Homélie 18 février 2018, 1er dimanche Carême

Les premières paroles d’un être humain, comme ses dernières paroles d’ailleurs sont toujours recueillies avec beaucoup d’attention. Les parents se rappellent quand leur enfant a dit maman, papa pour la première fois. Et, à leur tour, les enfants, quand ils peuvent les recueillir, gardent gravées dans leur mémoire les dernières paroles de leurs parents. Je garde comme un trésor cette dernière parole de ma mère. Comprenant que c’était la fin, j’avais décidé de passer la nuit à ses côtés à l’hôpital. Et, se réveillant dans la nuit, quand elle me voit, elle réunit ses dernières forces pour me dire : « il faut que tu rentres à Bellegarde, tu as du travail demain ! » J’ai été tellement touché de l’entendre me renvoyer à mon ministère qu’elle voulait que j’accomplisse dans la plus grande fidélité ! Oui, vraiment, les premières paroles comme les dernières paroles d’un être humain sont de véritables trésors.

Au cours de la semaine sainte, nous aurons aussi le privilège de pouvoir recueillir les dernières paroles de Jésus. Mais aujourd’hui, ce sont les premières paroles de son ministère public. Pour nous persuader de l’importance de ces premières paroles de Jésus, peut-être est-il bon de se rappeler que Jésus est désigné comme le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu, c’est à dire que lorsque Jésus parle, c’est Dieu lui-même qui nous parle. Depuis le temps que les hommes rêvaient d’entendre Dieu leur parler, voilà que c’est en train de se faire ! Et quand Dieu parle aux hommes, pour la 1° fois de manière explicite, que dit-il ? « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »

Dans cette parole, il y a un constat et un appel. Le constat, si on le traduit plus littéralement, c’est que, pour Jésus, le début de son ministère correspond à l’ouverture d’un temps très favorable parce qu’avec lui, on va voir comment Dieu veut régner dans le monde, dans le cœur des hommes. On pourrait s’arrêter longuement sur ce constat pour décortiquer ce que ça veut dire, mais j’ai surtout été touché par l’appel qui suit : « convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » Cet appel correspond précisément à la parole qui a été prononcée pour nous par le prêtre ou le diacre au moment de l’imposition des Cendres mercredi dernier. J’ai expliqué, en m’appuyant sur une analyse du père Cantalamessa qui est une voix qui fait autorité puisqu’il prêche au Vatican que cette parole était à comprendre de la manière suivante : convertissez-vous, c’est à dire croyez en la Bonne Nouvelle. Rassurez-vous, je ne vais pas reprendre ce que j’ai dit mercredi, mais je voudrais m’arrêter sur cet appel si important de Jésus puisqu’il constitue sa première parole.

La grande conversion à laquelle nous sommes appelés, comme je le disais mercredi, ce n’est pas de moins manger de chocolat, la grande conversion, c’est de croire. « Convertissez-vous, c’est à dire croyez ! » Voilà donc la première parole que Jésus nous fait entendre de la part de Dieu. Et je pense qu’il a bien raison de nous faire entendre cet appel, la grande conversion de notre vie, ça va être de devenir des croyants. Je vais peut-être vous choquer, mais je le dis quand même : dans nos églises, il y a trop de pratiquants et pas assez de croyants ! Ce que je dis est étonnant parce qu’il y a tant de gens qui se définissent comme croyants mais pas pratiquants. Je m’excuse mais cette formulation est un véritable mensonge !
Ils ne sont pas croyants, s’ils l’étaient, ils chercheraient à rencontrer le Seigneur. Pour se justifier, ils disent : on n’est pas obligé d’aller dans une église pour prier, certes, mais quand on les interroge sur leur lien réel avec le Seigneur, sur le temps qu’ils accordent à la prière dans leur maison, en voiture, ils bottent en touche parce qu’ils se rendent bien compte qu’ils vivent très bien sans lui ! Toutes ces personnes, je dis souvent qu’elles se trompent, en fait, elles sont pratiquantes, mais pas croyantes. On le voit très bien au moment d’une demande de Baptême ou de l’inscription au caté, les parents disent que ce qui les intéresse dans la foi, c’est qu’elle va apprendre à leur enfant à vivre, à aimer, à partager. Vous voyez, ils sont attachés à des valeurs pas à la personne du Christ, d’ailleurs ils ne ressentent aucun besoin de le rencontrer à la messe !

