1) Conversion : se tourner vers le Christ qui nous aime.
Le récit de l’Evangile de ce dimanche (Lc 13,1-9) peut être divisé en deux parties. Une partie parle de l’appel à la conversion (13,1-5), tandis que l’autre partie nous présente la parabole du figuier stérile (13,6-9). Les deux parties trouvent leur point de rencontre dans le thème de la conversion.
« Convertissez-vous », nous demande le Sauveur, c’est l’invitation qu’Il nous fait entendre ce dimanche, comme c’est souvent le cas dans la liturgie du Carême. Le verbe « se convertir » est répété deux fois dans l’évangile d’aujourd’hui. L’avertissement est donné sous forme solennelle (« Je vous le dis… ») et comme condition indispensable pour échapper au jugement de Dieu (« Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous »). Luc ne s’intéresse pas en premier lieu au contenu de la conversion (ce qu’il faut changer) : il préfère nous faire prendre conscience que le jugement de Dieu est imminent et général.
« Convertissez-vous », nous demande le Sauveur, dans l’invitation qui nous est lancée en ce dimanche, comme cela arrive souvent dans la liturgie de Carême.
« Convertis-nous, ô Dieu, notre salut » nous fait prier la même liturgie. La conversion est donc un appel à recevoir, un don à demander au Sauveur.
Dans l’Evangile « romain » saint Luc nous parle du besoin de conversion, de son urgence, du jugement de Dieu qui plane sur nous. Mais que signifie se convertir?
Le verbe privilégié par l’Ancien Testament pour indiquer la conversion est shouv qui veut dire: changer de route, revenir au passé. Sur un plan existentiel ou éthique ce verbe, en hébreu, indique un changement de direction, un changement dans notre comportement. Toujours dans l’Ancien Testament, pour indiquer la conversion, figurent les verbes biqqesh et darash qui, en hébreu, signifient « chercher Dieu ou le bien ».
Le Nouveau Testament emploie le mot « epistrefein » qui signifie littéralement « se tourner vers », pour indiquer le changement extérieur et le changement de comportement, pendant qu’il utilise « metanoei » », qui vient du verbe grec « changer d’avis », composé de meta « après » et noeo « penser » pour indiquer le changement intérieur, le changement de mentalité. Le terme que Luc utilise dans notre texte est « metanoia » : il insiste donc sur le changement intérieur, sur la façon nouvelle et différente de penser, d’évaluer les choses, de les juger.
Le jugement de Dieu ne connaît pas d’injustice, il va au-delà de la justice (Divo Barsotti) et nous devons nous préparer en tournant notre intelligence vers la Vérité, la volonté au Bien, notre tête et notre cœur vers Jésus, notre Destin, afin que son Evangile soit un guide concret pour la vie, en demandant que Dieu nous transforme, en reconnaissant que nous dépendons de Dieu, de son amour créatif et miséricordieux.
Une miséricorde qui fait que l’infécondité du figuier devient pour le vigneron une invitation à travailler encore et encore plus pour que la plante soit mise dans les conditions de donner du fruit. A la tentation humaine de la dureté et de l’exclusion, la parabole oppose les efforts redoublés de la divine charité.
Le Seigneur, miséricordieux et patient, nous accorde encore du temps pour donner du fruit. Les paroles du Christ, le Vigneron, sont réconfortantes: « je bêcherai, mettrait du fumier autour, le soignerai… et tu verras qu’il donnera du fruit ». L’arbre de notre vie ne saurait pas fleurir, si nous ne nous convertissons pas au Christ qui, avec son amour, accomplit le miracle. Suivons donc l’invitation que Dieu, dans l’Ancien Testament adresse à son peuple: « Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment » (Joël 2, 12-13).
2) La conversion d’Abraham.
Dans cette marche vers Dieu, la liturgie ambrosienne, après nous avoir proposé « l’exemple » de Zachée et de la Samaritaine, nous propose aujourd’hui la grande figure d’Abraham, qui a converti sa vie, qui l’a offerte au point d’être prêt à sacrifier son fils Isaac.
Pour Abraham, la promesse de Dieu de lui donner un peuple innombrable fut plus sûre que le fait de son fils Isaac, qu’il ne refusa pas de sacrifier au Tout-Puissant qui le lui demandait.
Le total abandon à Dieu est source de tranquillité et de sérénité tant vis-à-vis du passé que de l’avenir. La conversion se réalise en renonçant à soi et à tout ce que l’on a de plus cher, comme un fils dans le cas d’Abraham, pour s’occuper exclusivement de Dieu et du beau projet qu’il a sur nous et sur le monde.
