Homélie du dimanche 07/04/19 :« Dieu rend justice par Sa miséricorde »

1) Aimer c’est pardonner et pardonner c’est aimer.

Grâce à l’Evangile de dimanche dernier, nous avons contemplé l’étreinte du Père miséricordieux qui, par son amour, embrasse et réhabilite le fils prodigue qui était parti loin de chez lui, et qui avait gaspillé, non seulement l’héritage réclamé d’avance, mais aussi sa dignité humaine.

Aujourd’hui, nous contemplons Jésus en train d’écrire sur le sol, en baissant les yeux pour ne pas blesser la femme adultère même de son regard.

Peut-être a-t-il écrit sur la poussière les péchés d’une humanité fragile. Certainement par son geste, il a écrit la loi du pardon sur le cœur d’une femme assoiffée de vie, dont le péché la condamnait à la lapidation.

Si je ne me trompe pas, il y a deux moments où la Bible parle du doigt de Dieu qui écrit. Sur le mont Sinaï, ce « doigt » écrit les commandements sur les plaques de pierre afin qu’il les donne aux Juifs. L’autre, c’est quand, sur le mont Sion, le doigt du Christ écrit sur le sol de l’atrium du Temple.

Comme c’est beau, comme ce geste de Jésus est profond. Il semble le geste d’un enfant, ou d’un amant sur le sable de la mer.

Qu’a écrit Jésus ? Personne ne peut le dire avec certitude. Cependant, il est possible de dire que Jésus s’est abaissé pour écrire et a touché le sol, il s’est mis à la hauteur de la femme pécheresse. Dans ce geste, profondément simple, il y a une théologie profonde : Dieu dans la chair du Fils est venu toucher notre terre. Tout est terrestre devant Jésus, mais Il touche la terre pour la ramener dans l’orbite du ciel.

Avec notre esprit et notre cœur, imaginons que nous sommes présents sur la scène décrite dans l’Évangile de la liturgie romaine d’aujourd’hui.

Nous voyons Jésus au temple, c’est le matin et les gens viennent à lui. Il s’assoit (le texte grec utilise le mot kathizo: geste du maître assis en chaire pour enseigner) ; et voilà qu’arrivent des scribes et des pharisiens avec une femme ; ils la jettent à ses pieds et lui demandent : « Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu ? ». Pharisiens et scribes veulent que les pierres de la lapidation « rebondissent » de la femme adultère au Christ, qui ne répond pas tout de suite à la question qui lui est posée comme un piège mortel.

En effet, s’il s’était mis à contester la Loi de Moïse pour sauver sa réputation d’homme bon, doux comme un agneau (la Passion est proche), il aurait été Lui aussi lapidé comme « anti-Dieu ». S’il avait confirmé la condamnation, il aurait mis des pierres tombales sur son message de miséricorde. Par ailleurs, si d’un côté Jésus ne pouvait pas légitimer le péché, de l’autre – je crois – il détestait l’acharnement des « sans-pitié », l’impudence des pécheurs qui voulaient s’ériger en juges des péchés d’autrui.

Le Christ ne tombe pas dans le piège et résout le dilemme entre « justice » et « absolution » : il pardonne. Il ne renie pas la Loi, il révèle le visage de tendresse et de miséricorde d’un Dieu qui aime son peuple pour que ce dernier apprenne, à son tour, à être miséricordieux. De cette manière-là, il fait encore plus resplendir la vraie et heureuse nouvelle de l’Evangile qui est toute miséricorde, autrement dit une « justice » qui recrée.

Pour enseigner la miséricorde, Jésus écrit sur le sable, comme pour indiquer que les paroles des accusateurs ont pour lui l’inconsistance de la poussière ; il grave son pardon sur le cœur de la femme adultère, et aujourd’hui, sur notre cœur qui est devenu de chair grâce à la douleur du péché. Et, Lui, le seul sans péché, dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre », pour signifier que celui qui veut l’application de la Loi, doit d’abord l’appliquer à lui-même, pour rappeler que les accusateurs étaient des pécheurs eux aussi. Quand la femme fut conduite à Lui, Jésus baissa les yeux pour ne pas la blesser, pas même du regard. Après l’avoir pardonnée, il leva ses yeux vers elle et la femme comprit que le Christ voyait en elle une grandeur et une dignité que le péché ne peut détruire. Il se mit à l’appeler comme il appelait sa mère, Marie : « Femme », aux noces de Cana et sur la Croix, signe suprême de la miséricorde de Dieu.

            2) Une question de regard.

Pour apprendre cette miséricorde, nous devons regarder le Christ avec des yeux pleins de reconnaissance, comme cette pécheresse avait certainement fait après avoir été sauvée par l’étonnant pardon, l’étonnante absolution, du Rédempteur : « Femme, je ne te condamne pas » Et c’est ce que Jésus dira à chacun de nous : « va et désormais ne pèche plus. » Le regard pur du Christ et celui, implorant, de la femme adultère se sont croisés. Le Christ a vu en elle la beauté originelle de son âme, une âme pourtant noircie par le péché. La femme, le regard désormais purifié par le pardon, a vu le ciel, dont les yeux du Sauveur sont les fenêtres.

