A Noël, « accueillir l’Enfant Jésus avec l’étonnement de Marie, de Joseph et des bergers »

par Mgr Follo

« L’Enfant Jésus naît: bénédiction et joie »

 

« Avec l’invitation à accueillir l’Enfant Jésus avec le même étonnement de Marie, de Joseph et des pasteurs », Mgr Francesco Follo propose ce commentaire des lectures des messes de Noël.

« Le ciel est venu sur la terre en amenant bénédiction et joie », ajoute l’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO à Paris (France).

Comme lecture patristique il propose une lecture de saint Grégoire de Nazianze et comme lecture spirituelle le récit de la crèche de Thomas de Celano sur la crèche de saint François d’Assise.

Lectures de Noël, 25 décembre 2019

Messe de la Nuit : Is 9,2-4. 6-7; Tt 2,11-14; Lc 2,1-14.

Messe de l’Aurore: Is 62,11-12; Tt 3,4-7; Lc 2,15-20.

Messe du Jour : Is 52,7-10; He 1,1-6; Jn 1,1-18

 

L’enfant Jésus naît: le ciel est venu sur la terre,

en amenant bénédiction et joie

1) La Messe de la Nuit : la fête du Ciel.

Dans la nuit du monde, que l’Avent a éclairée dans l’attente active de la plénitude des temps, Jésus, le Fils de Dieu, vient sur Terre et donne lumière aux yeux de l’esprit et du cœur. La Parole se fait chair qui est maintenant non seulement audible, mais également visible. Le Verbe de Dieu qui naît dans le monde, est « rencontrable ». Nous sommes appelés à grandir dans la foi que Dieu s’est fait homme. Nous sommes appelés à Le voir fait homme dans une grotte et à Le voir sous les traits d’un enfant sans défense même à l’égard de lui-même. Nous sommes invités à célébrer cette manifestation de l’Amour de Dieu qui, aujourd’hui, s’est fait chair à travers le « oui » de notre cœur.

Noël est si plein de mystère que la Liturgie nous propose trois Messes[1] pour le célébrer, en nous faisant vivre saintement trois moment de stupeur et de joie de l’Église pour la naissance du Sauveur.

Le premier moment est la Messe de la Nuit, qui commence par le chant d’introït : « Le Seigneur m’a dit : tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré » (Ps 2,7).

C’est le moment du Père, dont la volonté bonne et amoureuse « utilise » le ciel et la terre, et la volonté des hommes, pour faire naître à  Bethléem (qui veut dire : Cité du Pain) le Pain des Anges et le donner aux hommes comme vraie nourriture de vie.

C’est le moment de la mère bénie, Marie, qui, lors de sa première rencontre avec le Fils, l’enveloppe dans des pauvres langes et prend soin de lui avec de simples gestes. Son travail de mère est un acte de culte au Créateur, qui s’est incarné et doit être lavé et habillé, comme tout nouveau-né. L’endroit misérable de la grotte n’attriste pas Marie. Le Père se charge d’organiser la fête de la naissance de son Fils dans le temps et envoie une kyrielle d’Anges en fête qui entonnent: « Gloire à Dieu dans le plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’Il aime [tous] ».

C’est un tout petit fait, minuscule, qu’aucun texte historique de l’époque, aucune chronique, n’enregistre. C’est pourtant le fait qui a changé le monde. C’est vraiment comme ça : Dieu est devenu roi de cette terre en se faisant enfant et le Père qui est au ciel, à travers les anges, invite les hommes à faire la fête, car « est né le Seigneur ». Et quel est le signe de ce fait « exceptionnel » ? Un enfant  emmailloté dans des langes et couché dans une mangeoire. Rien de spécial. Un enfant qui, comme tous les enfants langés ne peut pas bouger et qui est là comme enchainé dans les bandes qui l’enveloppent. Grâce à Dieu, les bergers crurent à la parole des Anges.

            2) La Messe de l’Aurore : la fête de la Terre.

