Homélie dimanche 24/11/19: « Un Agneau comme Roi »

par Mgr Francesco Follo

 

« Le Christ, Agneau de Dieu, est un Roi qui règne en donnant sa vie pour nous », explique Mgr Francesco Follo dans ce commentaire des lectures de la messe de dimanche prochain, 24 novembre 2019, pour la Solennité de Jésus Christ, Roi de l’Univers (XXXIVe Dimanche du Temps Ordinaire – Année C).

Comme lectures spirituelle, l’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris (France), propose une prière d’un docteur de l’Eglise, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et une prière d’Origène.

AB

Un Agneau comme Roi

               1) Un roi bizarre: l’Agneau immolé

Le Règne de Dieu est fondé sur son amour et sur le trône de la Croix « siège » le Christ, innocent Agneau immolé pour nous. Ce Roi montre que Dieu est amour, que son Royaume est fondé sur son amour et qu’il s’enracine dans le cœur en donnant à celui qui l’accueille, paix, liberté et plénitude.

Pour cette raison la liturgie d’aujourd’hui, Solennité du Christ Roi, l’évangile nous présente Jésus non pas comme un Roi qui règnera à la fin des temps avec la force. Il nous montre le Christ installé sur le trône de la Croix, d’où il commence à régner, faisant un geste royal de concéder au bon larron d’être « aujourd’hui avec Lui au paradis ». Ce pécheur est le premier homme qui entre au paradis à la suite du Christ Roi. Le Christ donne son pardon et son amitié au délinquant qui l’implore et le reconnait comme Seigneur sur la Croix. Cette Croix, cet acte d’amour infini que, nous avons retirée des lieux publics et des écoles, avec beaucoup de superficialité et de faux sens civique, continue à être la seule et vraie réponse à la profonde souffrance de l’homme. Elle continue à être l’appel définitif de Dieu à l’homme à se faire don, à se faire offrande à l’autre, comme le Christ. Sans la Croix, il ne reste à l’homme que l’amertume des derniers, des pauvres et des vaincus. Si l’homme ne se fait pas don à l’autre, il se fait instrument de torture même contre sa volonté. En effet, ou nous en sommes écrasés sous la croix, ou nous régnons sur la Croix avec le Christ d’où il règne. Certes le Règne du Christ n’est pas de ce monde, mais de l’autre monde, du monde vrai et saint., et il est le règne de la vérité, de l’amour et de la vie éternelle.

Donc, avant de continuer notre méditation, faisons nôtres les paroles de Saint Jean Paul II: « Pendant que nous prions que ton règne vienne, nous nous apercevons que ta promesse devient réalité. Après t’avoir suivi, nous venons chez Toi élevé sur la Croix (cf Jn 12, 12). A Toi, élevé sur l’histoire et au centre d’elle, alfa et omega, principe et fin (cf Ap 12, 32), Seigneur du temps et des siècles, à Toi nous nous adressons avec les paroles d’un ancien hymne:

« C’est par ta mort douloureuse, Roi de gloire éternelle

que tu as obtenu pour les peuples la vie éternelle,

c’est pour cela que le monde entier t’appelle Roi des hommes.

Règne sur nous, Christ Seigneur »

 

            2) L’important n’est pas d’être comme Jésus, mais d’être avec Jésus, comme le bon larron

Pendant sa vie terrestre Jésus régna[1], soutint les siens en leur disant des paroles de vérité, accomplissant des gestes de charité, les servant jusqu’à leur laver les pieds et leur montrant son amour infini en allant sur le trône de la croix, après avoir été couronné d’épines par Ponce Pilate. De cette façon Jésus répond donc à la demande de guider le peuple de Dieu, d’être le conducteur (cf.  la première lecture « romaine » d’aujourd’hui). Sa royauté est d’origine divine et elle a la suprématie sur tout parce que le Père a posé la plénitude de toutes les choses en Lui (deuxième lecture) même si l’évangile de Luc présente la royauté de Jésus en mentionnant la scandaleuse investiture du Roi des juifs en croix. Deux morceaux de bois encastrés l’un sur l’autre sont le trône paradoxal du Seigneur de la paix et de l’unité qui –ne l’oublions pas- eût comme berceau une crèche dans une pauvre étable, où il fut honoré comme Homme, comme Dieu et comme Roi par des pasteurs et par des Rois mages (myrrhe pour l’humanité, encens pour la divinité et or pour la royauté).

