Je pense que vous connaissez tous le fameux sermon du curé de Cucugnan ! Si vous l’avez oublié, allez le relire, on le trouve facilement sur internet … on trouve même une vidéo qui vaut son pesant de cacahuètes ! En deux mots, je vous en rappelle le thème, le curé de Cucugnan est transporté au ciel et rencontre St Pierre, il en profite pour lui demander combien il a de paroissiens en paradis, mais, ô terreur, il n’y en a aucun. Il obtient l’autorisation exceptionnelle d’aller voir au purgatoire, mais là non plus, pas de Cucugnanais. Enfin, il va en enfer, terreur, ils y sont tous ! Ce sermon qu’Alphonse Daudet a rendu célèbre dans les lettres de mon moulin est, bien sûr, une composition littéraire qui ne manque pas de verve. Mais vous savez, pour bien des prédicateurs, à cette époque, leur sujet de prédilection, c’était le paradis, l’enfer et le purgatoire. Et je peux vous dire que les prédicateurs parlaient de l’enfer avec tellement de détails qu’on pouvait penser que, à l’image du curé de Cucugnan, ils étaient tous allés y faire un tour !
Evidemment toutes ces prédications n’avaient pas forcément une saveur d’évangile … elles étaient destinées à entretenir la peur pour que les gens se tiennent à carreaux ! Prenant conscience de l’excès de ces prédications, on est passé à un silence total sur l’au-delà, plus rien … même dans les funérailles, où l’on parlait plus volontiers du mort que de la mort et où on évoquait longuement la vie avant la mort en la vie en gardant un silence gêné sur la vie après la mort.
Alors mes amis, puisque ce texte d’Évangile pose la question de la résurrection des corps, prenons un peu de temps pour réfléchir à cette dimension si essentielle de notre foi et en même temps si difficile. Je voudrais faire 3 remarques, sachant que ces 3 remarques seront bien loin d’épuiser le sujet.
1° remarque pour montrer le caractère perfide de la question des sadducéens. Cet épisode est rapporté à la fin du chapitre 20 de l’évangile de Luc. Un chapitre plus loin, ce sera la passion qui commence. Autrement dit, c’est dans les derniers jours de la vie de Jésus que cette question lui est posée. Alors, on imagine un peu ce qu’il peut ressentir à l’énoncé de cette question surtout avec sa tournure si ironique. C’est un peu comme si on allait voir quelqu’un sur son lit de mort pour lui dire : tout ce que tu crois, c’est du vent, tu vas mourir, et dis-toi bien que ça sera pour entrer dans le grand vide, l’anéantissement. Ce n’est sûrement pas la meilleure manière de lui remonter le moral !
Eh bien, c’est exactement ce qui se passe pour Jésus. Ne nous y trompons pas : toutes les questions touchant à la mort sont, en fait, des questions qui concernent d’abord la vie. Quand la mort survient, elle nous fait toujours poser des questions sur le sens de la vie. Autrement dit cette question des sadducéens sur la mort et l’au-delà est une question qui vient attaquer Jésus sur le sens qu’il a voulu donner à sa vie. C’est un peu comme s’ils lui disaient : laisse tomber, ça ne vaut pas le coup d’aller jusqu’au bout, tu vas donner ta vie, mais donner ta vie pour quoi ? Pour sombrer dans le néant ! Replacer cette question des sadducéens dans son contexte, c’est mettre en lumière qu’attaquer la foi en la résurrection, ce n’est pas anodin, ça va très loin, ça remet aussi en cause tout le sens de la vie.
Ceux qui croient en la réincarnation par exemple, ça façonne forcément leur manière de vivre, peut-être de manière inconsciente, mais bien réelle quand même. Si je sais que tout ne se joue pas dans cette vie, que j’aurai beaucoup d’autres vies pour réussir ma vie, alors inutile d’être exigeant. Je fais ce que je peux dans cette vie et j’en ferai un peu plus dans la prochaine. Par contre, si je crois en la résurrection des corps, cette foi va profondément façonner ma manière de vivre, mais dans une autre direction. En effet, si je sais que mon corps est fait pour la vie, et que le corps de tous mes frères est aussi fait pour la vie, alors je dois les respecter infiniment. Du coup, vous comprenez que le combat de l’Église pour le respect de la dignité de tout être humain depuis sa conception jusqu’à sa mort s’enracine dans cette foi en la résurrection des corps. Attention donc, toucher à la foi en l’au-delà, c’est s’engager sur un chemin qui remettra bien des choses en cause.