En effet, quand les Anges remontèrent au ciel et se furent éloignés, les bergers s’exclamèrent : « Allons jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé, et que le Seigneur nous a fait connaître. Ils se hâtèrent d’y aller, et ils découvrirent que ce que leur avaient dit les Anges était vrai » (cf. Lc 2, 15-20). Les bergers  partirent, virent ce signe indiqué par le Ciel et crûrent. Ils crûrent car, du fait extraordinaire des Anges chantant au ciel, ils surent passer au fait ordinaire et modeste d’une grotte. Ces pauvres hommes furent capables de faire comme le Seigneur qui s’est fait enfant. Comme Dieu qui, dans le haut des cieux avait pris le même chemin d’humilité, ils se mirent eux aussi à le parcourir. En effet pour trouver Dieu il faut faire comme Lui: « descendre » vers nos frères pauvres, souffrants, assoiffés, nus, malades et prisonniers: c’est là, avec l’incarnation, qu’est maintenant sa place. Il s’identifia à toutes ces personnes et continue à s’identifier à eux. Telle est aujourd’hui la grande joie qui nous est annoncée: Dieu nous a envoyé le Sauveur. Et si, d’un côté, nous sommes tous pauvres de vie et enchaînés à la nécessité d’être sauvés, de l’autre, en ce Noël – mais pas seulement aujourd’hui – nous sommes envoyés aux pauvres et aux enchainés, car nous participons à ce Salut, une joie à partager.

La fête du ciel, là où les anges chantent la gloire de Dieu et la paix pour les hommes sur la terre commence à être une fête de la terre, là où de pauvres bergers ont la grâce de voir l’Enfant divin et sa Mère, pleine de douceur. Les bergers sont les premiers témoins extérieurs et les premiers à avoir eu la joie de participer à cette fête du salut que Dieu, plein de miséricorde, a donnée. Sur eux, et grâce à eux, brille sur nous aussi aujourd’hui la lumière, car est né pour nous le Seigneur ; Dieu Tout puissant est son nom, Prince de la paix, Père de l’éternité: son règne n’aura pas de fin (cf. Antienne d’introït à la Messe de l’Aurore).

La deuxième Messe de Noël, appelée Messe de l’Aurore, célèbre la première manifestation du Verbe à l’humanité représentée sous les traits de bergers qui se mirent à adorer la parole « abrégée »[2] dans un enfant enveloppé dans ses langes. Les bergers acceptèrent l’Enfant Jésus comme « l’unique cœur de leur cœur » (Saint Pio de Pietrelcina) et trouvèrent en lui réconfort et soutien: leur joie était comble. Et à peine eurent-ils aperçu, dans le peu de lumière de l’étable, une Femme jeune et belle, en train de contempler en silence son fils, et virent l’enfant qui venait d’ouvrir ses yeux à la lumière du monde, ce petit corps délicat, cette bouche qui n’avait pas encore mangé, leur cœur se remplirent de tendresse, leur esprit s’ouvrit et ils crûrent. Heureux qu’aujourd’hui se sont ouverts les cieux et que l’homme n’est plus un vagabond sur les routes du monde : il a trouvé le chemin de la vérité et de la vraie vie.

Pour eux s’avéra la phrase du Prologue de Saint Jean: « tous ceux qui l’ont reçu, ceux qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu… » (Jn 1, 12). Voici comment Saint Grégoire de Nazianze commente ce grand événement de Noël,  moment où le Verbe assume  la chair de l’homme: « L’homme assume maintenant sa vraie dimension, car il n’est vraiment homme qu’en Dieu. Existe-t-il une présence en Dieu plus forte que la filiation divine? En ce moment précis, le Roi en exil remet pied sur la terre, préparée pour lui et l’homme retrouve en même temps sa « place », sa vraie demeure, sa vraie terre : Dieu »

            3) la Messe du Jour: la Fête de la lumière.

Le troisième moment célébré par l’Eglise dans la troisième Messe, appelée Messe du Jour, est la naissance éternelle du Fils de Dieu dans le sein de son Père. A minuit, la liturgie nous fait célébrer le Dieu – homme qui naît du sein de la Vierge dans une étable. A l’aurore, nous faisons mémoire de l’Enfant Dieu qui naît dans le cœur des bergers, c’est-à-dire nous pauvres êtres humains. Dans cette troisième célébration l’Eglise commémore une naissance bien plus merveilleuse que les deux autres, une naissance dont la lumière éblouit les regards des Anges, et qui est elle-même le témoignage éternel de la sublime fécondité de notre Dieu. Le Fils de Marie est aussi le Fils de Dieu ; notre devoir est de proclamer aujourd’hui la gloire de cette indescriptible génération de Dieu : il est Dieu, né de Dieu,Lumière, né de la Lumière, par Dieu.

Si dans la Messe de la Nuit nous avons remercié à la fois le Père et la Vierge Marie et dans la Messe de l’Aurore nous avons été invités à imiter les bergers, dans la Messe du Jour nous célébrons le Christ qui est la Lumière: celui-ci illumina le cosmos dans la création, façonna l’homme dans la lumière la plus sublime de l’intellect et à l’image de Dieu, afin que l’homme devienne toute lumière, en se divinisant avec la foi et avec les œuvres qui plaisent à Dieu, et arrive au jour éternel, qui ne connaît pas de nuit.

