Pour nous, chrétiens du pays bellegardien, la date du 9 février est importante puisque c’est ce jour où la bienheureuse Sœur Rosalie Rendu est célébrée dans l’Église. Nous savons que sa tombe au cimetière du Montparnasse, à Paris, encore aujourd’hui, est fleurie en permanence. C’est son action héroïque et charitable dans le quartier de l’église St Médard à Paris qui lui valut une telle notoriété. Il faut dire que c’était une femme de tempérament qui aura traversé 3 révolutions, celle de 1789 comme enfant à Confort et celles de 1830 et 1848 à Paris. En effet, en 1802, elle quittait notre village de Confort pour rejoindre la maison mère des Filles de la Charité, elle n’avait que 16 ans. Tout le monde n’a pas une bienheureuse de cette trempe, originaire de son secteur pastoral, soyons en fiers !
Pour moi, il y a un événement qui va véritablement la mettre sur l’orbite de la sainteté, c’est ce qui lui est arrivé très peu de temps après son installation à Paris. Elle tombe malade, mais il est assez difficile de diagnostiquer ce qu’elle a. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est devenue très faible. Le médecin demande qu’elle puisse faire un séjour prolongé à la campagne ou à la montagne, en tous les cas, il est nécessaire qu’elle soit au grand air. Apprenant cela, son parrain qui est le célèbre chanoine Emery, responsable des prêtres de St Sulpice demande à sa supérieure de l’envoyer dans le quartier le plus populaire de Paris, là où il y a des fumées qui rendent l’air irrespirable. On peut se dire que c’est un drôle de cadeau que lui a fait son parrain. En fait, il avait tout compris ! Sr Rosalie voulait tellement devenir une religieuse exemplaire qu’elle s’imposait sûrement une règle de vie au-delà de ses forces. Son parrain demande qu’elle soit mutée dans ce quartier populaire pour qu’elle n’ait plus le temps de penser à elle, à son désir de perfection ; là-bas, il y avait tellement de pauvres à aider qu’elle serait occupée toute la journée et qu’elle n’aurait plus le temps, je m’excuse, de se regarder le nombril. C’est ce qui va se passer, très vite, elle ira mieux, la charité va brûler son cœur et elle commencera à avoir une vie tellement rayonnante que sa réputation lui vaudra d’être respectée et admirée par tous. C’est ce dont témoigne l’épitaphe gravé sur sa tombe : « à la bonne mère Rosalie, ses amis reconnaissants, les riches et les pauvres. »
En fait, je vais vous avouer, ce n’est pas la proximité de la date du 9 février qui m’a donné envie de vous parler de Sœur Rosalie car j’avais complètement oublié le jour de sa fête ! Ce qui m’a fait penser à elle, c’est la 1° lecture. Pour préparer mon homélie, quand j’ai lu la 1° lecture, en effet, j’ai immédiatement pensé à elle : « Partage ton pain avec celui qui a faim, accueille chez toi les pauvres sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. » On peut dire que dans ces quelques mots, c’est toute la mission de Sr Rosalie qui est résumée et alors, le plus étonnant, c’est la conclusion qui semble écrite pour elle : « Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. » Dès que Sr Rosalie a arrêté de se regarder le nombril, dès qu’elle a arrêté de rechercher, de manière un peu égoïste et orgueilleuse la perfection, elle est allée beaucoup mieux. Et ça se comprend fort bien : puisqu’elle était entrée dans la congrégation des Filles de la Charité, pour aller mieux, c’est clair, il fallait qu’elle prenne vraiment au sérieux sa nouvelle identité de Fille de la Charité.
Qu’est-ce que ça signifie ? Eh bien, il fallait qu’elle renonce à garder pour elle, pour sa sanctification personnelle, la charité de Dieu qui l’inondait, comme elle inonde le cœur de tous ceux qui se tournent vers lui. Elle allait mal parce qu’elle bloquait cette charité qu’elle recevait. Le jour où elle s’est mise à distribuer largement, généreusement la charité qu’elle recevait, non seulement elle est allée beaucoup mieux, mais en plus, elle est devenue un foyer d’amour pour ce quartier dans lequel se concentrait l’essentiel de la misère parisienne. « Partage ton pain avec celui qui a faim, accueille chez toi les pauvres sans abri, couvre celui que tu verras sans vêtement, ne te dérobe pas à ton semblable. Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. »
Mes amis, d’une certaine manière, nous sommes toutes et tous des fils et des filles de la Charité, en effet, comme enfants de Dieu, nous pouvons dire que nous sommes enfants de l’amour, c’est à dire bel et bien fils et filles de la charité. Du coup, l’expérience de la Sœur Rosalie, éclairée par cette lecture d’Isaïe, doit nous instruire. Ne nous arrive-t-il pas trop souvent de nous regarder le nombril ? J’aime bien ce texte plein d’humour qui fait parler Dieu et dans lequel Dieu dit que s’il devait recommencer la création, il n’y a qu’une chose qu’il changerait, c’est la place du nombril chez les êtres humains. Dieu dit : puisque les hommes n’arrivent pas à se défaire de cette mauvaise habitude de se regarder le nombril, je le mettrai sur leur front, comme ça ils ne pourraient plus le voir ! Et si jamais ils voulaient quand même voir un nombril, ils seraient obligés de regarder celui des autres, mais comme il serait sur leur front, ça les obligerait à regarder les autres hommes dans les yeux !
J’espère que vous aurez bien compris que je ne suis pas en train de faire un plaidoyer pour que nous tombions dans une charité activiste qui finit par fatiguer les autres et qui nous épuisera nous-mêmes très vite ! Non ! Il s’agit bel et bien de devenir des fils et des filles de la charité, c’est à dire de distribuer la charité que nous recevons de Dieu, ce qui implique que nous restions branchés sur Lui. Si nous ne donnons que l’amour qui vient de nous, celui que nous fabriquons nous-mêmes, certains jours, cet amour ne sera pas de grande qualité, ni en grande quantité ! Benoit XVI avait fort justement dit : « celui qui ne donne pas Dieu, donne trop peu. » C’est précisément parce qu’ils sont en difficulté que ceux que nous rejoignons attendent un amour de qualité. Et c’est amour de qualité, cet amour qui guérit, qui relève, qui réconforte, il n’y a pas 36 sources pour le puiser, c’est dans le cœur de Dieu qu’il se trouve.
C’est dommage parce que vis à vis des chrétiens, on a souvent un double problème. Ceux qui sont très tournés vers les autres, ceux qu’on appelle les chrétiens sociaux disent qu’ils n’ont pas le temps de venir à la messe et que la prière, ce n’est pas leur tasse de thé, ils préfèrent agir, c’est comme ça qu’ils vivent leur foi. Et, dans ceux qui viennent à la messe, il n’y en a pas assez qui sont vraiment soucieux des autres, désireux de partager largement la charité qui les inonde au cours des célébrations. Mais ceux qui viennent à la messe et qui sont en même temps tournés vers les autres, les authentiques fils et filles de la charité, ceux-là, donnent un témoignage lumineux, ils sont sel de la terre, lumière du monde et en voyant ce qu’ils font de bien, on a envie de rendre Gloire à Dieu de les avoir mis sur nos routes.
Père Roger Hébert