La semaine dernière, nous fêtions l’épiphanie et cette semaine, nous sommes déjà entrés dans le temps ordinaire. La semaine dernière Jésus était encore un bébé et là, il a déjà 30 ans ! La liturgie nous fait souvent vivre les événements comme dans un film en accéléré. Il faut dire que le bébé Jésus, même s’il très attendrissant pour nous, ce n’est pas directement ce qui intéresse les Évangiles. Dieu a promis un Sauveur, Jésus est celui qui vient accomplir la promesse, ce qui est intéressant, c’est de voir comment il va s’y prendre et quelles réactions, ça va provoquer. C’est de cela qu’aiment nous parler les Évangiles, et c’est pourquoi il y a comme un déroulement en accéléré qui nous fait vite quitter le bébé de la crèche pour braquer le projecteur sur le Sauveur. Mais aujourd’hui le projecteur n’est encore pas complètement braqué sur Jésus, il s’arrête un moment sur Jean-Baptiste et l’Évangile de Jean va nous expliquer comment Jean-Baptiste a reconnu en Jésus le Sauveur. Vous verrez c’est assez étonnant.
Vous savez qu’à l’époque de Jésus, tout le monde était pétri par les Ecritures. Jean-Baptiste, comme tous ceux de son époque, était tellement pétris de la Bible que le moindre élément qu’il voyait lui évoquait immédiatement une histoire, un personnage du Premier Testament. Au moment où Jean-Baptiste a rencontré Jésus et qu’il l’a baptisé, l’Evangile que nous venons d’entendre souligne que Jean-Baptiste a vu l’Esprit-Saint descendre sur Jésus comme une colombe et non seulement l’Esprit-Saint est descendu sur lui, mais en plus, le texte précise qu’il a demeuré sur lui. Pour Jean-Baptiste qui est pétri des Ecritures, L’Esprit qui descend sur Jésus comme une colombe et qui y demeure, ça lui a forcément rappelé un passage du Premier Testament.
Je n’étais pas présent au Baptême de Jésus, mais j’ai peu de chance de me tromper en disant que lorsque Jean-Baptiste a vu cela, son cœur a tressailli d’une joie infinie ; je pense qu’il a dû dire : enfin Seigneur ! C’est donc pour maintenant ! Oh béni sois-tu de m’avoir donné d’être le premier témoin de cette si grande merveille ! Et pourquoi Jean-Baptiste est-il entré dans une telle exultation ? Tout simplement parce qu’il a repensé à ce qui s’est passé au temps de Noé.
Vous vous rappelez Noé, c’est le temps du déluge, une grande catastrophe s’abat sur les hommes. Avant que cette catastrophe ne détruise tout, Dieu demande à Noé de construire un immense bateau pour sauver un couple de chaque espèce d’animaux. Dieu ne veut pas que toute son œuvre, toute sa création soit détruite. Et ainsi fut fait ! Bien sûr, ce récit est un récit mythique et non pas historique, c’est à dire qu’il a été écrit pour nous faire comprendre quelque chose de très important. Ce récit veut justement nous faire comprendre que tout au long de l’histoire de l’humanité, nous pourrons connaître de grandes épreuves, le monde pourra être sérieusement secoué, mais Dieu ne nous abandonnera jamais, vous entendez : nous ne serons jamais abandonnés par Dieu ! Alors voilà donc Noé qui entre dans l’arche avec les animaux et sa famille. Au début, il y avait sûrement un côté sympathique à vivre dans cette espèce de zoo flottant pour une croisière absolument inédite, mais, au bout d’un moment, la promiscuité devient pesante et la croisière ne s’amuse plus du tout !