Saint Jérôme disait que pour le saint, le rêve aussi est prière. Saint Grégoire de Nazianze (voir la lecture patristique proposée à la fin de ces réflexions) veut que son sommeil soit court, pour ne pas manquer trop longtemps de faire écho au chœur pérenne des anges qui louent constamment en hymne à Dieu; au contraire, il veut que quand son corps dorme,  son âme veille et converse avec le Père, avec le Fils et avec le Saint Esprit : avec Dieu.

C’est à cette vigilante prière que les Vierges consacrées se consacrent tout particulièrement. Ces personnes sont des élues qui ont répondu promptement au Seigneur et à qui Il a dit avec amour: « Je t’épouserai dans la justice et la droiture, dans l’amour et la tendresse, je t ‘épouserai dans la fidélité et tu connaitras le Seigneur ». L’épouse qui « connaît », qui aime et se sent aimée n’est pas seulement vigilante et trépidante quand elle est dans l’attente de son Epoux, comme les vierges sages du célèbre passage évangélique. Avec la lampe ardente de l’amour et une bonne réserve d’huile, qui signifie persévérance, vigilance et promptitude dans l’écoute, la Vierge consacrée veille chaque jour avec le Christ, porte la lumière du Christ au monde et rappelle à tous le sens du mystère d’aujourd’hui: « Cette lumière véritable, qui éclaire tout homme venant en ce monde(cf. Jn 1,9) voici qu’elle vient. Soyons-en tous illuminés, mes frères, soyons-en tous resplendissants. Que nul d’entre nous ne demeure, comme un étranger, à l’écart de cette lumière. » (Saint Sophrone, évêque: Discours 3, sur l’«Hypapante» 6,7; PG 87, 3,3291-3293).

Lecture Patristique

Saint Grégoire de Nazianze,

Carmi autobiographiques, XXXII,

PG, XXXVII, 511-513.

Nous te bénissons en cette heure,

ô mon Christ, Verbe de Dieu,

lumière de la lumière sans commencement,

dispensateur de l’Esprit.
Nous Te bénissons, triple lumière
de la gloire indivise.
Tu as vaincu les ténèbres
et produit la lumière
afin de tout créer en elle.
Tu as donné consistance à la matière
en y façonnant le visage du monde
et la forme de sa beauté.
Tu as éclairé l’esprit de l’homme
en lui donnant raison et sagesse.
Partout se retrouve
le reflet de la lumière éternelle,
pour que, dans la lumière,
l’homme découvre la splendeur
et tout entier devienne lumière.
Tu as éclairé le ciel
de lumière diaprées.
A la nuit et au jour,
Tu as commandé d’alterner en paix,
leur donnant comme règle
une fraternelle amitié.
La nuit met un terme
aux labeurs de notre corps,
le jour nous éveille au travail,
aux affaires qui nous préoccupent.
Mais nous fuyons les ténèbres,
vers le Jour sans déclin nous nous hâtons,
vers le Jour qui jamais ne connaîtra
la tristesse du crépuscule.
Accorde à mes paupières
un sommeil léger,
pour que ma voix
ne reste pas longtemps muette.
Ta Création veillera
pour psalmodier avec les Anges.
Que mon sommeil toujours
soit habité de Ta présence.
Que la nuit ne retienne rien
des souillures du jour passé.
Que les folies de la nuit
ne viennent point peupler mes songes.
Même séparé du corps,
l’esprit, ô Dieu, Te chante :
Père et Fils
et Saint-Esprit,
à Toi honneur, gloire et puissance,
dans les siècles des siècles.
Amen. »

LECTURE SPIRITUELLE

Voici ce qu’un des plus anciens biographes, Thomas de Celano, raconte de Saint François d’Assise quand celui-ci réalisa la première crèche du monde. La scène se déroule à Greccio (Ombrie – Italie), dans la nuit du 25 décembre 1223.

« Il y avait dans cette terre un homme appelé Jean, de bonne réputation et de vie encore meilleure, et il était très cherau bienheureux François, car, bien que noble et honoré dans sa région, il estimait plus la noblesse de l’esprit que celle de la chair.  Environ deux semaines avant la fête de la Nativité, le Bienheureux François, comme il le faisait souvent, l’appela auprès de lui et lui dit: « Si tu veux que nous célébrions la naissance de Jésus à Greccio, va devant, et prépare ce que je te dis: je voudrais représenter l’enfant né à Bethléem, et en quelque sorte voir avec les yeux du corps les difficultés où il s’est trouvé par le manque des choses nécessaires à un nouveau-né, comment il était couché dans une crèche et comme il gisait sur la paille entre le bœuf et l’âne».