A la lumière de cette rencontre faisons nôtre la prière que le prêtre récite à l’ouverture de la messe d’aujourd’hui : « Seigneur, Toi qui renouvelles toutes choses par Jésus-Christ » y compris notre misère, fais fleurir « dans notre cœur le chant de la gratitude et de la joie. »

La lumière des yeux du Christ se reflètera dans les nôtres et nous aurons des regards purs et reconnaissants, comme il est demandé aux vierges consacrées, dont la présence fait lever les yeux, renvoie à cette vraie réalité vers laquelle nous nous acheminons tous. Les vierges consacrées se donnent à Dieu et nous rappellent l’importance d’avoir un regard contemplatif. Avec elles et avec toute l’Eglise prions pour avoir nous aussi les yeux levés ; qu’ils puissent se remplir de cette lumière et de cette reconnaissance qui se transformeront en don d’amour, et en service d’amour (Rituel Consécration des vierges n° 24, vers la fin de la prière de consécration).

3) L’amour ressuscité

Si l’évangile choisi par la liturgie romaine d’aujourd’hui nous fait célébrer l’amour qui pardonne, celui choisi par la liturgie ambrosienne nous enseigne l’amour qui fait ressusciter, en nous proposant l’épisode de la résurrection de Lazare.

Jésus et Lazare s’aimaient comme deux frères. Le Messie allait souvent chez lui et ses deux sœurs, Marthe et Marie, et il prenait des repas avec eux en toute amitié. Etrangement – selon notre point de vue – quand on vient dire à Jésus que Lazare est tombé malade, il attend deux jours avant d’aller le trouver ; et, quand il arrive, celui-ci est mort. Les deux sœurs du défunt rabrouent Jésus, répétant l’une après l’autre : « Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort ». Le Christ, beaucoup plus peiné par le peu de foi de personnes qui lui sont si chères que par le reproche en soi, leur demande en pleurant : « Où l’avez-vous mis? ». Ils partent ensemble au tombeau et Jésus, après avoir fait retirer la pierre tombale, rappelle son ami à la vie.

D’après ce que nous disent les évangiles, et si je ne me trompe pas, seuls trois morts ont été ressuscités par Jésus : le fils de la veuve de Naïm, la fille de Jaïre et Lazare. Et ce n’est pas tant pour manifester sa puissance et impressionner les gens qu’il a accompli ces trois miracles. Il me semble que seule la terrible souffrance d’avoir perdu des êtres chers, avait poussé Jésus à agir ainsi : consoler une mère, un père et deux sœurs. A mon avis, une autre observation est importante à faire : dans les trois cas, Jésus parle du défunt comme s’il n’était pas mort mais seulement endormi. Il n’a pas le temps de parler du fils de la veuve parce que la décision est trop immédiate. Mais il dit à lui aussi, comme à un paresseux qui ne veut pas sortir de son lit: « Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi! ». Quand on lui dit que la petite fille de Jaïre est morte, il répond: « Elle n’est pas morte, elle dort. » Quand on lui confirme la mort de Lazare, il insiste: « Il n’est pas mort, il dort. » La Mort pour Lui n’est qu’un Sommeil. Un sommeil plus profond qu’un sommeil ordinaire et quotidien, mais si profond que seul un Amour surhumain le brise. Un Amour interpellé par l’amour des survivants. L’Amour de celui qui pleure quand il voit pleurer ceux qu’il aime. En appelant les morts des « endormis », il nous enseigne que la mort, avec lui, n’a plus le dernier mot sur la vie, car le « sommeil » ne bloque pas définitivement la vie. Il nous enseigne aussi que son Amour uni à l « amour de celui qui souffre est plus fort que la mort et réveille les « endormis ».

L’affirmation réconfortante de saint Jean de la Croix : « Au soir de notre vie nous serons jugés sur l’amour » pourrait être complétée ainsi : « Au soir de notre vie nous serons jugés sur l’amour et réveillés par l’Amour en un jour sans fin ». Donc, par la prière, le jeûne et l’aumône, ouvrons de plus en plus les yeux de notre cœur pour reconnaître tout ce dont est capable l’Amour, la Providence pour nous et pour le monde entier. Prions plus souvent la Vierge Marie et préparons-nous à vivre avec elle la pâque de la Résurrection de son Fils, notre frère, lui qui est tout Amour.

4) Les vierges consacrées et l’épisode de l’adultère.

