Homélie dimanche 30/08/2020: Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celle des hommes

XXIIÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE A

  • Première Lecture : Jr 20, 7-9
  • Psaume responsorial : 63(62)
  • Deuxième Lecture : Rm 12, 1-2.
  • Évangile : Mt 16, 21-27

Examinez le cas de près, frères et sœurs, et dites-moi où se trouve le tort de Pierre pour que, souhaitant que n’adviennent ni le mal, ni la souffrance, ni la mort à son Maître bien-aimé Jésus, de celui-ci il se fasse traiter de Satan. Pierre n’est-il pas en train de répondre aux normes humaines, tandis que la réaction de son Maître semble difficile à comprendre ?
Même si l’on admet que dans un incident précédent, Jésus avait trouvé en Pierre un homme de peu de foi (Mt 14, 31), le Maître peut-il se permettre d’oublier que, plus récemment encore, il s’était extasié devant la confession de foi de Pierre à Césarée de Philippe, et avait déclaré : heureux es-tu, Simon, fils de Yonas ; ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux (Mt 16, 17). Jésus aurait oublié aussi que dans la foulée, il avait investi Pierre du pouvoir divin en disant : tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église. Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux (Mt 16, 18-19). Se souvenait-il encore que, un peu plus tôt, il avait permis à Pierre de marcher sur la mer, partageant ainsi avec lui sa domination sur toutes les forces aquatiques (cf. Mt 14, 29) ? Comment donc ce disciple peut-il être traité de Satan ? Comment la Pierre de fondation peut-elle devenir pierre d’achoppement ?

Examinons de près le terme par lequel Jésus reprend Pierre : passe derrière moi, Satan. La formule voudrait dire que la place du disciple n’est pas devant, mais derrière le Maître. La réaction de Jésus consiste alors positivement à mettre Pierre à sa place de disciple et même à lui donner une autre chance de le suivre. C’est donc tout comme si Pierre recevait de Jésus un autre appel : suis-moi. On sait par ailleurs que Jésus ne peut pas appeler le Diable à le suivre. Le terme Satan appliqué à Pierre doit donc s’entendre au sens métaphorique, même si quelque chose de son sens étymologique demeure. De fait, Pierre se présente comme un
adversaire, ou même un ennemi lorsque, par ignorance, il se trouve à s’opposer au dessein de Dieu pour son Christ, et à mériter une sévère réprimande.

Jésus peut-il, sans se justifier, adresser à son disciple un reproche aussi dur ? Voici comment il le justifie : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celle des hommes. En cela, Pierre est invité à se convertir, et c’est curieux que ce soit celui qui, plus tard, deviendra son frère jumeau qui trouve les termes de cette conversion, comme on le lit dans la deuxième
Lecture de ce jour : ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu. Là semble résider le vrai problème de Pierre. En effet, même dans sa déclaration à Césarée de
Philippe, Pierre, en bon juif de son temps, ne cesse de se nourrir de l’attente d’un messie vainqueur (des Romains) et triomphateur (des païens), et ne se donne aucune idée d’un Messie souffrant, comme le laisse entendre Jésus.

Toutefois, en faisant le bilan de la vie de Pierre, on s’étonne de voir avec quelle profondeur, par la suite, non sans difficulté, il est entré dans les vues de son Maître en se montrant zélé proclamateur de la Mort et de la Résurrection du Christ et en écrivant aussi aux chrétiens : dans la mesure où vous participez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous…

Heureux si vous êtes outragés pour le nom du Christ (1 P 4, 13.14). Il va de soi que le plus beau témoignage de Pierre, c’est de mourir pour le Maître, comme le Maître, crucifié.

C’est justement ce témoignage de Pierre et celui de beaucoup d’autres qui nous amène à nous demander pourquoi tous les appelés de Dieu doivent toujours traverser de si grandes épreuves, y compris celles de la mort. Considérez par exemples les pérégrinations d’Abraham, les déconvenues de Jacob, l’éprouvant leadership de Moïse, le déchaînement de la Reine Jézabel contre Élie suite au sacrifice du mont Carmel, la déception de Jonas suite à la conversion de Ninive, la dépression de Jérémie, comme on en a un écho dans la Première Lecture de ce jour,
l’incarcération du Baptiste et sa décapitation suite à d’ignominieuses intrigues de palais, la croix de Jésus lui-même, devenue par la suite la condition pour le suivre.

Il ne s’agit pas là d’un problème philosophique lié à l’ordre du monde, mais c’est le Mystère du Verbe fait chair qui y projette l’éclairage le plus convaincant. Le Christ, dans toute sa liberté de Fils et dans sa divine innocence, prend sur lui les conséquences du péché de l’homme afin de l’effacer par sa Mort. Il est seulement juste que le Maître couronné d’épines ne laisse pas derrière lui des disciples couronnés de la gloire terrestre. Sans résignation ni masochisme, ceux-ci s’identifient au Maître dans sa souffrance et dans sa Mort, pour partager avec Lui le triomphe de sa Résurrection. Dans ce contexte, la souffrance apparaît comme un
prélude de la Gloire, et la mort comme un prélude de la Résurrection. C’est à cette condition que l’homme peut être l’ami du Seigneur.

À une grande mystique, rapporte-t-on, le Seigneur révèle qu’il fait connaître des épreuves à ses amis. La mystique de lui rétorquer : “on ne s’étonne pas que tu aies si peu d’amis !”

Mon souhait : que malgré la souffrance et la mort, nous soyons nombreux à être amis du Seigneur.