L1 : Ap 7, 2-4.9-14 ; Ps : 24(23) ; L2 : 1 Jn 3, 1-3 ; Evangile : Mt 5, 1-12a.
Ceux qui sont directement concernées dans la Solennité de Tous les Saints, ce sont évidemment les Saints. Mais comment les identifier pour pouvoir découvrir le contenu de ladite solennité ?
On ne peut accéder à l’identité des Saints qu’en passant par le Saint (S majuscule). Qui donc est-il ?
Le Saint, c’est Dieu. Saint, ce n’est pas un titre qu’il porte, mais c’est Lui-même la Sainteté : il n’y a pas de saint en dehors de lui, ainsi que le confirme l’antique Hymne du Gloria : toi seul es saint.
Mais l’autorité la plus élevée qui établit la sainteté de Dieu, c’est la Sainte Ecriture, en particulier la vision d’Isaïe où, devant Dieu, dans le Temple, les Anges chantent : Saint, Saint, Saint… Il résulte de la sainteté de Dieu que celui-ci est séparé de tous les êtres, sans comparaison avec eux, inaccessible à eux. Comment donc la sainteté de Dieu deviendra-t-elle le lot des hommes de chair, pour qu’on puisse parler des Saints au pluriel ?
Cela adviendra, pour parler en image, quand sera construit un pont entre le Dieu séparé et les hommes, et justement, ce pont est construit par l’Incarnation du Verbe de Dieu. En d’autres termes, en Jésus, le lointain se fait proche, le séparé se fait accessible, une chance est donnée à l’homme pour qu’il devienne saint lui aussi. C’est le cas de se demander si en devenant moins séparé, Dieu ne perd pas quelque chose de sa sainteté. Nous peinons à exprimer le mystère : c’est que le Verbe de Dieu ne perd rien de sa divinité lorsqu’il s’incarne et Jésus est l’Homme-Dieu, comme le dit notre Credo : vrai Dieu et vrai homme.
Il reste à voir comment en Jésus, l’homme devient saint. Il ne le devient pas par contagion, mais dans une action commune et libre entre Dieu et lui : Dieu l’aime de cet amour fou qui l’amène à se faire homme, à épouser sa condition sans feinte, à entrer dans sa mort pour lui donner la vie ; l’homme, de son côté, tâche de répondre à cet amour en entrant librement dans la grâce de la Rédemption. C’est donc avec Jésus que naissent les saints sur la terre et dans le Ciel. Jésus est le seul saint qui fait que les non saints deviennent des Saints. Mais les Saints, qui sont-ils ?
On commence à les confondre avec les personnes du passé dont les noms figurent sur le calendrier ou le Missel romain, ceux-là qui constituent la banque de noms parmi lesquels le futur baptisé va chercher son nom de Baptême.
Et lorsque, par curiosité, on s’informe de l’histoire de ces personnes, on s’aperçoit qu’elles sont les plus grands hommes et les plus grandes femmes dans l’Eglise, ceux que l’Eglise reconnaît tels parce que, pour être fidèles au Christ et par amour pour lui, ils ont accompli dans leur vie, des actions hors du commun, soit dans une vie de vertus héroïques, soit dans l’illustration vivante d’un charisme particulier, soit dans l’acceptation de voir se répandre leur sang pour témoigner dans le martyre, de leur attachement au Christ. Quelqu’un les a appelés à juste titre des fous de Dieu. Seraient-ils des héros dans l’Eglise comme certains autres le sont pour la nation ?
A ce niveau, une distinction serait à faire : les héros nationaux accomplissent ce que peut réaliser la force humaine (qui n’est que de la faiblesse), tandis que les Saints dans l’Eglise réalisent ce que la force de Dieu peut accomplir avec la faiblesse et la liberté humaines. Toujours est-il que, sous cet aspect, héros et saints sont en nombre limité.
Quant aux saints en particulier, ils sont d’autant plus limités en nombre qu’on les identifie par l’héroïcité de leurs vertus. Mais la solennité de ce jour entend inscrire comme saints tous ceux qui, par les mérites du Sang du Christ, sont admis dans la Lumière éternelle de Dieu. Il revient toutefois à
l’Apôtre des Nations de nous proposer l’élargissement le plus ample du mot Saint lorsqu’il y inclut ceux-là mêmes qui, depuis le séjour de la terre, tirent déjà de l’œuvre du Christ le salut de leurs âmes par leur appartenance à l’Eglise. Paul insinue par là la notion philosophique de deviens de que tu es,
c’est-à-dire, laisse entendre que l’œuvre du Christ nous rend déjà saints et que, en même temps, nous sommes appelés à le devenir, en passant progressivement de la sainteté à la sanctification, toujours
avec la grâce du Christ. Ce n’est pas là une façon de rendre populaire la sainteté, mais de souligner l’universalité du salut en Jésus-Christ. Et puisque notre sainteté résulte du Christ, personne ne doit s’en estimer exclu, et cela ne sert plus à rien de la réserver rien qu’à des hommes capables de vertus héroïques.
De même qu’on ne peut pas dire, au niveau d’une nation, que celui qui n’est pas un héros n’est pas un citoyen, de même on ne peut dire, au niveau de l’Eglise, que celui qui ne se caractérise pas par l’héroïcité de vertus n’est pas un saint. Ce qu’il faut pour que l’homme soit saint, c’est le Sang du Christ et il est versé pour donner la même chance à tous d’être saints ou sanctifiés, en sorte que tous les saints renvoient à la même sainteté.
Rien d’étonnant que les Saints forment une Assemblée, telle qu’elle est perçue par le visionnaire dans la première Lecture : une Assemblée immense qu’on ne peut dénombrer. On n’est pas saint chacun pour soi ou selon son genre, on l’est en répondant à un seul projet de rassemblement conçu par Dieu : rassembler tous les enfants de Dieu dispersés, projet initié avec l’Ancien Israël et porté à terme avec le Nouvel Israël, l’Eglise de la terre rencontrant, au dernier jour, celle de la Jérusalem Céleste dans la communion des Saints.