Commentaire textes 15/11/2020

XXXIII ème DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE A. Méditation
L1 : Pr 31, 10-31 ; Ps 128(127) ; L2 : 1 Th 5, 1-6 ; Evangile : Mt 25, 14-30.

 

Une meilleure compréhension de la parabole dite des talents requiert un regard en avant et un autre en arrière.

En avant, nous nous trouvons face au dernier dimanche du Temps Ordinaire. Cette fin du cycle liturgique veut aussi symboliser notre fin, la fin du monde et le moment des comptes à rendre à celui qui nous a envoyés dans le monde. Cette parabole se situe donc dans la perspective de la fin. Rien d’étonnant alors qu’une sentence définitive se trouve prononcée sur les agissements respectifs des trois serviteurs à qui le maître avait confié des talents à faire fructifier.

En arrière, on peut adopter comme repère la parabole des dix vierges proposée par la liturgie du dimanche dernier. De fait, c’est une question d’évidence la ressemblance entre cette parabole et celle d’aujourd’hui. Dans l’une et l’autre, une attente s’impose : celle de l’époux et du retour du maître
; un retard s’observe : celui de l’époux et du maître des serviteurs ; des attitudes se dessinent : celles des vierges sages, celle des vierges insensées, celle des deux premiers serviteurs, et celle du serviteur
indolent et paresseux ; des récompenses sont concédés : pour les vierges sages et pour les deux premiers serviteurs ; des châtiments sont infligés : l’exclusion des vierges insensées, et le dernier serviteur jeté dehors là où il y a des pleurs et des grincements de dents.

En nous concentrant maintenant sur la parabole de ce jour, Jésus, en bon Juif, nous fait entrer paraboliquement dans le monde des affaires : un maître, sur la base de la confiance, risque ses richesses en les distribuant, sous forme de talents, à des serviteurs pour qu’ils les fassent fructifier en
son absence par des tractations bancaires. Que représentent donc ces talents ?

Un commentateur de ce texte suggère de ne pas prendre, comme à l’accoutumée, ces talents pour les dons et les capacités dont le Créateur nous dote, mais comme des occasions que la vie nous offre pour exercer notre responsabilité et accomplir les devoirs qui nous sont assignés. Ici, l’accent semble se déplacer du don passivement acquis par l’être à l’exercice dynamique de la responsabilité.

Cela rejoint le point de vue de Jean-Paul Sartre qui dit : tu n’es pas responsable de ce que tu es, mais tu es responsable de ce que tu fais de ce que tu es. Deux attitudes contrastées nous indiquent comment, dans la gestion de ces talents, les serviteurs se montrent qui responsables qui irresponsable.

L’attitude négative est celle du dernier serviteur qui pèche d’abord par le fait de se montrer incapable d’entrer dans le jeu de confiance que lui fait le patron en lui confiant un talent, et il se prive logiquement de l’entrée dans la joie de son maître. Son manque de confiance se manifeste par le fait qu’il s’érige en juge du patron : je savais que tu es un homme dur, et dénonce ses supposés défauts : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. Enfin, il lâche le mot juste : j’ai eu peur… La peur paralyse et l’on comprend que ce serviteur ne puisse rien faire. Il enterre son talent, autant dire qu’il est lui-même enterré. Si l’Apôtre dit que l’amour parfait chasse la crainte (1 Jn 4, 18), on s’aperçoit que le serviteur en question est loin d’entrer dans l’esprit filial qui caractérise les bonnes relations de l’homme avec le Dieu de Jésus-Christ.

Positive est l’attitude des deux premiers serviteurs qui, avant d’entrer dans la joie de leur maître, entrent dans sa confiance. Ils savent que dans la boutique de Dieu, on ne trouve jamais des fruits, mais des semis. C’est ainsi qu’ils se mettent au travail et qu’à la confiance, ils répondent par la
confiance, au don par le don et à l’amour par l’amour. Leurs talents leur donnent l’occasion d’entrer en contact, de s’ouvrir au monde des affaires, de sortir de soi, de risquer, de partager, car ce qui ne se partage pas ne prospère pas.

La différence de comportement entre les deux premiers serviteurs et le troisième n’est pas à chercher en aval sur l’activité des uns et l’apathie de l’autre, mais en amont dans les rapports de chacun avec le maître, selon que ces rapports son faits de confiance ou de soupçon.

Et maintenant, venons-en à la figure du maître. Dans la parabole, il apparait littéralement comme le propriétaire des talents, et c’est un maître qui laisse toute marge de manœuvre à ses serviteurs quand, dans une confiance sans équivoque, il leur assigne des tâches pour s’en aller en voyage.

Mais Jésus ne veut-il pas y voir ici la figure du Père qui, comme un financier, risque son capital, c’est-à-dire, son Verbe Eternel par qui il crée l’être et le chantier du monde, un chantier qui revient bientôt à l’exécution de son plan de salut ? Dans ce plan, Dieu engage son Fils dans la chair de l’homme pour que l’homme soit sauvé. Le Verbe Incarné apparaît à la fois comme le serviteur de la cause du Père, le premier investisseur, et comme celui qui investit tout ce qu’il est en se livrant aux hommes, lui le Maître, aux mains des serviteurs. C’est ainsi qu’à chaque célébration eucharistique, c’est Jésus qui distribue aux chrétiens sa Parole, livre son Corps et son Sang, comme des talents. Et toi, disciple, que fais-tu de ces talents chèrement acquis ? Quand tu finis d’entendre cette Parole, ne la laisses-tu pas s’empoussiérer dans l’oubli ? Or, la Parole veut vivre en toi et par toi ! Et quand tu reçois son Corps et son Sang, deviens-tu à ton tour ce Corps et ce Sang pour témoigner de lui devant les hommes ?

Si jamais tu te montrais fossoyeur de tous ces talents, comment donc entrerais-tu dans la joie de ton maître ?