Les passages de l’Ecriture sainte qui sont proposées pour notre méditation de ce vingt-huitième dimanche ordinaire de l’année B, nous laissent percevoir – dans la première lecture – que la recherche de la sagesse est la plus haute qualification de l’homme d’une part, et nous révèlent – dans la deuxième lecture – que la Parole de Dieu est une force vive, à la fois lumière et attrait, qui pénètre au plus profond de l’âme, d’autre part. Pour nous chrétiens, en Jésus-Christ, nous reconnaissons la Sagesse et la Parole de Dieu par excellence. Aussi Jésus est le seul qui puisse demander à un homme de tout quitter pour le suivre, comme il le fait dans l’Evangile.
En effet, l’homme, dont il est question, avait tout pour être heureux, et pourtant un feu étrange consumait son cœur. Sa grande fortune et son sens élevé du devoir n’arrivaient pas à lui procurer cette paix intérieure qu’il recherchait depuis son enfance. Puis un jour son regard, honnête et sincère, croisa celui de Jésus. Tout semblait le destiner à une aventure extraordinaire mais la pesanteur de ses richesses l’empêcha de faire le passage décisif. Il revint sur ses pas, le visage triste, l’âme en peine, le cœur brisé. L’histoire de ce jeune homme qui rate sa vocation remplit les apôtres de tristesse et de stupeur. En témoigne leur réaction embarrassée : si telle est la situation de l’homme par rapport à la richesse ‘I qui donc peut être sauvé ? ‘t Quand échoue le meilleur candidat, celui qui affirme avoir observé les commandements depuis son enfance, que peuvent espérer les autres ?
Malgré tout, nous sommes bien reconnaissants à ce jeune homme dont la démarche, dans sa spontanéité toute naïve, nous rappelle qu’il existe une vie que la richesse ne peut acquérir, une faim qu’aucun bien matériel ne saurait apaiser. Saint Augustin ne disait-il pas : ” Tu nous as fait pour toi, Seigneur, et notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ” ?
Dans ce récit profondément émouvant, nous ne retenons souvent que la dernière séquence, celle qui voit le jeune homme s’éloigner du Christ, à regret, incapable de se libérer de la prison où l’ont enfermé ses richesses. Et pourtant c’est toute l’histoire de sa vie, résumée en quelques touches significatives dans ce dialogue avec le Christ, qui nous interpelle.
Le premier enseignement essentiel que cette page d’Evangile met en évidence c’est que ” sans la pratique de la justice, la charité ne serait qu’une vaine illusion, une parodie”. Sur ce point, Jésus ne pouvait pas être plus explicite : si tu veux avoir en héritage la vie éternelle, dit-il, commence par observer les commandements. Nul ne saurait sauter à pieds joints sur la justice et le droit pour faire la charité. Ce n’est pas en saupoudrant notre vie de quelques actes occasionnels de charité que nous pouvons prétendre nous rapprocher de Dieu. Comment d’ailleurs pouvons-nous exploiter nos frères et prétendre leur faire de la charité en leur donnant quelques miettes de nos biens acquis injustement ? Ne nous y trompons pas, qui veut prendre un raccourci pour le ciel, risque de se fourvoyer loin du royaume.
Cela dit, il faut encore ajouter que la perfection chrétienne va bien au-delà de la simple observation des commandements : elle requiert que l’on soit disposé à tout risquer pour Dieu, car ce dernier n’aime pas se contenter de miettes. Ne l’oublions pas : qui ntest pas prêt à tout donner n’a encore rien donné à Dieu. C’est la logique du tout ou du rien, une logique paradoxale qui désarçonne toujours.
Pourquoi donc Jésus s’est-il montré si exigeant à l’égard de cet homme pourtant sincèrement épris du Royaume ? Est-ce à cause des qualités exceptionnelles qu’il a discernées en lui, ou tout simplement par souci pédagogique afin de montrer aux disciples combien il est difficile de se défaire de ses biens ? L’Évangile ne nous le dit pas. Ce qu’il met, par contre, en relief c’est le danger redoutable que peuvent constituer les richesses pour celui qui veut sincèrement se mettre à la suite de Jésus. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Jésus insiste sur ce fait : nos richesses matérielles peuvent décider de notre avenir ; si elles transforment nos cœurs en coffre-fort, ce serait pour notre perte ; si elles nous laissent assez de liberté pour entendre le cri des pauvres, alors elles deviendront un “moyen de nous faire un trésor inépuisable dans les cieux” (Lc 12,33).
En ces temps où l’Eglise vit la grâce d’un synode pour les jeunes, il est heureux que le thème soit davantage axé sur la foi, le discernement et la vocation. A la lumière des textes d’aujourd’hui, comment ne pas avoir une pensée particulière pour tous les jeunes, à la croisée des chemins des marchands d’illusion, faisant miroiter des situations sans avenir certain pour leur épanouissement. Ils pourraient être confrontés au dilemme et à l’écartèlement dans lesquels s’est retrouvé notre brave homme riche, que l’évangéliste saint Marc identifie à un jeune. C’est, en effet, l’âge où les options paraissent difficiles ; et pour peu qu’on ait la foi et que l’on soit attentif et réceptif à la Parole de Dieu, s’opèrent au fond de soi des choix parfois très contrastés.
C’est pourquoi il est bon de s’armer de la sagesse de Dieu, afin de mieux discerner ce qui pourrait donner sens à notre existence, et nous obtenir ainsi la paix toujours et partout.