Homélie deuxième dimanche du temps ordinaire B

Première lecture : 1 S 3, 3-19 ; Psaume responsorial : 40(39)
Deuxième lecture : 1 Co 6, 13-20 ; Evangile : Jn 1, 35-42.

Avec son baptême dans les eaux du Jourdain, Jésus entame la vie publique et affronte directement sa mission de Rédempteur. Cette mission, il n’y a que lui seul pour l’accomplir, dans la mesure où le salut de l’homme pécheur ne peut se réaliser que par le Dieu Saint qui, d’ailleurs pour
cela, paie le prix fort : livrer son Corps et verser son Sang. Ce sacrifice se suffit à lui-même pour nous sauver sans autre forme de participation de notre part.

Mais quand je vois le Sauveur commencer à appeler des hommes à sa suite, je me demande s’il n’est pas en train de faire fausse route. J’ai beaucoup de raisons pour le dire.

Des raisons à priori. Le Père de Jésus avait commencé à traiter avec les hommes, et ce n’est que grâce à sa Miséricorde qu’on peut dire que le résultat est mitigé. De fait, le premier couple humain le trahit (cf. Gn 3, 6) et la malédiction tombe sur le sol (cf. Gn 3, 17) et sur le serpent (cf. Gn 3, 14).
Pour aller vite, dans la première lecture de ce jour, Dieu choisit Samuel qui restera globalement fidèle à sa mission, mais ses choix, guidés par Dieu, souffrent d’insuffisances de la part de ses élus. Pas longtemps après avoir oint Saül roi, il doit le désavouer et rejeter (cf. 1 S 15, 23). David qui semble
bien trouvé pour lui succéder n’est pas sans péché non plus (cf. 2 S 11). Son fils Salomon s’illustre par une grande sagesse en beaucoup de domaines (cf. Si 47, 13-18), mais en certains autres, ses folies sont
connues (cf. Si 47, 19-20). Laissant de côté les personnes individuelles, nous voyons Dieu traiter avec le peuple d’Israël dans un contexte d’Alliance, Alliance régulièrement rompue par les inconstances du peuple que Dieu même appelle engeance de rebelles (cf. Ez 3, 9 ; 12, 2.8.25)

Les raisons a posteriori. Le bilan qui n’est pas tout à fait positif avec le Père ne le sera pas avec le Fils. Pour faire bref, à son arrestation, ses disciples l’abandonnent dans les mains de ses ennemis (cf.Mc 14, 50). Le seul qui rase les murs pour suivre de loin le procès sauve sa vie en reniant le Maître à trois reprises (cf. Mc 14, 66-72 et Par.), et ce sont les Evangiles mêmes qui attestent que le succès de l’arrestation du Maître est dû au disciple qui, comme on dit, vend la mèche (cf. Mc 14, 43-47). Que manque-t-il à Jésus pour qu’il se méfie des hommes ?

Et pourtant, il ne le fait pas. Au contraire, le voilà qui appelle à sa suite des disciples les uns après les autres, chacun par le nom. Vraiment, les pensées du Seigneur ne sont pas comme nos pensées (cf. Is 55, 8) ! Il les appelle gratuitement, sans calcul d’intérêt, ou si calcul il y a, c’est calcul pour l’intérêt des hommes. Lui, le Seigneur, agit par amour. Tu aimes, Seigneur, toutes tes créatures.

Dans son comportement apparemment extravagant, Jésus révolutionne à maints égards la procédure de l’appel divin. Son Père invisible appelle par des visions (cf. Is 6, 1-10 ; Jr 1, 4-10), des songes et l’inspiration. Mais dès que le Verbe se fait chair, il appelle face à face et c’est à lui qu’il faut répondre immédiatement et sans délai. L’appel n’est plus un phénomène mystique, c’est un vis-à-vis pour la mission.

De plus, les circonstances de l’appel des premiers disciples introduisent une autre nouveauté : entre le Maître qui appelle et les disciples appelés, surgit l’index indicateur d’une tierce personne, Jean-Baptiste qui, joignant la parole à l’acte, déclare : voici l’Agneau de Dieu… Mais tous les problèmes sont-ils résolus avec un nom aussi drôle ? Quel enthousiasme peut bien soulever l’enfant du mouton ? Mais le doigt le montre et les disciples suivent. De fait, Ce n’est pas rare qu’un index intervienne dans le processus d’une vocation, une personne qui, par sa parole ou son témoignage de
vie, te fait découvrir le Christ comme le Maître à suivre (cf. Jn 1, 40-42). Dans ce sens, chacun aura eu son Jean-Baptiste, mais chacun, après avoir bénéficié de l’index d’un autre, est appelé à devenir index pour d’autres. Il est urgent que chacun se préoccupe d’être cet index en redécouvrant l’index qui l’avait guidé.

Ce jeu d’index engendre ce qu’on appellerait le “système Eglise”. L’Eglise, au sens étymologique, signifie “appelés”. C’est un mot formé à partir du participe passé passif du verbe grec qui signifie appeler. Il faut entendre par là que l’essence de l’Eglise, c’est d’être appelée. Comme le Père au désert, avait convoqué Israël (cf. Dt 5, 1) pour lui donner sa Loi, ainsi le Fils Jésus parcourt les chemins de la Palestine pour constituer un peuple d’appelés. Il appelle individuellement pour que tous soient appelés. C’est ce projet qu’entend réaliser Jésus quand il te demande : que cherches-tu ? N’es-tu pas étonné qu’il ne demande pas “qui cherches-tu ?” Et pourtant, c’est cette dernière question qu’il pose à la troupe dirigée par Juda pour l’arrêter à Gethsémani : qui cherchez-vous ? (Jn 18, 4). Même question de Jésus ressuscité à Marie Madeleine perplexe près du tombeau : femme, qui cherches-tu ?

(Jn 20, 15). Toutefois, Jésus ne se trompe pas de question : que cherches-tu ? De fait, ce que tu cherches détermine la direction de ton regard, le geste de ton index, l’orientation de tes pas et le lieu où tu aboutiras. Si tu cherches le vide, tu tomberas dans le vide. Si tu cherches des choses périssables,
tu périras. Le mieux toutefois, c’est de passer de la recherche de quelque chose à celle de quelqu’un, comme ce Diogène qui cherche un homme. Je me fais un index pour t’indiquer l’homme que tu dois chercher : Jésus. Et si tu me demandes : où demeure-t-il ? Je me fais encore l’index pour te répondre : dans son Royaume de Lumière ! Mais auras-tu le courage d’abandonner tes ténèbres pour accéder à son Royaume ?