N’oublions pas, pour autant, que si le Christ Roi va sur la croix, ce n’est pas pour donner un spectacle d’humilité, mais pour révéler l’amour passionné de Dieu pour nous. Sa passion n’est pas tant la flagellation suivie de crachats et de clous, quand son cœur qui est tout et seulement Amour « passionnel » pour chacun de nous. La croix est la conclusion rigoureuse et nécessaire du discours sur le Mont des Béatitudes du Règne des cieux.

Celui qui porte l’Amour est à la merci de la haine et ne surmonte la haine qu’en acceptant la condamnation et en pardonnant. Celui qui est Amour pardonne et le déclare : « Père, pardonne-les parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ».

A mon avis, lorsque le larron qui était en croix à côté de la Croix-Trône du Christ, entendit cette déclaration d’amour, il fut bouleversé à tel point qu’il se convertit [2] et demanda au Christ de se souvenir de lui. Nous pouvons considérer qu’il est le dernier converti par le Christ pendant Sa vie terrestre.

Cette prière du Christ-Roi qui pardonne, était si neuve pour le « bon » malfaiteur, qu’il ressentit des sentiments étrangers à son esprit et à toute sa vie. Cette intercession de pardon reporta le « bon » larron à l’âge le plus oublié de son enfance, lorsqu’il était innocent et savait qu’il existait un Dieu auquel on pouvait demander la paix comme les pauvres demandent le pain à la porte des riches. Mais en aucun lieu, aussi loin qu’il ait été possible de se souvenir, il n’existait de demande de pardon comme celle-là, à la fois tellement en dehors de l’ordinaire et tellement absurde sur les lèvres d’une personne qui va être tuée. Et pourtant, ces paroles invraisemblables trouvent dans le cœur desséché de ce larron un lien à quelque chose à laquelle il voulait croire, particulièrement en ce moment où il était en train de comparaitre devant un Juge plus important que celui des tribunaux humains.

Il lui revint à l’esprit ce qu’il avait entendu raconter de Jésus: peu de choses, et peu claires, pour lui. Il savait qu’Il avait parlé d’un royaume de paix et qu’il serait revenu pour le gouverner.

Alors, dans une impulsion soudaine de foi, comme s’il revendiquait la communion de ce sang qui coulait en même temps de ses mains de criminel et des mains de l’Innocent, il prononça ces paroles : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton règne ».

Et Jésus qui n’avait répondu à personne pendant qu’Il était en Croix, tourna sa tête vers le pieu larron, autant qu’Il le pouvait, et lui répondit : « Moi, je te dis en vérité qu’aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis ». L’humble demande du bon malfaiteur avait suffit pour obtenir l’absolution.

Cet homme se sauva parce qu’il sut transformer la condamnation sur la croix en un geste de piété. Il fut avec le Christ, et le Christ, tout de suite (Jésus lui dit : « aujourd’hui ») accueillit dans Sa piété[3].

 

            3) La poursuite du chemin amoureux de la Croix

Si l’Eglise, cette grande et belle mère, et nous-mêmes, nous voulons fêter la royauté du Seigneur, nous devons parcourir le chemin de Croix.

Jésus est un roi, innocent, condamné. Et aux yeux des hommes, il semble que sa royauté soit un pouvoir burlesque : les hommes sont habitués à bien d’autres rois et à bien d’autres manifestations de la royauté. Jésus avait déjà fait comprendre cela précédemment : « Les Rois des nations païennes leur commandent en maîtres et ceux qui exercent le pouvoir sur elles se font appeler bienfaiteurs. » (Lc22,25-27). Il y a donc une différence entre la royauté du monde et la royauté de Dieu entre les manifestations de la première et celles de la deuxième. La scène de la crucifixion de l’Evangile d’aujourd’hui (Lc 23,33-43) rassemble toutes les raisons de cette différence et les explique de façon complète. Avant tout, la royauté du Christ est affirmée. Saint Luc utilise une construction emphatique : « Il est le roi des juifs » (v 38). La motivation de la condamnation qui signifierait, dans la tête des chefs, la fin de l’absurde prétention de Jésus : en fait, c’est l’affirmation inconsciente que la royauté de Jésus se manifeste vraiment là, en croix, en toute splendeur.

