Homélie dimanche 25 /10: Tu aimeras le Seigneur ton Dieu…

XXXème DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE A
Première Lecture : Ex 22, 20-26) ; Psaume Responsorial : 18(17)
Deuxième Lecture : 1 Th 1, 5-10 ; Evangile : Mt 22, 34-40.

 

Tu aimeras le Seigneur ton Dieu…
Sous la plume de Matthieu, à la différence de celle de Marc (cf. Mc 12, 28), la question du plus grand commandement qui vient d’être posé à Jésus n’a rien d’innocent. Elle doit être mise au compte de la troisième tentation. La première, on se souvient, est celle du dimanche dernier, c’est-à- dire, la question de l’impôt à payer ou non à César (cf. Mt 22, 17). Il se fait donc que le choix des lectures liturgiques omet la deuxième tentation qui porte sur le sort final, à la Résurrection des morts, de la femme qui, sur la terre, aura eu successivement pour maris sept frères, les uns mourant après les
autres, jusqu’au dernier (cf. Mt 22, 23-33). Sous le sérieux de la question d’aujourd’hui, celle du plus grand commandement, se cache l’intention de prendre Jésus au piège et de le livrer aux autorités romaines. Une fois de plus, Jésus s’en sort allègrement. Toutefois, ce dénouement, l’évangéliste
préfère le renvoyer à la fin d’une contrattaque où Jésus, à son tour, pose aux pharisiens la question : de qui le Messie est-il le fils ? (Mt 22, 42). Après que Jésus leur ferme la bouche avec sa propre réponse, l’évangéliste rapporte : à partir de ce jour, personne n’osa plus l’interroger (Mt 22, 46).

Seigneur, tu sors de tous les pièges des pharisiens et des Docteurs de la Loi. Ainsi annonces-tu que tu sortiras du piège que la mort te tendra dans la tombe, en ressuscitant dans la gloire. C’est l’amour qui t’aura porté jusque-là. C’est toi l’Amour, et c’est à toi, l’Amour que des détracteurs posent insidieusement la question : quel est le plus grand commandement ? S’ils savaient qui tu étais… ! Et que réponds-tu, toi l’Amour ? : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit… tu aimeras ton prochain comme toi-même. Ce sont nos cœurs que tu éclaires ainsi par ton amour, pour que nous puissions comprendre ce que c’est que d’aimer.

On peut s’étonner que l’Ancien Testament que cite Jésus dans sa réponse ne fasse pas résider l’amour dans le cœur de l’homme comme une spontanéité qui le pousse vers l’autre. On le sait, le même cœur qui aime éprouve aussi de la haine avec la même spontanéité, et la sagesse de l’Ancien Testament consiste à considérer comme école de l’Amour, non pas le cœur si plein d’ambiguïté, mais l’histoire. Oui, c’est dans sa propre histoire que le peuple de Dieu apprend l’amour : esclave au pays d’Egypte, il en est délivré par Dieu (cf. Ex 13, 17) ; menacé d’être récupéré par l’armée de Pharaon au bord de la Mer rouge, Dieu lui fait traverser celle-ci à pied sec (cf. ex 14, 29-31) ; il a faim au désert, Dieu, du ciel, fait tomber la manne (cf. Ex 16) ; il a soif, Dieu fait jaillir pour lui l’eau du rocher (cf. ex 17, 1-7). C’est à cette école qu’Israël apprend qu’il est aimé de Dieu, et c’est sa sensibilité à cet amour de Dieu qui l’ouvrira à l’amour du prochain : tu ne maltraiteras point l’immigré qui réside chez toi, tu ne l’opprimeras point, car vous étiez vous-mêmes des immigrés en Egypte.

Toutefois, la réponse qu’Israël donne à cet amour de Dieu sera marquée par maintes insuffisances. Rabbi Rashbam, mille ans après le Christ, donne du Lv 19, 18 un commentaire conforme à l’esprit juif : tu aimeras ton prochain comme toi-même, s’il est vraiment ton prochain, c’est-à-dire, s’il est bon, mais pas s’il est méchant, comme il est écrit : “craindre le Seigneur signifie
haïr le méchant”. Pour aboutir à l’universalité de l’amour, il faut des siècles d’interventions prophétiques, et il ne faut pas moins de l’intervention de Dieu lui-même à travers son Fils Jésus qui réunit en un seul commandement l’amour de Dieu et du prochain.

Jésus s’illustre surtout par la situation privilégiée où il se trouve par sa double nature de Dieu et d’homme. En tant que Dieu, il répond avec perfection à l’amour du Père. Or, l’amour du Père entend opérer le salut des hommes. Le Verbe de Dieu entrera totalement dans ce dessein du Père en
acceptant de s’incarner et de donner sa vie pour les hommes. Là, on perçoit clairement comment l’amour que Jésus a pour le Père le conduit à aimer les hommes : l’amour du Fils l’amène à obéir au Père, et cette obéissance vaut aux hommes le salut. De plus, dans son humanité, Jésus se trouve à être l’homme qui aime Dieu de la façon la plus parfaite, et il devient ainsi le Médiateur entre Dieu et les hommes.

L’histoire de Jésus devient aussi le lieu où le disciple apprend à aimer Dieu et le prochain. Lorsque, par exemple, Paul dit de Jésus : il m’a aimé et s’est livré pour moi, voilà ce qu’il comprend : ma vie présente, dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu (Ga 2, 20), et c’est en réponse à cet amour du Christ que Paul nous présente le profil que nous avons de lui, le profil de celui qui, corps et âme, se donne pour le service de l’Evangile tant en faveur des Juifs que des païens.

Comme les hauts faits de Dieu dans l’Ancien Testament sont une école d’amour pour Israël, ainsi, la vie de Jésus dans le Nouveau Testament est une école d’amour pour moi, car Jésus, c’est la manifestation la plus élevée de l’amour de Dieu pour moi. Or, cette manifestation n’a pas seulement
cours dans l’histoire du monde, mais aussi dans mon histoire individuelle et personnelle.

Ma vie apparaît donc comme le théâtre de l’amour de Dieu pour moi, le lieu où j’apprends à aimer comme je suis aimé, l’école de l’amour sous l’égide de Jésus comme Maître. Ce que je dis là m’interpelle pour que j’apprenne à regarder la vie de façon plus positive et à ne pas en faire un objet de jérémiades ininterrompues. N’est-ce pas que ceux qui n’aiment pas, d’abord et avant tout, n’aiment pas leur vie ? En aimant sa vie, on y trouve l’amour de Dieu, ou l’amour tout court. Alors, on aime à aimer.