Tout le monde attend avec impatience le moment où l’on pourra enfin débarquer et reprendre une vie normale en pleine liberté. Après pas mal de temps, la pluie se calme et les eaux semblent commencer à se retirer. Noé envoie alors un corbeau pour voir ce qu’il en est, mais le corbeau effrayé par ces inondations revient tout de suite. Il lâche quelques jours après une colombe, la colombe revient également très vite, elle n’a pas trouvé d’endroit où se poser, ce qui signifie que l’épreuve n’est pas encore terminée. Quelques jours après, il renvoie cette même colombe, et, là, nous connaissons tous l’image, elle revient avec un rameau d’olivier dans son bec, signe que les eaux ont tellement baissé qu’on voit le sommet des arbres. C’est donc la signe que l’épreuve est bientôt finie ! Une 3° fois, Noé envoie la colombe, elle ne reviendra plus parce qu’elle a trouvé un lieu où se poser, où demeurer. L’épreuve est donc enfin terminée, la liberté va être redonnée, la vie va reprendre le dessus.
Quand Jésus entre dans les eaux du Jourdain, le Père éternel envoie l’Esprit-Saint comme une colombe et l’Esprit-colombe trouve tout de suite où se poser, il ne remonte pas au ciel comme jadis la colombe de Noé qui était revenue dans l’Arche parce que l’épreuve n’était pas terminée. L’Esprit descend sur Jésus et y demeure, il a trouvé où se poser. En faisant le parallèle avec l’histoire de Noé, la leçon est claire, ça signifie qu’avec l’arrivée de Jésus, avec le commencement de sa mission, l’épreuve est enfin finie, la liberté va être redonnée et la vie pourra reprendre le dessus.
C’est pour cela que j’évoquais l’exultation de Jean-Baptiste. Nous savons qu’il est le dernier des prophètes, ce que tous les prophètes avaient annoncé, lui, il a eu la chance de le voir ! Isaïe avait annoncé que Dieu allait venir consoler son peuple fatigué de toutes les épreuves endurées ; Jérémie avait annoncé que Dieu allait changer le cœur malade de tous ceux qui ne pouvaient plus choisir librement de faire le bien ; Ezéchiel avait annoncé que Dieu allait redonner vie à son peuple laissé comme mort après tous ses errements, tous ses péchés. Oui, ils avaient tous annoncé que Dieu allait intervenir de manière décisive en faveur de son peuple et lui, Jean-Baptiste, il le voit. Quand il voit l’Esprit descendre sur Jésus comme une colombe et y demeurer, parce qu’il est pétri des Ecritures, il comprend que ça y est, c’est enfin arrivé : l’épreuve est vraiment finie, la liberté va être redonnée et la vie pourra reprendre le dessus.
Et le verset qui est juste avant le texte que nous avons lu précise que tout cela s’est passé à Béthanie de Transjordanie. C’est un lieu qui se situe pas très loin de la mer morte. Vous savez que la mer morte, c’est l’endroit habité qui est le plus bas au monde, dans une grande dépression à environ moins 450 mètres en dessous du niveau de la mer. Béthanie devait être à moins 300 environ. Venir sur terre, à Noël, pour manifester que Dieu a décidé de partager la vie des homme ça ne suffisait pas, Jésus a voulu que sa mission commence là, à Béthanie. De manière symbolique, il a voulu rejoindre ceux qui étaient tombés plus bas que terre. Ainsi, il a vraiment manifesté qu’il était venu pour libérer tous les hommes, même ceux qui étaient tombés bien bas. Mais évidemment, tout cela ne servira à rien si nous ne nous laissons pas trouver par celui qui est venu pour nous chercher afin de nous libérer. Rappelez-vous c’était le vœu que je formulais pour la nouvelle année : que nous arrêtions de jouer à cache-cache !
On a bien raison à chaque messe de crier : il est grand le mystère de la Foi. C’est sûr qu’il est grand, c’est sûr qu’elle est belle notre foi. Et comme ça serait bien si on pouvait la faire partager à tous ceux qui ont l’impression d’être tombés trop bas pour que Dieu puisse s’occuper encore d’eux !
Père Roger Hébert