs.
Héritiers que nous sommes du judaïsme, nous savons que celui-ci est plutôt une
religion tribale, peu encline au prosélytisme. On y adhère par le sang et la foi transmise par le sang même. Rien que les lois de pureté excluent tout autre, sans compter la douloureuse discipline de la circoncision qui est une condition d’adhésion incontournable. Il n’est pas dit que Jésus lui-même bouscule cet état de choses lorsqu’il fait se dérouler massivement son ministère dans les frontières de la Palestine, n’accomplissant que des sorties timides et épisodiques dans le très proche voisinage.

D’ailleurs ses disciples, insignifiants en nombre et humbles pêcheurs du lac, n’ont
même pas l’envergure humaine à la taille de cette mission, et se contentent d’une formation pas nécessairement élevée. De plus, leurs préoccupations nationalistes les intéressent plutôt à l’expulsion de l’occupant romain et à la restauration du royaume davidique. On voit que cette préoccupation ne disparaît pas de leurs rangs quand, l’instant d’avant l’Ascension du Seigneur, ils posent encore la question : Seigneur, est-ce maintenant que tu vas rétablir la royauté en Israël ? Enfin, lorsqu’on se souvient de comment leurs rangs s’éclaircissent rapidement à l’arrestation du Maître à Gethsémani, on se demande le courage qu’ils auront devant l’épée du persécuteur. Et si encore le Maître continuait d’être présent ! Voilà qu’il se dérobe à eux dans une nuée.

En de pareilles circonstances, comment rêver de succès pour la mission universelle des disciples ? En mettant bout à bout cette insuffisance logistique de départ d’une part et le succès de la mission d’autre part, il faut conclure que la mission est un véritable miracle. Mais comme la multiplication des pains s’effectue sur la base de cinq pains et deux poissons (Jn 6,9), la mission aussi est partie sur certaines chances de départ et ces chances sont essentiellement basées sur l’action du Seigneur en plusieurs phases.

Des chances.
D’abord, au jour même de l’Ascension, le Seigneur guérit ses disciples de deux maux.
Le premier, c’est la tentation de bâtir un royaume terrestre en s’inspirant du modèle
davidique. Le deuxième, c’est la fuga mundi : braquer les yeux au ciel et fuir les réalités du monde. Pour guérir ses disciples de ce dernier mal, Jésus envoie deux hommes en vêtements blancs leur dire : Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel… ?

Ensuite Jésus contribue puissamment à fortifier leur foi en soustrayant son corps à leur regard pour que désormais, ils le perçoivent avec le regard intérieur.
Enfin, son départ constitue une réelle permanence dans la mesure où le mystère de son ascension fait de lui un lointain voisin, un éloigné proche, un intime à l’extérieur, un présent absent. Sa mort qui est à l’origine de tout cela n’élève pas un mur, mais ouvre une porte. Et tout ce que je viens de citer comme antithèses trouve la synthèse dans l’Eucharistie. Que l’on se rende bien compte que c’est au cours d’un repas qu’il prenait avec eux, qu’il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem. Ce repas équivaut à ce que l’Eglise primitive appelle la fraction du pain en mémoire de la Cène du Seigneur. Et c’est vraiment l’Eucharistie le Sacrement de la mission universelle, car c’est par elle que le Seigneur au ciel est aussi sur la terre auprès de tous les peuples, comme pain de vie et nourriture de salut.

En parlant ainsi de la mission universelle, qui sentez-vous concernés sinon le Pape, les Evêques, les prêtres et les missionnaires ? Et pourtant, c’est chaque baptisé qui est concerné par la mission, car chacun d’eux est envoyé. Ne pas se sentir concernés, c’est démissionner.

Qui te dit que l’homme à évangéliser est de l’autre côté du monde, au-delà des mers ou des montagnes ? Ton plus proche voisin a besoin autant de l’Evangile de Jésus-Christ que de l’évangile de ta vie, de ton témoignage d’amour, de solidarité, de fraternité et de douceur. Si là où tu es, tu es capable – et c’est vrai – de nuire à l’Evangile par tous tes contre-témoignages, sois alors sûr que tu peux, en te convertissant, être un véritable missionnaire de l’Evangile, car tu ne fais le mal que là où tu peux faire le bien. Mais c’est à toi que Jésus, sur le point de s’asseoir à la droite du Père, dit aujourd’hui : allez dans le monde entier…