A peine l’eut-il entendu, le fidèle et pieux ami s’en alla avec diligence à l’endroit désigné pour préparer tout ce qu’il fallait, selon le dessein exposé par le Saint.

Puis vint le jour de la joie, le temps de l’allégresse! Pour l’occasion, on avait appelé de nombreux frères de divers endroits; des hommes et des femmes arrivaient festoyants des maisons de la région, apportant chacun selon ses moyens, des bougies et des torches pour illuminer cette nuit, où brillait dans le ciel l’Etoile qui illumine tous les jours et les temps. François arriva enfin: il voit que tout est préparé en conformité avec son souhait, et il est rayonnant de joie. Là, on arrange la crèche, on apporte le foin et on amène le bœuf et l’âne. Dans cette scène émouvante, on voit briller la simplicité évangélique, faire l’éloge de la pauvreté, recommander l’humilité. Greccio est devenu comme un nouveau Bethléem.

Cette nuit est claire comme en plein jour et douce aux hommes et aux bêtes! Les gens affluent et se réjouissent d’une joie jamais goûtée avant, en face du mystère nouveau. La forêt résonne de voix, et les rochers imposants font écho aux refrains joyeux. Les frères chantent les louanges à l’Éternel, et nuit entière semble un tressaillement de joie.

Le Saint est là, en extase devant la crèche, l’esprit vibrant de componction et d’ineffable joie. Alors le prêtre célèbre solennellement l’Eucharistie sur la crèche, et il savoure une consolation jamais goûtée auparavant.

François s’est revêtu des parements diaconaux, parce qu’il est diacre, et il chante d’une voix sonore le saint Evangile: cette voix forte et douce, limpide et sonore, capture tous les désirs du ciel. Ensuite, il parle aux gens et avec des mots très doux, il rappelle le Roi nouveau-né pauvre et la petite ville de Bethléem. Souvent, quand il voulait désigner Jésus-Christ, rempli de la ferveur d’un amour céleste, il l’appelait «l’Enfant de Bethléem», et ce nom de «Bethléem», il le prononçait remplissant sa bouche d’amour tendre et même plus, en produisant un bruit comme le bêlement d’une brebis. Et chaque fois qu’il disait «l’Enfant de Bethléem» ou «Jésus», il passait sa langue sur ses lèvres, comme pour essayer de garder toute la douceur de ces mots.

Là se manifestent en abondance les dons du Tout-Puissant, et l’un des présents, un homme bon, a une vision extraordinaire. Il lui semble que l’Enfant Jésus gît sans vie dans la crèche, et François s’approche de lui et le réveille de cette espèce de profond sommeil. La vision prodigieuse ne s’écartait pas des faits, parce que, par les mérites du saint, l’enfant Jésus était ressuscité dans le cœur de beaucoup, qui l’avait oublié, et le souvenir de lui restait profondément gravé dans leur mémoire. Après la veillée solennelle, chacun rentra chez soi plein de joie inexprimable ».

NOTES

[1] Les Sacramentaires de Gélase et de Grégoire le Grand renvoient aux trois Messes de Noël. Mais au début du Vème siècle, il n’y avait qu’une seule messe, celle du jour, qui était célébrée à Saint-Pierre. En effet l’institution de la Messe de minuit date de la fin du Vème siècle. Pour expliquer le pourquoi de ces trois Messes, Mgr Prosper Guéranger, OSB, écrivait que celles-ci « servaient » à célébrer trois Naissances : «  Pourquoi trois naissances ? Il naît, cette nuit, de la Vierge bénie ; il naît, par sa grâce, dans les cœurs des bergers qui sont les primeurs de toute la chrétienté ; il naîtra éternellement du sein de son Père, dans la splendeur des Saints : cette triple naissance doit être honorée par un triple hommage ».

[2] « Dieu a rendu brève sa Parole, il l’a abrégée » (Is 10,23; Rom 9,28). Une citation biblique que Benoît XVI, au Noël 2006, commentera de la façon suivante: « Les Pères l’interprétaient dans un double sens. Le Fils lui-même est la Parole, le Logos; la Parole éternelle s’est faite petite – si petite qu’elle peut entrer dans une mangeoire. Elle s’est faite enfant, afin que la Parole devienne pour nous saisissable. Ainsi, Dieu nous enseigne à aimer les petits. ».