L’enseignement que, pour les vierges consacrées, est bien mis en évidence par saint Augustin d’Hippone. A la fin de son commentaire sur l’épisode de l’adultère, ce grand saint conclut que les âmes qui n’ont pas commis de péchés doivent remercier le Seigneur car, si elles ne les ont pas commis, c’est par un don de la grâce divine. C’est le fameux texte du II livre des Confessions où Saint Augustin écrit clairement : « Dieu nous a aussi pardonné les péchés que nous n’avons pas commis. Relisez à ce sujet le « De sacra virginitate » aux n. 4l et 42, parce qu’Augustin en parle beaucoup dans ces chapitres. En faisant une comparaison entre leur conduite, irréprochable au niveau de la vie spirituelle et chrétienne, et celle de ceux dont la vie morale n’est pas si irréprochable, il veut trouver la raison pour laquelle les vierges consacrées ont une raison de fierté qui leur fait dire : « Nous ne sommes pas comme eux ». Augustin les invite à imiter l’humilité de cette femme ; il ne veut pas la simulation de l’humilité et il dit : « La simulation de l’humilité est le plus grand orgueil ». Simuler l’humilité signifie l’humilité dans les mots, l’humilité avec des yeux bas et rien de plus. Souvent elle est ou devient en fait l’orgueil le plus grand. Les vierges consacrées doivent humblement imiter l’adultère dans sa douleur et son abandon total au Christ qui donne son pardon à une femme qui a eu une pleine confiance dans son immense miséricorde.

 

Lecture Patristique

Saint Ambroise de Milan (339/340 – 397)
Lettre 26, 11-20 (PL 16, 1044-1046)

Une femme coupable d’adultère fut amenée par les scribes et les pharisiens devant le Seigneur Jésus. Et ils formulèrent leur accusation avec perfidie, de telle sorte que, si Jésus l’absolvait, il semblerait enfreindre la Loi, mais que, s’il la condamnait, il semblerait avoir changé le motif de sa venue, car il était venu afin de pardonner le péché de tous. Ils dirent en la lui présentant: Cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère. Or dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, qu’en dis-tu (Jn 8,4-5)?

Pendant qu’ils parlaient, Jésus, la tête baissée, écrivait avec son doigt sur le sol. Comme ils attendaient, il leva la tête et dit: Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter la pierre (Jn 8,7). Y a-t-il rien de plus divin que cette sentence: qu’il punisse le péché, celui qui est sans péché? Comment, en effet, pourrait-on tolérer qu’un homme condamne le péché d’un autre, quand il excuse son propre péché? Celui-là ne se condamne-t-il pas davantage, en condamnant chez autrui ce qu’il commet lui-même?

Jésus parla ainsi, et il écrivait sur le sol. Pourquoi? C’est comme s’il disait: Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’oeil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton oeil, tu ne la remarques pas (Lc 6,41)? Il écrivait sur le sol, du doigt dont il avait écrit la Loi (Ex 31,18). Les pécheurs seront inscrits sur la terre, et les justes dans le ciel, comme Jésus dit aux disciples: Réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux (Lc 10,20).

En entendant Jésus, les pharisiens sortaient l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés, puis ils s’assirent pour délibérer entre eux. Et Jésus resta seul avec la femme qui était debout, là au milieu. L’évangéliste a raison de dire qu’ils sortirent, ceux qui ne voulaient pas être avec le Christ. Ce qui est à l’extérieur du Temple, c’est la lettre; ce qui est au-dedans, ce sont les mystères. Car ce qu’ils recherchaient dans les enseignements divins, c’étaient les feuilles et non les fruits des arbres; ils vivaient dans l’ombre de la Loi et ne pouvaient pas voir le soleil de justice.

Quand ils furent tous partis, Jésus resta seul avec la femme debout au milieu. Jésus, qui va pardonner le péché, demeure seul, comme lui-même l’a dit: L’heure vient et même elle est venue, où vous serez dispersés chacun de son côté, et vous me laisserez seul (Jn 16,32). Car ce n’est ni un ambassadeur ni un messager qui a sauvé son peuple, mais le Seigneur en personne. Il reste seul parce qu’aucun des hommes ne peut avoir en commun avec le Christ le pouvoir de pardonner les péchés. Cela revient au Christ seul, lui qui enlève le péché du monde. Et la femme méritait d’être pardonnée, elle qui, après le départ des Juifs, demeure seule avec Jésus.

Relevant la tête, Jésus dit à la femme: Où sont-ils, ceux qui t’accusaient? Est-ce que personne ne t’a lapidée? Et elle répondit: Personne, Seigneur, Alors Jésus lui dit: Moi non plus, je ne te condamnerai pas. Va, et désormais, veille à ne plus pécher. Voilà, lecteur, les mystères divins, et la clémence du Christ. Quand la femme est accusée, le Christ baisse la tête, mais il la relève quand il n’y a plus d’accusateur, si bien qu’il veut ne condamner personne, mais pardonner à tous. <>

Que signifie donc: Va, et désormais veille à ne plus pécher! Cela veut dire: Puisque le Christ t’a rachetée, que la grâce te corrige, tandis qu’un châtiment aurait bien pu te frapper, mais non te corriger.

 

Mgr Follo