Homélie dimanche 28/06/2020

XIIIème Dimanche du Temps Ordinaire A

L1 : 2 R 4, 8-11. 14-16a ; Ps 88 (89) ; L2 : Rm 6, 3-4. 8-11 ; Évangile : Mt 10, 37-42

 

Un jour, un non chrétien, à travers son ami chrétien, tient ce discours à tous.

“Vous les chrétiens, on se demande si vous avez bien réfléchi avant de vous engager à la suite de cet homme Jésus et de l’adopter comme Maître. Vous êtes d’accord avec moi qu’à part sa naissance d’une fille-mère, sa fin n’avait rien de bien glorieux : la mort sur une croix. N’est-ce pas à cause de lui que la croix est prise comme symbole de torture, de douleur, d’opprobre et de tout ce qui incommode et agace ? Votre Maître est un crucifié, dépouillé de tout, de ses vêtements, de l’honneur et de la vie. La joie, l’avoir, le pouvoir, les richesses et même le bonheur ne lui sont-ils pas étrangers ?

Que celui-là se mette devant et vous demande de le suivre, et que vous-mêmes le suiviez vraiment, où peut-il vous mener, sinon à la ruine ? Imaginez avec lui le phénomène que vous constituez : un pauvre devant, des pauvres derrière, défilé de misérables, cortège de damnés de la terre, qeuleuleu de prolétaires à qui on enlève la joie, qui traînent l’existence dans le manque, sans oser élever la voix, sans songer à s’organiser en révolution pour renverser la bourgeoisie compradore, des prolétaires qui, au contraire, se nourrissent de doctrines de soumission et de douceur conduisant à une infâme résignation. 

Ce Jésus, à des gens qui déjà n’ont rien, demande de tout laisser pour le suivre, et à ce à quoi ils ont naturellement droit (le père, la mère, le fils, la fille), il faut que ses disciples renoncent. L’objectif, c’est pour qu’ils soient dignes du Maître. Vous, être dignes de lui ! Mais est-ce là le Maître digne de vous ? Digne de vous un pauvre ? Vous n’y pensez pas. Pour être digne de vous, est-ce lui qu’il vous faut ? Qu’avez-vous à chercher à être digne de celui qui n’est pas digne de vous ?

Ah, Jésus votre Maitre ! Si je le tenais, je le crucifierais une autre fois ! Un Maître dont le sort est d’être triste et le destin violent. Ah, chrétiens mes frères, votre Maître est triste, car on ne rigole pas sous la croix, il est triste. Un Maître triste est un triste Maître !

Jésus veut, de surcroît, qu’on l’aime plus que tout. Mais quel homme trouves-tu au-dessus de l’homme pour qu’il mérite que tu l’aimes plus que toi-même ? Ce Jésus, pour tant exiger de ses disciples, que prétend-il être ?”

Cette dernière question en engendre d’autres, lancinantes en moi. Ce Jésus, qui prétend-il être ? Est-il à la hauteur de ses prétentions ? N’est-il pas, comme dit l’autre, un doux rêveur ? Sa pensée est-elle réaliste ? Pour finir, ne se berce-t-il pas ou ne nous berce-t-il pas d’illusions ?

Au fond, Jésus est un dénonciateur d’illusions. Or, l’illusion ne se dénonce pas elle-même, car les loups ne se mangent pas entre eux. Qu’est-ce qui dénonce mieux l’illusion que la réalité ? Qu’est-ce donc que la réalité ?

Réellement, Jésus m’a fait voir l’homme qui a accumulé des richesses considérables. Il a abattu ses anciens greniers, il en a construit de plus grands, il a fait gonfler ses comptes en banque. Ses biens étaient à lui, il ne partageait rien avec personne, de peur de ne pas en avoir assez pour lui-même. Il a accumulé de l’or comme du sable, il était sourd au cri du nécessiteux. Il entendait garantir la sécurité de sa vie par l’immensité de son avoir. Mais, à l’orée de la tombe, ses avoirs l’ont lâché, il a dû tout laisser à des héritiers qui ne s’étaient pas donné de la peine, car là-bas, il ne pouvait rien emporter. Voilà l’illusion que dénonce le réalisme de Jésus. 

Réellement, Jésus m’a fait voir un homme qui, sur la terre s’est donné tous les moyens pour se payer tous les plaisirs. Il ne se privait de rien. Le plaisir, la jouissance à lui et à lui seul. Au-delà de son portail, il ne voyait pas le pauvre qui ne rêvait pas à la jouissance, mais à la satisfaction des besoins alimentaires élémentaires. Il jouissait tant et si bien que tous l’acclamaient, car tout allait bien pour lui. Mais au temps de la vieillesse, il a perdu le goût et le sommeil, et à l’orée de la tombe, les plaisirs l’ont lâché et ne l’ont pas suivi au-delà du monde présent. L’homme nanti ne dure pas. Voilà le réalisme qui dénonce l’illusion des vautrés. On pourrait en citer d’autres, de même nature et de même tragique.

À celui qui dénonce l’illusion je me fie et lui demande : que dois-je faire… ? Et il me dit : lève-toi, laisse tout, prends ta croix et suis-moi. Il me dit encore : le choix que tu fais de moi, mets-le au-dessus de tout. 

Mais alors, Jésus ne me demande pas de haïr les miens, mais mes relations avec lui éclairent d’une lumière nouvelle mes relations avec les autres. Les aimer parce j’aime Jésus, les aimer parce que Jésus est dans tous ses envoyés, les aimer parce tous me sont envoyés, parce que Jésus est dans les plus petits autant que dans les grands, c’est une nouvelle lumière sur l’amour. Et quelle joie d’accueillir tous comme d’autres Jésus ! Quelle joie de trouver Jésus dans les autres ! La récompense, c’est cette joie même, déjà sur la terre.

Avec Jésus, je ne fais donc pas un cortège, je fais une chaîne : il me tend la main, je la prends ; je tends l’autre main à mon frère qui la prend et tend l’autre main à son autre frère… C’est la chaîne, et ensemble, nous marchons, nous marchons dans cette vallée de larmes comme ceux-là qui s’en vont, qui s’en vont en pleurant quand ils portent la semence. C’est ce que l’autre a pris pour la queuleuleu des prolétaires. Qu’il attende donc de nous voir revenir, de nous voir revenir dans la joie, portant la moisson de la Résurrection, car c’est cela l’aboutissement de la croix. Qu’il attende de nous voir revenir en chantant, en marchant et surtout en montant, car c’est une chaîne qui nous attire au ciel.