Si à cet abandon total nous joignons un amour confiant nous serons de plus en plus capables de ne pas prendre soin de nous-mêmes mais de laisser que ce soit le Seigneur à prendre soin de nous. Alors notre cœur se dilate et nous sommes soulevés du poids de nous-mêmes, un poids qui nous opprime. Nous nous rendrons compte avec stupeur que la voie à suivre est droite et simple.
Nous pensons que se convertir demande des efforts et une tension qui sont continus, des faits et des gestes à renouveler sans cesse. Selon moi, pour se tourner vers le Christ et le suivre de manière stable, il n’y a pas grand-chose à faire : il suffit, sans même trop raisonner sur le passé ou sur l’avenir, de le regarder sur la Croix avec confiance, comme un Frère qui nous conduit dans la réalité présente, comme main dans la main. Si par la plus petite ou la plus longue des distractions nous devions le perdre de vue, ne cédons pas mais adressons-nous à Lui, et nous comprendrons le bien qu’il veut pour nous. Si nous péchons, convertissons-nous en ayant recours au sacrement de la Pénitence et faisons une pénitence qui soit une souffrance d’amour total
3) De la conversion à la consécration.
La confession est appelée « sacrement de la Pénitence puisqu’il consacre une démarche personnelle et ecclésiale de conversion, de repentir et de satisfaction du chrétien pécheur » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 1423). La première conversion nous l’avons eue par le baptême, mais « la vie nouvelle reçue dans l’initiation chrétienne n’a pas supprimé la fragilité et la faiblesse de la nature humaine » (1426), donc la conversion est une loi qui dure toute la vie, jusqu’au moment où l’homme rend le dernier souffle: il en a été ainsi pour Saint Pierre et pour Saint Paul, pour tous les saints, à plus forte raison pour chacun de nous.
Se convertir, c’est « abandonner sa propre volonté en celle du Christ, par l’humilité » (Saint Bernard, Sur la conversion – Sermon 34). En cela en sont témoins les Vierges consacrées qui, à la question de l’Évêque: « Voulez-vous vivre seulement pour Dieu dans le silence et dans la solitude, dans la prière assidue et dans la pénitence joyeuse, dans le travail caché et au service des autres », ont répondu: « Oui, nous le voulons » (Rituel de la Consécration des vierges, n. 55)
Ces personnes témoignent que la consécration de la vie à Dieu signifie « vérité d’amour », « travail », « justice », signifie « la vie même ». La vie entière se transfigure en s’offrant à Dieu. La charité parfaite (en laquelle consiste la perfection de tous les Chrétiens) vécue virginalement conduit toute la personne dans son Créateur et peut se définir: une consécration totale ou sacrifice que l’être humain fait de lui à Dieu, à l’image de ce que fit notre Rédempteur Jésus-Christ.
Par cette consécration, les Vierges consacrées sont un signe pour tous que l’essentiel est de n’avoir d’autre but ultime que Dieu dans toutes nos actions, de ne pas faire d’autre profession, ni de rechercher d’autres saveurs sur terre, si ce n’est celle de plaire à Dieu et de le servir : autrement dit d’être justes en pratiquant la sainte loi de la charité.
C’est pourquoi le Pape François enseigne : « Voilà la règle de la conversion : s’éloigner du mal et apprendre à faire le bien. La conversion est un chemin. C’est un chemin qui demande du courage pour s’éloigner du mal et de l’humilité pour apprendre à faire le bien. Et ce chemin a surtout besoin de choses concrètes » (Méditation du matin dans la chapelle de la Domus Sanctae Marthae, Apprendre à faire le bien – 14 mars 2017). Les choses concrètes du chemin du Carême sont les œuvres de pénitence qui nous ramènent à l’état de lumière, dont le fruit consiste en toute sorte de bonté, de justice et de vérité.
Lecture patristique
Saint Bernard de Clairvaux
Sur la conversion – Sermons 34-39
Comme il n’existe pas (ou du moins je ne l’ai pas trouvée) de traduction italienne du texte cité de Saint Bernard je propose l’extrait d’un texte du P. Giovanni Lunardi.