Alors, c’est sûr que l’appel de Jésus s’adresse à eux : la conversion qu’ils ont à vivre, c’est de devenir des croyants. Je vous avoue qu’il m’arrive de plus en plus souvent de m’interroger pour savoir combien de temps on va continuer à baptiser des enfants dans des familles qui n’ont aucune intention de les aider à devenir de vrais croyants. Parce que la situation est claire, il y a moins de 20% des enfants que nous baptisons qui iront au caté. Bien sûr, il faut accueillir les gens là où ils en sont, mais notre mission, c’est de les aider à ne pas rester bloqués là où ils en sont ! L’appel lancé par Jésus dans sa première prise de parole nous interroge : comment aider tous ces gens à vraiment cheminer dans la foi, à ne pas se contenter d’entretenir une tradition qui n’a plus guère de sens pour eux ? Et j’aimerais bien que nous, les prêtres, nous ne soyons pas les seuls à porter cette préoccupation !

Allons encore un peu plus loin ! L’appel de Jésus à devenir des croyants, il s’adresse aussi à chacun de nous. Nous, c’est sûr, nous sommes des pratiquants, puisque nous venons à la messe. Dans les enquêtes, tous ceux qui vont à la messe sont classés parmi les pratiquants et vous savez que selon les nouvelles normes des statistiques, il suffit d’y aller une fois par mois pour être classé dans cette catégorie des pratiquants ! Je voudrais donc que nous aussi, les pratiquants, nous entendions l’appel de Jésus à devenir des croyants. La première parole de Jésus nous rejoint également, entendons-le nous dire : pour vous aussi, la grande conversion de votre vie, ça va être de devenir des croyants, de vrais croyants qui croient en l’Évangile, ne vous contentez pas d’être des pratiquants.

Si l’Église est en difficulté aujourd’hui, c’est parce qu’elle manque de chrétiens qui donnent le témoignage clair qu’ils ont mis Jésus à la 1° place dans leur vie. Je suis frappé aujourd’hui de voir la vitalité de tant de communautés évangéliques. Ma fréquentation du groupe œcuménique du Pays de Gex me le montre clairement. Mais chez eux, le dimanche matin, personne ne se pose la question de savoir ce qu’il va faire ! Ils louent des salles pour se réunir parce que eux, ils n’ont pas d’églises comme nous. Une de ces communautés étant devant devenue trop nombreuse à Ferney, ils ont ouvert un nouveau centre à Thoiry, on connaît le prix des locations dans le Pays de Gex. Mais ça ne fait problème à personne de participer généreusement au financement des locations, des salaires des pasteurs.

Chez nous et quand je dis chez nous, ce n’est pas vrai qu’à Bellegarde, quand on propose un temps fort à vivre, il y a toujours une réunion de famille qui passera avant ou un temps de loisirs programmé à l’avance. Et puis ce qu’on proposera, beaucoup vont nous dire que c’est trop tard dans la soirée, que c’est trop long, c’est trop loin, bref, rarement nos propositions soulèvent un grand enthousiasme ! En plus, regardez, et vraiment je ne vise personne en particulier parce que ça pourrait m’arriver à moi aussi si je n’étais pas prêtre, le retard à la messe est très symptomatique. Une fois, ça peut arriver à cause d’un événement imprévu, mais un retard régulier, ça veut dire qu’on a choisi de faire autre chose alors que c’était l’heure de partir, ça veut donc dire qu’on n’a pas cru que Jésus était vraiment plus important que telle ou telle bricole à faire qui m’aura mis en retard. Si on était invité à manger chez le préfet, on arriverait un quart d’heure à l’avance pour être sûr de ne pas être en retard. Mais pour répondre à l’invitation du Bon Dieu, c’est pas grave si on arrive pour les lectures !

Recueillons vraiment cette toute première parole de Jésus avec tout le sérieux qu’elle mérite et méditons-la dans cette première semaine de carême. La grande conversion à laquelle nous sommes appelés dans ce carême, ce n’est pas de moins manger de chocolat, la grande conversion, c’est que nous devenions des croyants, des vrais !

Père Roger Hébert