Jésus meurt entre deux condamnés (tout au long de sa vie, il fut accusé d’être avec des publicains et des pêcheurs): un, le mauvais, ne comprend pas, prisonnier -comme tous- du schéma mondain de la royauté (« ce n’est pas toi le Messie? Sauve-toi et nous aussi »); mais l’autre, le bon, entrevoit, derrière la faiblesse de la croix, la puissance de l’amour qui y transparait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton règne » (v.42). Maintenant, le motif central est clair : la royauté de Jésus resplendit dans l’obstination de l’amour. Il resplendit dans le refus  d’utiliser Sa puissance pour se sauver Lui-même, sans se soustraire  à la contradiction d’un roi « battu ».

Voici ce qui est inouï : Jésus ne se sert pas de sa puissance divine pour se sauver lui-même, pour se soustraire au don entier total de Lui-même. Il n’utilise pas son pouvoir pour contraindre ceux qui le refusent à admettre leur tort.

Jésus s’abandonne totalement à l’apparente faiblesse de la non-violence et de l’amour.

La royauté de Jésus est donc liée à la croix. Toutefois, même les aspects que nous indiquons comme la splendeur, la gloire, la victoire et la puissance, ne sont pas absents. En fait, le Crucifié est ressuscité et le Fils de l’homme reviendra dans la majesté de sa gloire. Mais il s’agit toujours de la gloire de l’amour, du triomphe du chemin de la Croix. La résurrection et le retour de Jésus sont la révélation de la splendeur et de la force victorieuse que le chemin de la Croix cache.

C’est dans cette perspective que l’on comprend l’affirmation de Saint Luc, celle où le Christ crucifié et ressuscité règne déjà maintenant : « aujourd’hui ».

 

4) Epouses de Christ-Roi crucifié

Un Roi comme lui vaut la peine de le suivre et de répondre à la vocation de l’accepter comme Epoux et de devenir co-rédempteur en portant avec lui le poids du monde. A Dieu qui dit : « N’ayez pas peur, ne craignez pas parce que je suis avec toi et que je t’aime ». (Is 43,45), la réponse la plus naturelle est « oui ». Pour cela, il y a des exemples et des témoignages : « Les vierges consacrées qui célèbrent des noces mystiques avec Jésus Christ, fils de Dieu et se mettent au service de l’Eglise » (can. 604 du Code du Droit Canon)

Dans le Rituel de la Consécration des Vierges (Ordo 1970), on demande à la candidate :

« Veux-tu être consacrée ai Seigneur Jésus Christ, le Fils du Dieu Très-Haut, et le reconnaître comme ton époux ? » (n. 17). Et dans la prière de consécration l’Evêque proclame : « Heureuse celle qui consacre sa vie au Christ et le reconnaît comme source et raison d’être de la virginité. Elle a choisi d’aimer celui qui est l’Epoux de l’Eglise et le Fils de la Vierge Mère … Et toi, Dieu toujours fidèle, sois sa fierté, sa joie et son amour, sois pour elle consolation dans la peine, lumière dans le doute, recours dans l’injustice, dans l’épreuve, sois sa patience, dans la pauvreté, sa richesse, dans la pauvreté, sa richesse, dans la privation, sa nourriture, dans la maladie, sa guérison. En toi qu’elle possède tout, puisque c’est toi qu’elle préfère à tout » (n. 24)

N’oublions pas que nous sommes tous choisis depuis toute Eternité (Cf. Eph 1,4) pour régner avec lui, « à la louange de sa gloire » (Eph 1,12). Il dit à chacun de nous : « tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi » (Jn 17,10), et nous prions : « Que ton règne vienne » dans notre coeur, dans notre mémoire et dans notre volonté pour soutenir, avec Christ, le monde qui désire fortement se relever

En tant que fils et filles du Roi, prions : « Que ton Règne vienne » c’est à dire que ta puissance d’amour, Seigneur, sauve le monde entier.

Lectures spirituelles

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus priait :