2° remarque et elle sera beaucoup plus rapide. Si la foi en la résurrection de la chair, résurrection des corps est battue en brèche, c’est souvent parce que nous ne comprenons pas comment c’est possible. Mais l’Église ne nous invite pas à dire, je comprends la résurrection des corps et c’est pourquoi j’y adhère. Chaque dimanche, dans le Credo, nous disons : je crois. Si nous ne pouvions croire que ce que nous comprenons, notre fois serait complètement ratatinée. Comment comprendre l’incarnation, ce mystère dans lequel Dieu se fait homme ? Comment comprendre le Salut, ce mystère de l’amour de Dieu qui nous aime au-delà de toutes nos médiocrités ? Bref, je pourrais reprendre presque tous les termes du Credo pour montrer qu’ils dépassent largement ce que nous pouvons en comprendre. Il est vraiment nécessaire d’aider les chrétiens à entrer dans une meilleure compréhension du mystère de la foi, mais, même au terme de longues années de formation, nous ne pourrons pas dire : je comprends. Il nous faudra continuer à dire : je crois, je fais confiance. Et n’est-ce pas ainsi dans de nombreux domaines la vie ? Est-ce que nous avons compris le mystère de l’Amour ? Non et pourtant nous y croyons ! Est-ce que nous avons compris le mystère de la vie ? Non, et pourtant nous y croyons ! Tout à l’heure quand nous dirons le Credo, demandons vraiment au Seigneur de nous aider à croire même si nous ne comprenons pas tout.
Enfin 3° remarque, elle concerne un peu plus le fond de la question. Les sadducéens refusent de croire car ils imaginent l’au-delà comme un simple prolongement de cette vie. Avec quel mari cette femme va-t-elle passer son éternité ? Voilà leur question et elle rejoint bien les remarques ironiques que peuvent nous faire nos contemporains : où va-t-on mettre tous ceux qui ressuscitent depuis le temps qu’il y a des gens qui meurent ? Ces questions montrent bien que l’au-delà est souvent envisagé comme une simple continuité de cette vie. Dans sa réponse, un peu énigmatique d’ailleurs, Jésus va affirmer qu’il y a une rupture. La mort marque une véritable rupture : après ça ne sera plus comme avant. Nos corps auront perdu toutes leurs limites d’aujourd’hui. Nous pouvons pressentir un peu ce que nous serons à partir de ce que Jésus ressuscité a été. C’était bien lui, il mangeait avec ses apôtres, on le reconnaissait à ce qu’il disait. Mais en même temps, ce n’était plus lui comme avant, il pouvait entrer alors que les portes étaient fermées, en plus, ceux à qui il apparaissait, ne le reconnaissaient jamais immédiatement.
Encore une fois, je sais que c’est difficile à comprendre, moi-même je ne fais que balbutier ces propositions à partir de la foi de l’Église. Mais je crois qu’il y a là une véritable Bonne Nouvelle. Nous sommes appelés à être éternellement vivants auprès de Dieu et pas seulement nos âmes dont on ne sait pas bien ce qu’elles sont d’ailleurs ! Mais c’est bien chacun d’entre nous qui est appelé à la Vie, chacun avec ce qu’il est et ce qui fait qu’il est unique, et en même temps nous croyons que nous serons débarrassés de toutes nos limites d’aujourd’hui : Limites des imperfections de notre corps, limites qui font que nous ne pouvons pas être en relation avec tout le monde, limites de notre péché et donc de nos médiocrités par rapport à Dieu et par rapport à tous nos frères.
Que cette controverse de Jésus avec les sadducéens nous aide tous à réenraciner en nos cœurs bien plus qu’en nos têtes cette foi en la résurrection. Et que cette foi en la résurrection nous fasse faire dès aujourd’hui les choix qui montreront que nos corps et le corps de tous nos frères sont vraiment faits pour la vie et la vie éternelle.