Bonne Année ! Oui, pour nous, c’est le début d’une nouvelle année liturgique avec une nouvelle formulation pour la prière du Notre Père … il était temps !
Bonne semaine.
P. Roger
Vous avez forcément entendu parler du nouvel an chinois, chaque année, on nous rebat les oreilles en nous expliquant que ça sera l’année du singe ou celle du serpent et les grands magasins proposent un certain nombre de plats caractéristiques de la cuisine chinoise. Mais il y a aussi le nouvel an juif qui se célèbre à l’occasion de la fête de Roch Hachana, là il y a beaucoup moins de médiatisation, mais on en entend quand même parler. Et puis, il y a le nouvel an liturgique pour les chrétiens et c’est aujourd’hui, avec l’entrée dans le temps de l’Avent que commence notre nouvelle année. Là, j’en suis sûr, nous n’entendrons absolument pas parler ni à la télé, ni à la radio, ni dans les journaux, pourtant le début de cette nouvelle année chrétienne est marquée par un événement suffisamment rare pour qu’il soit souligné. En effet, c’est aujourd’hui que les évêques de France ont décidé de lancer la nouvelle traduction du Notre Père.
Enfin, quand on dit nouvelle traduction, il ne faut pas exagérer non plus, il s’agit d’un changement qui ne concerne qu’une seule phrase, la 6° demande du Notre Père. Depuis que nous le prions en français, en ayant appris à tutoyer Dieu, nous disions dans cette 6° demande : « ne nous soumets pas à la tentation. » Désormais, nous dirons : « ne nous laisse pas entrer en tentation. » Vous pourriez penser qu’il s’agit d’un détail, je ne le pense pas et je suis vraiment très content qu’on ait enfin changé la formulation de cette 6° demande. En théologie, il y a un adage latin qui dit : « lex orandi, lex credendi » que je traduis de manière assez libre en ces termes : on croit comme on prie. C’est à dire que les mots de notre prière, d’une part reflètent notre foi, mais aussi la façonnent. Le moyen le plus sûr de savoir ce que croient les chrétiens, c’est d’écouter, d’étudier leur prière. Or, quand on écoutait la prière par excellence, celle que les chrétiens, quelle que soit leur confession, priaient si souvent, on entendait que Dieu les soumettait à la tentation ! Quelle horreur ! Je me demande comment on a pu laisser passer cela ! Je sais que des exégètes, ces spécialistes de la Bible, ont trouvé des arguments pour justifier une telle traduction. Mais leurs arguments ne m’ont jamais convaincu d’autant plus qu’ils demandaient une série d’explications que l’immense majorité du peuple chrétien ne lirait jamais !
Au bout d’un moment, en appliquant l’adage latin, les gens de l’intérieur de l’Église quand ils priaient avec ces mots et ceux de l’extérieur quand ils ne faisaient que les lire ou les entendre finissaient par être persuadés que Dieu pouvait être à l’origine de nos tentations ou plus largement de nos épreuves. Puisqu’on lui demandait de ne pas nous soumettre à la tentation, on pouvait légitimement en déduire que c’était lui qui les envoyait. Tout cela finissait par façonner de manière plus ou moins consciente chez tous ceux qui ne prenaient pas bien le temps de réfléchir ou qui répétaient machinalement ces mots une idée complètement tordue de Dieu. Ne nous étonnons pas qu’avec une telle formulation, dès que les gens étaient dans l’épreuve, ils en arrivaient à dire : mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter cela ? Il était vraiment temps d’intervenir. Parce qu’on ne peut pas commencer la prière en appelant Dieu : abba, c’est à dire Père et même papa, en y mettant un grande tendresse et quelques phrases plus loin laisser imaginer qu’il sera celui qui peut être à l’origine de nos problèmes. Il y avait une grande incohérence et il était temps d’y remédier.
