Homélie dimanche 19/02: Et si nous arrêtions de jouer petit ?

C’est en tout cas ce que nous demande le Saint-Esprit ce dimanche !

Cette homélie, je l’ai donnée à Ars pour le week-end des groupes de prière du Renouveau Charismatique de notre diocèse. Très beau week-end au cours duquel le Saint Esprit nous a appris à voir tout en grand … c’est sans doute pour cela que l’homélie est bien plus longue que d’habitude !

Lundi 27 février, je partirai pour prêcher une semaine de retraite à La Flatière, ça sera la retraite d’entrée en carême sur le thème : un carême pour devenir saint … si le coeur vous en dit, il y a encore de la place !

Comme l’a dit le père Patrice dans son mot d’accueil, ce week-end, c’est un temps fort pour les assemblées de louange de notre diocèse ou les groupes de prière du Renouveau charismatique si vous préférez. Et comme j’en suis le délégué pour l’évêque, j’ai donc la joie de vous donner cette homélie, ici dans cette basilique souterraine où j’ai été ordonné, il y a déjà bien des années ! Le thème de notre week-end nous a été inspiré par une parole du Saint Curé d’Ars qui a dit : « le Saint Esprit nous fait tout voir en grand. » C’est une très bonne parole pour nos groupes qui sont, comme vous le savez, de grands amis du Saint Esprit … du moins qui essaient de l’être ! Voilà je vous ai fait une rapide mise à niveau pour que ceux qui nous rejoignent pour la messe ne soient pas trop décalés !

Pour cette messe que nous vivons au cœur de ce week-end où nous proclamons avec joie que le Saint Esprit nous fait tout voir en grand, si on avait dû choisir les textes de l’Écriture, aurait-on pu choisir de meilleurs textes que ceux que nous avons entendus ? Je ne le pense pas ! Hier, dans mon intervention, j’expliquais qu’on utilise souvent une expression, que j’aime bien, pour inviter ceux qui manquent d’ambition à voir un peu plus haut, on leur dit : arrête de jouer petit ! Eh bien, ça pourrait être le résumé de ce que le Saint Esprit veut nous dire dans ces textes : arrêtez de jouer petit ! Vous avez entendu dans la 1° lecture : « Soyez saints, car moi, le SEIGNEUR votre Dieu, je suis saint. » Et dans l’Évangile : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Vous comprenez pourquoi je disais que le Saint Esprit nous pousse à ne pas jouer petit ! Soyez saints, soyez parfaits ! Vraiment le Saint Esprit nous fait tout voir en grand !

Oui, mais en entendant ces paroles, j’imagine que bien des réactions se font jour en vous. La première, c’est peut-être une gêne occasionnée par le fait que les deux mots « saints » et « parfaits » soient mis en parallèle. La deuxième c’est peut-être une envie de botter en touche : ce programme n’est pas pour moi ! Je ne suis pas saint et encore moins parfait, je ne sais même pas si j’ai envie de le devenir et si jamais j’en avais envie, c’est au-delà de mes forces. Revenons sur chacune de ces deux réactions.

D’abord la gêne, tout à fait légitime, suscitée par l’association des deux mots « saints » et « parfaits » Tout bon prédicateur, quand il parle de la sainteté, précise qu’il ne faut pas confondre sainteté et perfection. Et ici, à Ars, nous en avons la parfaite illustration. Le curé d’Ars, ce grand saint, n’était pas parfait, la preuve, il se confessait régulièrement et si on l’avait laissé faire, il se serait confessé tous les jours tellement il avait conscience de son péché. Donc, c’est bien vrai, la sainteté n’a rien à voir avec la perfection. Mais alors pourquoi Jésus demande-t-il de devenir parfaits ? Est-ce que sa langue a fourché ? Quelques éléments de réponse qui pourront nous aider à comprendre. Tout d’abord, le mot grec utilisé dans ce passage de l’évangile de Matthieu n’évoque pas la perfection morale, le fait d’être sans tache. Si on voulait traduire au plus juste, il faudrait dire : soyez conformes à ce pour quoi vous avez été créés. Dieu, lui, il est parfaitement conforme, en lui, il n’y a pas de dérapage, pas d’accrocs. Dieu est amour et il ne pense qu’en terme d’amour, il n’agit qu’en terme d’amour, il est donc parfaitement conforme, si je peux me permettre cette expression qui utilise deux mots équivalents : parfait et conforme.

