Homélie dimanche 28/01/ 2018: Mettre nos actes en accord avec nos paroles.

Ah si Marc avait rendu une telle copie à mon prof de français, il aurait eu de grosses remarques en rouge dans la marge !

Bonne semaine avec la force du St Esprit pour nous aider à mettre nos actes en accord avec nos paroles.

Roger

 

Vous vous rappelez sans doute de ces copies de rédactions ou dissertations que nos professeurs nous rendaient. Avec leurs stylos rouges, ils mettaient dans les marges un certain nombre d’appréciations. Il y en a une qui revenait assez souvent : « répétition, signe que vous n’avez pas relu assez attentivement votre copie »  Cette remarque était assez vraie, quand on relit attentivement son texte, on n’écrit pas trois fois le même mot en sur trois lignes qui se suivent !

 

Eh bien, l’évangéliste Marc aurait bien pu avoir une gosse remarque en rouge sur la marge du texte d’évangile que nous venons d’entendre. Cette répétition, je pense que vous l’avez entendue : « Jésus se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité » Trois fois le mot enseignement en trois lignes, pour une répétition, c’est une répétition ! Et le plus fort, c’est que vous avez beau lire avec beaucoup d’attention, le texte, Marc ne nous donne pas un seul mot du contenu de l’enseignement de Jésus ! Il nous dit juste que Jésus enseignait avec autorité, que son enseignement était nouveau, qu’il frappait tout le monde parce que son enseignement ne ressemblait en rien à celui des scribes.

 

Oui, c’est vraiment étonnant, cette manière de faire, c’est comme si quelqu’un vous expliquait qu’il est allé manger chez Paul Bocuse, qu’il insiste pour vous dire que c’était bien chez Paul Bocuse, que chez Bocuse, on mange comme des rois et qu’il ne vous donne pas le détail de ce qu’il a mangé et des saveurs qui ont régalé ses papilles. Qu’il ne parle pas de l’addition, on le comprend bien, mais du contenu du repas et des saveurs, c’est quand même l’essentiel ! Il est possible qu’au bout d’un moment vous l’interrompiez en lui disant : mais enfin, quand est-ce que tu vas te décider à parler de l’essentiel ? Avec ce texte d’évangile, on est un peu dans le même cas de figure. Marc se débrouille pour nous mettre l’eau à la bouche en nous parlant d’un enseignement de Jésus aux saveurs absolument merveilleuses, tellement originales qu’elles sont inoubliables sans nous dire un mot du contenu !

 

Vous imaginez bien que tout cela n’est pas une faute de style ! C’est délibérément que Marc a choisi de faire ces répétitions du mot enseignement ; et c’est tout aussi délibérément qu’il a parlé de cet enseignement si exceptionnel sans en donner le contenu, du moins pas le contenu que nous attendions. Parce que si nous lisons attentivement le texte, il y a bien un enseignement qui nous est rapporté, mais ce n’est pas un enseignement comme nous sommes habitués, c’est un enseignement en actes avec très peu de paroles. Et, là, finalement, ce que Jésus fait est plus important que ce qu’il dit.

 

Dans le récit que fait Marc, on peut imaginer que l’enseignement de Jésus, son enseignement en paroles, a été perturbé par l’intervention de cet homme possédé. Jésus était en train d’enseigner lorsque cet homme a pris la parole sous l’influence de l’esprit mauvais qui le dominait. Il m’est arrivé pareille mésaventure, il y a déjà pas mal d’années, pendant que je prêchais, un homme est intervenu assez fortement en me prenant à parti, j’ai vite compris qu’il était sous l’emprise de l’alcool. Je vous avoue que je m’en suis beaucoup moins bien tiré que Jésus ! Et j’ai bien regretté que pas un paroissien ne se soit levé pour essayer de me venir en aide en calmant cet homme !

 

Il n’est vraiment pas impossible que cet homme soit venu en plein milieu de la prédication de Jésus. Alors, Jésus, comprenant qu’il ne pourra plus parler, va agir, donner un enseignement en actes. Puisque nous sommes au tout début du ministère public de Jésus, puisque ce texte nous rapporte la 1° prédication de Jésus dans une synagogue, on peut imaginer qu’il était en train d’expliquer comment il voulait accomplir sa mission. Peut-être avait-il commencé la même prédication qu’il fera à la synagogue de Nazareth en commentant ce passage du prophète Isaïe : « Le Seigneur m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » Vous savez comment il avait conclu cette prédication : c’est aujourd’hui que cette parole s’accomplit. Là, à Capharnaüm, peut-être n’a-t-il pas eu le temps de conclure, mais peu importe, ce qu’il n’a pas eu le temps de dire, il va le faire ! Il va montrer que la Parole s’accomplit aujourd’hui. Il va montrer que lorsqu’il dit qu’il est venu pour arracher du cœur de l’homme le mal qui l’empêche de vivre, ce ne sont pas de belles paroles.

