Homélie dimanche 05/07/2020

XIVème Dimanche du Temps Ordinaire A

 

 Première Lecture : Za 9, 9 -10 

 Psaume : 145(144) 

 Deuxième Lecture : Rm 8, 9… 13

 Évangile : Mt 11, 25-30 

 

Dans l’évangile de ce jour, Jésus adopte une position vraiment originale. C’est un Jésus qu’on ne voit pas enseigner les foules, proposer des paraboles, accomplir des miracles, opérer des guérisons, chasser des démons. C’est à se demander ce qui reste alors du Jésus des Évangiles, à part le repos. Et pourtant l’Évangile d’aujourd’hui ne nous présente pas un Jésus en vacance. Ce qu’il choisit comme activité, c’est d’adopter deux attitudes : se tourner vers le Père, puis se tourner vers les hommes. 

 

 Jésus tourné vers le Père. À la fin du Prologue du quatrième Évangile, Jésus est présenté comme celui qui est tourné vers le sein du Père (Jn 1, 18). Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus nous révèle un pan de ce qui se passe dans le sein du Père : la Volonté du Père est souveraine ; le Père connaît le Fils, le Fils connaît le Père ; dans un premier temps, l’intimité entre les deux n’est troublée par aucune intrusion extérieure. 

Cette situation d’harmonie entre le Père et le Fils suscite l’admiration du Fils qui proclame publiquement la louange du Père. 

L’intimité en question ne constitue cependant pas un cercle fermé, mais le Fils qui, de son côté, détient sa Volonté souveraine sans conflit avec celle du Père, pratique une brèche dans cette intimité divine, d’abord par son Incarnation et ensuite par le fait qu’il peut se permettre de révéler le Père en conformité avec la Volonté de celui-ci. Et c’est pour ce faire que dans sa chair d’homme, le Fils parcourt les chemins de la Palestine pour annoncer la bonne Nouvelle du salut. Là encore, il travaille en harmonie avec le Père. La preuve, c’est que bien que sur la terre ce soit le Fils qu’on voit travailler à évangéliser, c’est pourtant le Père que le Fils loue de révéler le Mystère du Royaume aux petits tout en le cacher aux savants. 

Qu’il nous soit permis de comprendre que Jésus le Fils se trouve là à opérer deux constats : d’une part le constat que c’est le Père qui se révèle lui-même à travers l’œuvre du Fils, d’autre part que son message n’est reçu que par les petits tandis que les savants n’y accèdent pas. Ce dernier constat peut comporter quelque chose de douloureux en ceci qu’une partie de l’humanité ne reçoit pas son message. Cela n’est d’ailleurs pas à démontrer, car cette attitude de non-recevoir conduira Jésus à la Croix.

Toutefois, pour nous aujourd’hui, il ne serait pas recommandable de diviser l’humanité en petits et en Savants, surtout pas de nous estimer, chacun pour son compte, comme faisant partie des petits. La différence qu’il y a entre petits et savants n’autorise pas à reconstituer deux catégories sociales séparées, mais à identifier deux attitudes parmi les hommes. Dans l’apparente opposition entre savants et petits et dans la prise de position de Jésus en faveur de ces derniers, il ne faudrait pas voir un Jésus qui condamne la recherche, la connaissance ou la Science, ni même un Jésus qui cautionne l’ignorance, la paresse et la médiocrité. Être petits ou savants, c’est dans l’attitude, en sorte qu’un savant doit se donner le devoir d’être petit et un petit le devoir d’être savant. L’homme équilibré, c’est le savant petit ou le petit savant. Il s’agit d’éviter l’inertie dans la petitesse et l’orgueil dans la connaissance. 

A ce point, je ne peux m’empêcher de nous renvoyer à des situations dans l’Église où le gouvernement est réservé aux Pasteurs sacramentellement constitués tels par le Christ :  Pais mes agneaux, dit Jésus Ressuscité à Pierre. Les Pasteurs sont supposés être de ces petits qui appartiennent au Christ, mais l’ignorance ne leur est pas permise et ils se doivent aussi d’être des savants dans les choses de Jésus. Toutefois, dès qu’eux ou d’autres membres de l’Église deviennent des savants sans se faire petits, on aboutit à des crises semblables à l’affaire Galilée et à de nombreuses autres dans l’Église universelle et dans les églises locales, même aujourd’hui. 

 Jésus tourné vers les hommes*. À part l’attitude d’être tourné vers le sein du Père, (Jn 1, 18), Jésus, dans l’évangile de ce jour, adopte celle d’être tourné vers nous pour nous dire : venez à moi… Or, il se fait que c’est plutôt nous qui avons tendance à invoquer Dieu, à lui demander de venir à nous : viens, Seigneur… ou encore : Seigneur à notre secours… Et voilà que, de son côté, le Seigneur dit : venez à moi… Que se passe-t-il réellement ? Est-ce Dieu qui ne vient pas pour que nous l’appelions, ou est-ce nous qui n’allons pas à lui pour qu’il nous appelle ?

Ce qui se passe semble très simple : nous voulons aller à lui, mais notre faiblesse et nos péchés nous en éloignent. De là vient la difficulté de notre rencontre. Or, c’est dans cette rencontre que se trouve notre salut. C’est dire que celui qui a intérêt à ce que cette rencontre se produise, c’est nous, et c’est ce qui explique dans le Livre Saint tout ce que le langage technique appelle les invitatoires, que ce soit dans le psautier (Cf. Pss 23 ; 66 ; 94 ; 99) ou dans des Oracles prophétiques (cf. Is 2,3 ; 25, 9 ; 42, 10 ; 44,23). La bonté de Dieu déborde quand c’est lui-même qui nous invite à lui. Quand il nous invite, ce n’est pas qu’il soit incapable de venir à nous, mais c’est nous qui sommes retenus par le poids de nos péchés.

Ce Jésus qui suspend toute activité dans l’évangile de ce jour se trouve toutefois, comme on dit, dans son élément, car il est dans sa peau de médiateur entre Dieu et les hommes. D’un côté, d’égal à égal, il parle à Dieu et nous révèle son intimité avec le Père, d’un autre, il se tourne vers nous comme notre frère pour nous déterminer à aller à lui.  Il a fait cela il y a plus de deux mille ans. Mais avant de s’en aller, il a pris soin de fonder l’Église pour qu’elle soit en tout temps la voix de Dieu qui appelle à lui ceux qui peinent sous le poids du fardeau, ceux qui portent un joug, pour leur fournir du repos en leur traduisant la douceur et l’humilité du cœur du Christ. Vivement que l’Église accomplisse cette fonction dans le monde d’aujourd’hui ! C’est sûr qu’elle s’y met, mais elle aussi a besoin du secours du Maître doux et humble de cœur pour obtenir le pardon de ses péchés et de ses pesanteurs. N’est-il pas vrai que certaines attitudes ambiguës de l’Église lui font manquer d’être l’Église des pauvres et le défenseur des opprimés ? Par ses silences, l’Église n’est-elle pas souvent vue du côté des riches et des oppresseurs ? Il est vrai que ceux-ci ont besoin de l’Évangile pour être libérés de leur égoïsme, mais l’Église trouve-t-elle toujours les mots et l’attitude justes à leur égard ?

 

Cette Église, c’est toi, c’est moi, et j’ai le devoir de me demander, à mon niveau personnel, si j’entre dans la Volonté de Jésus de révéler le Père au monde et de prendre avec Jésus le parti du pauvre et de l’opprimé.