Qui d’entre nous oserait prétendre qu’il est parfaitement conforme à ce pour quoi il a été créé ? Nous avons été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu qui n’est qu’amour, nous connaissons chaque jour nos dérapages en matière d’amour qui montrent bien que nous ne sommes pas conformes, nous ne correspondons pas à ce que Dieu a voulu en nous créant. Et pour finir de vous convaincre que mon interprétation n’est pas tirée par les cheveux, il suffit de relire les phrases qui précèdent l’invitation de Jésus à devenir parfaits. Il n’est question que d’amour, de la démesure de l’amour. Ce n’est donc pas un appel à une perfection morale que lance Jésus, c’est une invitation à viser les sommets de l’amour. Du coup, on comprend mieux que, dans cette perspective, sainteté et perfection sont finalement deux mots équivalents. On peut donc bien résumer l’appel pressant de Jésus à une supplication : mais, arrêtez donc de jouer petit !

Très bien me direz-vous, mais les sommets de l’amour, c’est pas pour nous ! Et il pourrait y avoir au moins deux raisons qui nous font abandonner avant même d’avoir commencé ! La première raison, c’est que certains n’ont pas envie de devenir des saints à cause de l’image qui a été véhiculée de la sainteté. Emmenez un groupe de jeunes dans une église où il y a des représentations de saints et sans rien leur dire de leur vie, demandez leur : vous avez envie de devenir comme eux ? La réponse ne se fera pas attendre : sûrement pas, vous diront-ils en cœur ! Pourquoi ? Parce que les représentations nous les montrent compassés, sérieux, rarement souriants. Comme je le regrette ! Allez voir la statue du curé d’Ars qui a été sculptée par Cabuchet et qui se trouve vers l’accueil, là où on fait brûler les cierges ; j’aime la regarder sous un certain angle qui nous le montre avec un sourire malicieux. Et c’est ainsi qu’il devait être, lui qui répondait si souvent malicieusement aux questions qui lui étaient posées. A cause de ces représentations, non seulement les gens pensent qu’ils ne pourront pas devenir saints, mais ils n’en ont surtout pas envie. Ils veulent vivre, être épanouis. J’aime bien redire cette parole de Benoît XVI aux jeunes lors de sa messe d’intronisation : « n’ayez pas peur du Christ, il n’enlève rien, au contraire, il donne tout ! » Les saints, ce sont ceux qui ont pris cette parole au sérieux. Ils ne voulaient pas jouer petit, alors ils ont mis au cœur de leur vie celui qui pouvait tout leur donner. Ce n’est pas qu’ils étaient ambitieux, sûrement pas, comment penser cela du curé d’Ars ? Mais ils avaient compris que le but de la vie, ce n’est pas d’avancer péniblement dans le brouillard, mais c’est tutoyer les sommets de l’amour. Que l’Esprit-Saint inspire des artistes qui fassent des représentations de saints qui nous donnent envie d’arrêter de jouer petit.

Très bien, admettons qu’on ait envie de devenir saints. Est-ce que c’est vraiment pour tout le monde ? Tutoyer les sommets de l’amour, c’est du langage alpiniste, tout le monde ne peut pas faire l’Anapurna ! C’est vrai tout le monde ne peut pas grimper au sommet de la montagne Anapurna, mais tout le monde peut parvenir aux sommets de l’amour. Et, de manière paradoxale, on peut dire qu’on y parviendra d’ailleurs d’autant plus facilement qu’on a conscience de notre incapacité à y parvenir par nos propres forces. Jean-Marie Vianney en est un bel exemple lui qui était tellement conscient d’être le plus pauvre de tous les prêtres.

On pourrait encore parler de Thérèse de Lisieux qui s’est cassé les dents dans les premiers temps de son entrée au Carmel. Elle voulait devenir sainte et plus elle le voulait, plus elle devenait imbuvable. Il faudra que le Saint Esprit illumine son cœur pour qu’elle découvre cette petite voie de l’enfance spirituelle. Elle se voyait comme un enfant qui grimpe péniblement un escalier qui lui semble aussi haut que l’Anapurna et qui tombe et qui s’épuise. C’est alors qu’elle repense aux ascenseurs qui font leur apparition dans les maisons bourgeoises et qu’elle comprend que la sainteté ce n’est pas une ascension qui se réalise à coup de volonté, mais c’est une montée en ascenseur. Et son ascenseur, ça sera les bras de Jésus qui la conduira, sans effort, là où elle rêvait d’aller. Il lui suffira de s’abandonner totalement pour y parvenir.

 C’est finalement ce que nos groupes de prière essaient d’être, des écoles dans lesquelles, chaque semaine, nous nous rendons pour nous épauler fraternellement, afin d’apprendre à vivre, de manière très concrète, cette spiritualité de l’abandon. L’enjeu est grand, parce que tant que nous continuerons à jouer petit, nous ne brûlerons pas d’amour et à cause de la tiédeur de tant de chrétiens, notre monde risque bien de mourir de froid ! Alors, arrêtons de jouer petit, décidons une bonne fois pour toutes de faire confiance au Saint Esprit qui nous fait voir tout en grand.

Père Roger Hébert