Homélie Fête de la Pentecôte : Oh viens St Esprit, nous attendons notre libération !
En prison, il y a deux moments qui sont particulièrement difficiles à vivre pour les détenus, le moment de l’incarcération et l’approche de la libération. Evidemment, entre les deux ce n’est jamais une partie de plaisir ! Vous aurez bien compris que ces deux moments ne sont pas difficiles à vivre pour les mêmes raisons. Le moment de l’incarcération, il est très compliqué parce que la plupart des détenus que je rencontre ne sont pas des multirécidivistes, ils n’étaient donc pas habitués et encore moins préparés à se retrouver dans cet univers impitoyable. De manière habituelle, ils reconnaissent qu’ils méritent cette sanction, n’empêche que se retrouver en prison, ce n’est pas rien. Quant au moment de la sortie, il est difficile à vivre parce que le temps semble s’arrêter. Entre le moment où ils passent devant le juge qui décide de leur libération et le moment de la sortie, il peut se passer une quinzaine de jours, je peux vous dire que l’attente du délibéré paraît bien long. Et quand le délibéré favorable leur parvient, il peut se passer encore une semaine. Ils me disent tous que ces jours ont paru interminables. Je me rappelle même que l’un d’entre eux m’avait expliqué qu’il s’était retrouvé à peu près dans la même situation que ces enfants qui lui demandaient sans arrêt à l’approche de Noël : combien de dodos il reste encore avant la fête ?
Eh bien, je me plais à imaginer que les apôtres, retournés au Cénacle après l’Ascension, étaient à peu près dans les mêmes dispositions que les détenus. Le temps devait leur paraître infiniment long et pour les mêmes raisons que les détenus. Ces derniers me partagent toujours ce même ressenti, les derniers jours et encore plus les dernières heures sont interminables parce qu’ils attendent la libération. Nous n’avons aucune idée de ce que peut représenter la privation de liberté, la peine d’enfermement entre 4 murs dans une cellule pour laquelle, seuls ceux qui sont à l’extérieur ont la clé. La liberté devient vite le bien le plus désirable et quand elle se profile, les détenus ont l’impression qu’elle marche au ralenti pour venir à leur rencontre !
Je crois que c’est ce même désir de liberté qui devait rendre le temps au Cénacle si long. C’est ce même désir de libération qui habitait les apôtres. Entendons-nous bien, ils n’étaient pas oppressés par leur enfermement dans la pièce du Cénacle. Non, c’est de bien autre chose qu’il s’agit ! Depuis Pâques, Jésus leur apparaissait régulièrement, ils avaient compris qu’avec la résurrection tout avait changé, tout ce qui avait été annoncé dans les Écritures trouvait son accomplissement, oui tout avait changé … sauf eux ! Quand Jésus leur apparaissait, il leur parlait toujours de mission, d’évangélisation, mais eux, ils devaient bien constater qu’ils étaient toujours pétrifiés par la peur : en repartant sur les routes, comme le faisait Jésus, n’allait-on pas leur faire subir à eux le même sort qu’à Jésus ? Et pour le moment, ils n’étaient pas prêts à livrer leur vie, Pierre en avait fait l’amère expérience en reniant Jésus par trois fois, précisément parce qu’il était paralysé par la peur. Et puis, en plus de la peur, ils étaient aussi persuadés qu’ils n’étaient pas la hauteur de cette mission que Jésus voulait leur confier. Lui, Jésus, il savait faire des miracles, eux quand ils avaient essayé, ça n’avait pas marché ! Jésus, lui, il savait parler et utiliser des mots qui touchent les cœurs, eux, pour la plupart, ils étaient des pêcheurs du lac sans culture. Enfermés dans la peur, enfermés dans la conscience de leur impuissance, de leur insuffisance, voilà dans quelle situation ils se trouvaient tous.
Oui, mais voilà qu’au jour de l’Ascension, Jésus leur avait une promesse extraordinaire : « Je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » Ainsi donc, Jésus leur annonçait qu’ils seraient bientôt libres parce que libérés de leur peur, de leur impuissance, de leur insuffisance. Par cette promesse, Jésus annonçait qu’ils recevraient une puissance venue du ciel. Comme ils en avaient besoin de cette puissance ! Alors vous comprenez pourquoi ils attendaient avec impatience le don du St Esprit. Ils attendaient leur libération avec au moins autant d’impatience que les détenus peuvent attendre la leur. Le seul problème, c’est que les apôtres ne connaissaient pas la date de leur libération. Jésus leur avait juste demander de rester au Cénacle en attendant d’être revêtus de cette force d’en haut. Mais combien de temps elle allait durer cette attente, ils n’en savaient rien. Eux, ne pouvaient pas compter combien il restait de dodos avant la libération !
Du coup, on comprend que lorsque le St Esprit vient les visiter, ils sont dans une joie indescriptible : ça y est, c’est la libération, devant tous ceux qui sont là, et Dieu sait s’ils sont nombreux et représentant une grande diversité, ils publient les merveilles de Dieu ! C’est immédiatement, qu’ils sortent, c’est fini, ils ne sont plus enfermés dans la peur ; est immédiatement qu’ils se mettent à parler, ils ne sont plus enfermés dans leur impuissance. Le St Esprit est donné, la mission peut commencer.
Mes amis, ne croyez-vous pas que nous devrions, nous aussi, attendre le don du St Esprit avec au moins autant d’impatience que les apôtres ou que les détenus qui attendant leur libération ? Chacun d’entre nous, s’il est un tant soit peu lucide et honnête, n’a pas de mal à reconnaître qu’il est, lui aussi, enfermé dans tant de peurs et pas seulement au niveau du témoignage de foi qu’il doit rendre. Chacun de nous peut reconnaître qu’il est prisonnier de toutes ses insuffisances, de toutes ses situations qui nous révèlent notre impuissance. Comme nous avons besoin, nous aussi, d’être revêtus de cette force d’en haut !
Alors bien sûr, le St Esprit, nous l’avons déjà reçu et pas qu’une fois ! Nous l’avons reçu de manière toute particulière à notre confirmation mais aussi dans tous les sacrements, puisque c’est lui qui agit. Oui, la puissance d’en haut est venue en nous et elle est sûrement venue comme pour les apôtres sous forme d’un feu. Nous avons sûrement ressenti un jour ou l’autre que nous avions désormais un cœur brûlant. Oui, mais voilà, ce feu, nous l’avons laissé se recouvrir, peu à peu, des cendres de notre médiocrité. Nous n’avons pas toujours fait ce qu’il fallait pour l’entretenir : nous ne mettons pas la messe comme priorité dans notre agenda du week-end, nous ne mettons pas la prière comme prioritaire dans le programme de chaque journée, nous n’ouvrons que très rarement la Bible. Chaque jour, c’est une couche de cendres qui vient recouvrir ce feu qui avait été allumé dans nos cœurs. Au début, ça ne se voit pas trop, le feu reste suffisamment fort, mais vient un moment où il finira par être recouvert. Il n’aura pas disparu, mais il sera recouvert par les cendres. Et du coup, notre foi devient plus tiède et notre charité bien moins ardente. Oh vent de Pentecôte viens souffler sur les cendres accumulées dans nos cœurs pour que le feu reparte et que nous expérimentions encore une fois la joie de la libération !