« O Jésus, mon divin époux: que jamais je ne perde la seconde robe de mon Baptême, prends-moi avant-que je fasse la plus légère faute volontaire. Que je ne cherche et ne trouve jamais que toi seul, que les créatures ne soient rien pour moi et que je ne sois rien pour elles mais toi Jésus soit tout!… Que les choses de la terre ne puissent jamais troubler mon âme que rien ne trouble ma paix, Jésus je ne te demande que la paix, et aussi l’amour, l’amour infini sans limite autre que toi, l’amour qui ne soit plus moi mais toi, mon Jésus. Jésus que pour toi je meure martyre, le martyre du cœur ou du corps, ou plutôt tous les deux….. Donne-moi de remplir mes vœux dans toute leur perfection et fais-moi comprendre ce que doit être une épouse à toi. Fais que je ne sois jamais à charge à la communauté mais que personne ne s’occupe de moi, que je sois regardée foulée aux pieds oubliée comme un petit grain de sable à toi, Jésus. Que ta volonté soit faite en moi parfaitement, que j’arrive à la place que tu as été devant me préparer…… (Mt 6,10 ; Jn 14,2-3) Jésus fais que je sauve beaucoup d’âmes, qu’aujourd’hui il n’y en ait pas une seule de damnée et que toutes les âmes du purgatoire soient sauvées…. Jésus pardonne-moi si je dis des choses qu’il ne faut pas dire, je ne veux que te réjouir et te consoler. »

Lecture Patristique

D’après le ch. 25 de « La prière » par Origène

“Que vienne Ton Règne! Comme l’a dit notre Seigneur et Sauveur, le Règne de Dieu « ne vient pas de manière à frapper le regard, et on ne saurait dire : le voici, le voilà! mais le Règne de Dieu est au-dedans de nous » (Lc 17:20-21); le mot au-dedans signifie : dans notre bouche, dans notre coeur (Rom 10:8). Il est donc évident que celui qui prie pour que vienne le Royaume de Dieu prie avec raison qu’en lui s’élève, fructifie, s’achève le Règne de Dieu. Dans tous les saints qui ont Dieu pour Roi et qui obéissent à ses lois spirituelles, le Seigneur habite comme dans une cité bien administrée. Le Père est présent et le Christ règne avec le Père dans l’âme accomplie, selon la parole […] : « Nous viendrons en lui et en lui nous établirons notre demeure » (Jn 14, 22). […] Le Royaume de Dieu en nous, alors que nous progressons toujours, atteindra sa perfection, quand s’accomplira la parole de l’apôtre : « lorsqu’Il aura soumis tous Ses ennemis, le Christ remettra le Royaume à Dieu le Père, afin que Dieu soit tout en tous » (1 Co 15, 24-28). Aussi prierons-nous sans cesse avec les dispositions divinisées par le Verbe, en disant à notre Père qui est dans les Cieux : « Que Ton Nom soit sanctifié, que Ton Règne arrive! »

Il faut noter encore, à propos du Règne de Dieu : il n’est pas possible de concilier la justice avec l’iniquité, la lumière et l’ombre, le Christ et Bélial; de même le règne du péché est inconciliable avec le Règne de Dieu. Si nous voulons que Dieu règne sur nous, que jamais le péché ne règne sur notre corps mortel. Ne suivons pas les appels du péché qui sollicite notre âme aux oeuvres de la chair et aux actes qui sont étrangers à Dieu. Faisons mourir nos membres charnels pour produire les fruits de l’Esprit; le Seigneur se promènera en nous comme en un paradis spirituel, il règnera seul en nous avec Son Christ, à la droite de la puissance spirituelle que nous demandons de recevoir, jusqu’à ce que Ses ennemis deviennent en nous l’escabeau de Ses pieds et que soit écartée de nous toute principauté, puissance et souveraineté. Tout cela peut se réaliser en chacun de nous, la mort est vaincue, afin que le Christ puisse dire en nous : « Mort, où est ton aiguillon, enfer, où est ta victoire? » (Os 13:14, 1 Cor 15, 55).

Il faut donc que ce qui est corruptible en nous révèle la sainteté et l’incorruptibilité dans la pureté; et ce qui est mortel, en dépouillant la mort, révèle l’immortalité du Père. De cette manière, Dieu règnera en nous et déjà nous entrons en possession des biens de l’engendrement d’en haut et de la résurrection.”

NOTES

[1] Régner dérive du verbe latin « regere » qui signifie 1. Régir, gouverner, dominer, administrer, commander ; 2. Diriger, guider ; 3. Régler, corriger, guider sur la droite ; 4. Stabiliser, fixer, tracer les limites.

[2] Se convertir en grec est indiqué à l’aide de deux verbes : Le premier est epistréfo qui signifie se tourner vers, le second est metanoéo qui veut dire « changer de mentalité, de façon de penser ». La conversion chrétienne implique les deux choses : se tourner vers le Christ et assumer Sa mentalité.

[3] Le mot piété signifie avant tout « habitude d’amour », tant est si bien que l’expression « les pratiques de  piété » s’entend comme les « prières »