 

Ce que Jésus dit, il le fait. Et c’est cela qui frappe les gens. Les scribes, les pharisiens, eux aussi ils parlaient bien, Jésus le reconnaîtra en disant : faites tout ce qu’ils vous disent mais ne vous conformez pas à ce qu’ils font car ils disent et ne font pas ! C’est pour cela que l’intervention de cet homme possédé ne le perturbe pas. Il en avait sûrement assez dit, il fallait qu’il puisse passer aux actes parce que, pour Jésus, c’est ce qu’il y a de plus important. Bien sûr qu’il faut parler et il parlera à chaque fois que ça sera nécessaire, l’évangile nous rapporte quelques enseignements de Jésus, parfois très longs. Mais, pour Jésus, un enseignement n’est vrai que s’il est suivi par des actes qui viennent confirmer la vérité des paroles.

 

C’est d’ailleurs étonnant car, dans ce texte, Jésus va faire taire cet esprit impur alors qu’il dit quelque chose de profondément juste : « Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. » C’est d’ailleurs assez terrible parce que, dans l’évangile, les esprits impurs n’ont pas de mal à reconnaître qui est Jésus et à le dire alors que les hommes, eux, s’y refusent. Mais, il le fait taire, même si ce qu’il dit est vrai parce que, pour Jésus, une parole vraie qui n’est pas suivie par des actes qui viennent en conformer la vérité, c’est une parole qui n’a aucun intérêt. C’est pour cela qu’il dit à l’esprit impur : tais-toi ! Il sait que, jamais cet esprit n’agira en conformité avec la vérité de la parole prononcée.

 

Aujourd’hui, dans notre Église, nous avons beaucoup de chance car nous avons un pape qui est très attaché à ce que des actes concrets et souvent courageux viennent authentifier ses paroles. Je ne voudrais surtout pas dire que ce n’était pas le cas pour les papes précédents, mais lui, comme il est plus accessible, comme il vit au milieu de tout le monde, comme il parle sans retenue, ça se voit plus facilement. Et on sent bien que c’est ce qui lui assure sa popularité. Pas auprès de tout le monde, c’est vrai ! Dans le clergé, certains ont du mal avec lui parce qu’ils préfèrent les grands et beaux discours basés sur une rectitude doctrinale sans faille. Mais notre pape François, il a décidé d’être un véritable disciple de ce Jésus qui aimait mieux les enseignements en actes aux discours en paroles.

 

Si nous prenions exemple sur lui, qui prend exemple sur Jésus, il est possible qu’un certain nombre de ceux qui trouvent le discours de l’Église trop souvent insignifiant se mettent à nouveau à l’écouter et à lui donner du crédit. L’enjeu est grand, particulièrement en ces temps où s’ouvre cette grande réflexion pour la révision des lois de bio-éthique. Comment serons-nous entendus quand nous défendrons la vie comme un don de Dieu, depuis sa conception jusqu’à son dernier souffle si nous ne nous battons pas sur tous les fronts pour défendre le caractère sacré de cette vie quand elle est menacée. Ou la vie est sacrée, ou elle ne l’est pas, mais si elle l’est, ce que je défends avec force, alors elle l’est aussi pour tant de réfugiés, pour tant de personnes que nous laissons mourir sans que ça nous coupe l’appétit, sans que ça trouble nos consciences. L’indignation souvent trop sélective des chrétiens n’est pas un bon service rendu dans le débat public. Par contre, quand les chrétiens sont cohérents, quand la vérité de leur discours est authentifiée par la vérité de leur comportement, c’est sûr, le monde est plus enclin à les écouter. Evidemment, quand je dis ça mes propres incohérences, que j’essaie de cacher, me sautent aux yeux et je n’ai pas de peine à imaginer qu’il en est de même pour vous. Mais je ne veux pas céder à cette mode qui dit que le plus important c’est d’être authentique. Parce qu’avec un tel slogan, on finit par ne dire que ce qu’on est capable de vivre. Non ! Le plus important, ce n’est pas l’authenticité, c’est la vérité ! Et, même si je ne parviens pas à vivre tout ce que je dis, je ne renonce pas à parler, par contre je te supplie Seigneur, non pas de rabaisser mon discours à mes capacités de vivre ce que je dis, mais de hisser mon témoignage à la hauteur de la vérité. Et cela, j’en suis bien conscient, le pauvre que je suis n’y parviendra jamais sans ta grâce, sans le don du St Esprit et c’est ce que j’attends de toi dans cette Eucharistie.

 

 

Père Roger Hébert