La nouvelle formulation montre clairement que ce n’est pas Dieu qui envoie les tentations puisqu’on lui demande son aide afin de ne pas y entrer. Il ne peut pas être en même temps celui qui donne la tentation et celui qui aide à ne pas y entrer ! Non, là, maintenant, en appliquant l’adage « on croit comme on prie » on voit très bien que notre foi est claire : Dieu est un Père qui veut aider ses enfants à ne pas entrer dans la tentation parce qu’il sait que lorsqu’ils y entrent, c’est le début de problèmes sans noms ! Au point où nous en sommes rendus, il y a deux questions qui peuvent se poser à nous : quand on parle de tentations, on parle de quoi et comment Dieu va-t-il s’y prendre pour que nous n’entrions pas dans la tentation ?
Quand nous parlons de tentations, de quoi parlons-nous exactement ? Maintenant que nous sommes au clair avec le fait que ce n’est jamais Dieu qui est à l’origine de la tentation, mais que c’est donc Celui que la Bible appelle justement le Tentateur, il est assez facile de définir ce qu’est la tentation. Le Tentateur, lui, il n’a qu’un seul désir, c’est de nous faire sortir de notre vocation fondamentale, c’est ça la Tentation par laquelle, il va essayer de nous égarer. Notre vocation fondamentale, elle est précisément affirmée dans les deux premiers mots du Notre Père, nous sommes appelés à vivre comme des fils puisque nous appelons Dieu, Père. Nous sommes aussi appelés à vivre comme des frères puisque nous disons NOTRE Père, reconnaissant ainsi qu’il est le Père de tous les hommes, qu’il est donc à l’origine de notre fraternité. Le Tentateur, il va donc essayer de nous faire oublier notre dignité de fils de Dieu en nous faisant faire n’importe quoi, en nous faisant avoir des comportements qui ne sont pas conformes à notre identité de fils de Dieu. Il va aussi chercher à nous faire croire que Dieu n’est pas un vrai Père, un Père aimant, bienveillant. Il faudrait développer longuement, mais je ne peux le faire dans le cadre de cette homélie. Il va aussi instiller dans nos cœurs le poison de l’égoïsme, de la méfiance, du jugement à l’égard des autres pour nous faire oublier qu’ils sont d’abord des frères. A chaque fois que nous cédons à la tentation, c’est notre identité de Fils de Dieu, ce sont nos liens de fraternité qui se retrouvent bafoués. Vous voyez que ce n’est pas rien et qu’il y a un grand enjeu à combattre pour ne pas entrer en tentation.
Et alors justement, comment Dieu va-t-il s’y prendre pour que nous n’entrions pas dans la tentation ? En effet, c’est ce que nous lui demandons avec cette nouvelle formulation : ne nous laisse pas entrer en tentation. Vous savez que, parce qu’il est amour, Dieu nous a créés libres. La liberté est la caractéristique de l’amour. Eh bien, parce qu’il nous a créés libres, Dieu n’interviendra en notre faveur que si nous le lui demandons. Si au moment où je sens arriver la tentation, quelle qu’elle soit, si, à ce moment-là, parce que je connais ma fragilité j’appelle Dieu à l’aide, c’est sûr qu’il va intervenir. Il me donnera la force du Saint-Esprit pour que je résiste, pour que je ne me laisse pas aller à adopter des comportements qui vont brouiller mon identité de fils et ma vocation de frère. Dieu n’attend qu’une seule demande de ma part pour déclencher le plan Orsec en ma faveur : toute la puissance du St Esprit sera mise à ma disposition pour me permettre de garder un comportement digne de mon identité de Fils de Dieu et conforme à ma vocation de frère.
Alors, comme nous y invite l’Évangile, veillons ! Veillons pour ne pas nous laisser endormir par les manœuvres du Tentateur. Veillons pour ne pas nous croire plus forts que nous ne le sommes réellement lorsque la tentation se profile et tente de nous séduire. Veillons pour appeler Dieu au secours le plus vite possible en lui demandant la force du Saint Esprit. Et rappelons-nous ce proverbe chinois que je trouve si parlant : il est plus facile d’arracher un brin d’herbe que de déraciner un baobab. Ainsi en va-t-il avec la tentation et c’est pour cela que, dès que la tentation se profile, il vaut mieux demander à Dieu la force de ne pas y entrer. Certes, lui, il aurait l’énergie nécessaire de déraciner un baobab, mais comme il ne le fera pas à notre place, il n’est pas sûr que nous, même avec la force de Dieu, nous ayons le courage de nous y mettre !