Solennité du Corps et sang du Christ 2021 B

Première lecture : Ex 24,3-8
Psaume responsorial : Ps 116(115)
Deuxième lecture : He 9,11-15
Evangile : Mc 14,12-26.

Il apparaît clairement – et il faut le dire sans accuser personne – que la dévotion catholique ne fait pas tout à fait justice à l’espèce eucharistique du vin lorsqu’elle se concentre par trop sur le signe du pain. Cela peut se comprendre quand on sait que le pain est moins délicat à manier que le vin, plus apte à la conservation et, dans la distribution, moins sujet à la contagion. Ce dernier avantage l’impose comme l’unique espèce à distribuer au temps du Covid. Et pourtant, l’eucharistie, c’est inséparablement le Corps et le Sang du Christ, parce que, au même niveau, les deux éléments participent de la Mort du Christ comme corps livré et sang versé, comme tous les deux également se trouvent impliqués dans sa Gloire de Ressuscité pour constituer pareillement nourriture et boisson de salut pour les fidèles. Il faut donc dire haut et fort que la solennité de ce jour n’est pas simplement celle du Corps du Christ, mais du Corps et Sang du Christ, et c’est heureux que dans les lectures de cette Année B, domine le thème du Sang.

Toutefois, malgré l’enracinement du Sang du Christ dans le culte et le Dogme catholiques, la révélation du sang dans les Ecritures reste marquée par des tergiversations et même des contradictions très embarrassantes pour le croyant.

Comme élément du créé, le sang ne se donne pas plus de prétention que les autres créatures, mais il commence à faire parler de lui le jour où Dieu le voit sortir des artères et des veines d’Abel pour se répandre sur le sol sous les coups de Caïn (cf. Gn 4,8). Ce jour, le sang de l’homme a poussé son premier cri vers Dieu (Gn 4, 10). Dieu entend ce cri et inflige au meurtrier un châtiment qui démontre qu’il n’est pas permis de verser le sang. Que celui qui en demande raison sache que le sang a la fonction de garantir la vie et finalement se confond avec la vie elle-même. Or, l’homme ne peut disposer de la vie de l’autre ni de la sienne. Par ailleurs, la connivence entre le sang et la vie amène à l’interdiction de consommer le sang (cf. Lv 17, 10). Dieu, en outre, déclare donner le sang pour faire sur l’autel le rite d’expiation pour vos vies (Lv 17,11). C’est exactement ce rite qu’on voit Moïse accomplir dans la première lecture d’aujourd’hui. Le sang se trouve ainsi à avoir partie liée avec le sacrifice, car pour en disposer, il faut immoler une victime. Il aura aussi partie liée avec le culte, car le sacrifice se déroule dans le contexte du culte.

Tout cela le dispose malheureusement à tomber sous le coup des violentes invectives prophétiques contre les sacrifices et le culte offerts au mépris de la pratique de la justice et de l’amour.

Dans leur fougue, les prophètes iront jusqu’à déclarer la nullité du culte : c’est l’amour qui me plaît et non les sacrifices, la connaissance de Dieu plutôt que les holocaustes (Os 6,6), et le dégoût de Dieu transparaît clairement dans cette autre déclaration : je hais, je méprise vos fêtes… Quand vous m’offrez des holocaustes… Le sacrifice de vos bêtes grasses, je ne les regarde pas (Am 5,21-22). En même temps que le sacrifice et le culte, c’est aussi le sang qui est désavoué. A la suite des prophètes, les sages envisageront la justice et la conversion du cœur comme de valables substituts du sacrifice et du culte. Le Siracide dira : observer la loi, c’est multiplier les offrandes (Si 35,1), ou encore : ce qui plaît au Seigneur, c’est qu’on se détourne du mal, c’est offrir un sacrifice expiatoire que de fuir l’injustice (Si 35, 3). Tout cela laisse entendre que le sang est tout à fait inutile.

Or, à son avènement, le Messie cumulera les prérogatives du juste et du Grand Prêtre : il pratiquera une justice qui l’amènera à offrir un sacrifice, car il sera obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix (Ph 2,8).

Mais par ailleurs, c’est Jésus qui créera la plus grande contradiction dans la révélation du sang. En effet, son Père avait interdit la consommation du sang dans l’Ancien Testament, et lui, en offrant son sang en sacrifice dit à ses disciples : Ceci est mon sang, prenez et buvez… Il reste maintenant à bien comprendre ce que veut dire le Sang eucharistique de Jésus.

D’abord, à ce Sang, il associe étroitement son Corps : ceci est mon Corps, prenez et mangez… Les deux éléments constituent le don total que la divinité de Jésus fait à l’homme à travers les éléments périssables de sa nature humaine, en sorte que son corps et son Sang, c’est le nom du don total de lui-même, en d’autres termes, c’est le nom de son Amour oblatif.

Plus que tous les dons, celui-ci mérite d’être reçu dans sa totalité Corps et Sang. C’est
pourquoi, au temps du Covid, je plaide particulièrement pour le Sang eucharistique, pour que, à force de n’être pas reçu, le chrétien n’oublie pas que Christ l’a aimé jusqu’à verser son Sang et à se constituer boisson de salut pour lui.

En considérant ce don de Dieu, Saint Augustin s’inspire du Sage de l’Ancien Testament et te conseille de bien regarder ce que ton hôte te sert pour lui servir la même chose en retour. En réalité, Jésus n’a pas besoin que tu le serves en retour, mais il veut que tu t’inspires de sa façon de se donner à toi pour te donner toi-même aux autres. C’est à cela que t’engagent le Corps et le Sang du Christ, c’est-à-dire, l’Eucharistie du Seigneur. Le Seigneur qui est le propriétaire de son Corps et de son Sang ne les garde pas pour lui-même, mais t’en fait don. Or, ce que tu reçois n’est ni de toi ni à toi, tu dois donc, à ton tour, livrer ton corps et verser ton sang pour ton prochain.