« Mais pour emprunter et vivre le chemin de l’amour, la seule chose à faire, et qui est une condition indispensable, est de se convertir, c’est-à-dire abandonner sa volonté, avec humilité. Bernard le découvre en lisant l’Evangile, à l’endroit même où Jésus recommande aux disciples: « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le Royaume des cieux” (Mt 18,3). Et que signifie encore devenir de petits enfants – se demande Bernard – si ce n’est de devenir humbles » ? (Sur le carême II, 1). Se convertir se réduit donc à apprendre cet art difficile qu’est l’humilité!
Et l’humilité consiste tout simplement à former en soi une vision exacte de ce que l’on est. « L’humilité est une vertu par laquelle l’homme devient méprisable à ses propres yeux en raison de ce qu’il se connaît mieux – humilitas est virtus qua homo verissima sui cognitione sibi ipsi vilescit » (Sur l’humilité, 2). C’est-à-dire: nous sommes grands, parce que « aucune créature n’est plus proche de Dieu que celle faite à l’image de Dieu » (De diversis, IX, 2). Mais nous sommes également petits à cause de la présence du péché personnel – « L’orgueil est le désir de sa propre supériorité – Superbia est appetitus propriae excellentiae » (Lett. 42).
La conversion signifie donc reprendre, reconquérir avec effort ce qui relève de la nature humaine, c’est-à-dire l’humilité. L’homme est de nature humble! L’orgueil, au contraire, est un produit inventé par le diable, et exporté dans l’homme. Il faut, en d’autres mots, sonder les profondeurs de son cœur, obtenir par un travail dur et assidu, une idée exacte de soi. En effet, l’amour-propre, l’orgueil, sont les grands ennemis de l’existence chrétienne, qui naissent précisément de cette ignorance que l’on a de soi. Moins on se connait et plus on court le risque de tomber dans l’orgueil.
De l’humilité nait la charité envers autrui. Notre misère devant Dieu nous fait prendre notre juste place aussi devant les autres. En passant par l’exacte connaissance de nous-mêmes nous arrivons à la connaissance de la faiblesse autrui. A travers notre faiblesse et fragilité personnelle, nous dit Bernard, nous réfléchissons presque comme dans un miroir, celle de notre prochain: le chrétien, « partant de sa propre misère méditera sur celle de tous les autres » – « ex propria miseria generalem perpendat » (Sur les degrés de l’humilité et de l’orgueil, 16). Dieu nous laisse dans nos défauts, pour que nous comprenions ceux des autres. En effet, les autres et nous-mêmes sommes faits de la même pâte. De là une seule conclusion paraît possible: avoir de la compassion pour mes misères personnelles fera que je n’aurai jamais d’attitudes sévères à l’égard de mon frère qui pèche, je devrai être ouvert à un pardon indéfini. Tu es un malade grave – rappelle Bernard et il te sera impossible de ne pas compatir ton frère qui est malade comme toi. En effet « seul un malade peut comprendre et compatir un autre malade » – « solusaeger aegro compatitur » (Sur l’humilité, VI). Les chrétiens « en partant de leurs souffrances personnelles, apprennent avoir de la compassion pour les souffrances d’autrui » (Sur les degrés de l’humilité, 18).
Dans ce contexte on comprend la nécessité de la prière, comme expression d’amour. C’est pourquoi il faudrait toujours prier, et prier à Dieu : « Tout le temps que tu passes à ne pas penser à Dieu, tu dois te dire que c’est du temps perdu » – « omne tempus in quo de Deo non cogitas, hoc te computes perdidisse » (PL 184, 497A). « Il ne faut pas se mettre en prière une fois ou deux, mais fréquemment et assidument, en présentant à Dieu les désirs de ton cœur et, au moment opportun, aussi à voix haute » – « Non enim semel vel bis ad orationem est accedendum, sed frequenter et assidue, ad Deum extendentes desideria cordis et in tempore opportuno aperientes vocem oris » (Sermon sur l’avent).
Qualité de la prière: 1.- humble… La prière est « rencontre » avec le Seigneur alors que tu es si petit. » « et si tu es privé de la grâce, sois bien sûr que c’est ton orgueil qui en est la raison, même si ça ne se voit pas et que tu ne t’en rends pas compte » » (Sut le cantique 54, 10). 2.- Pure. Il s’agit de chercher Dieu uniquement pour soi-même (Sur le cantique, 40, 3). : « Vous ne priez pas comme il faut, si dans votre prière, vous cherchez quelque autre chose que le Verbe, ou que vous ne le cherchiez pas pour le Verbe » (Sur le cantique 86, 3). 3.- dévote, autrement dit fervente. »