COMMENTAIRE TEXTES DE LA SOLENNITE DU CHRIST-ROI 2020

L1 : Ez 34, 11-17 ; Ps : 23(22) ; L2 : 1 Co 15, 20-28 ; Evangile : Mt 25, 31-46.

La petite idée que nous nous faisons de Dieu nous amène logiquement à le concevoir comme un roi, sur le modèle de nos rois de la terre, c’est-à-dire, à l’imaginer comme celui sur qui, en matière de grandeur et de dignité, on ne peut placer aucun autre soi-disant plus grand. Rien que cette conception
nous permet d’entrer dans l’esprit de la Solennité de ce jour, celle du Christ Roi de l’univers, tardivement instituée par le Pape Pie XI en 1925.

Mais puisque nos analogies sont inadéquates pour dire Dieu et que nos institutions humaines sont marquées par le péché, nous sommes nécessairement amenés à purifier notre idée de la royauté de tout ce qui la teinte de l’instinct de domination, du goût morbide du pouvoir et du luxe, et de ce qui l’amène à se conquérir par la force, à se maintenir par la violence et se perpétuer par le crime et le massacre. En outre, n’est-ce pas qu’en pleine démocratie, bien des chefs s’enfonceraient définitivement dans le fauteuil présidentiel si notre sœur la Mort ne venait les en déloger finalement, quitte à y laisser subsister momentanément des éléments de leur descendance charnelle ? Là, on n’est plus dans la logique de servir le peuple, mais dans celle de se servir du peuple, comme dit le Psalmiste de certains gouvernants : quand ils mangent leur pain, c’est mon peuple qu’ils mangent (Pss 14(13), 4 ; 53(52), 5).

Avec ce tableau, que l’on est loin de la royauté du Christ ! En effet, Christ est roi, mais il ne se contente pas de séjourner dans son céleste palais, en sécurité sous la garde de ses Anges et Archanges.

Il n’entreprend même pas de venir sur la terre pour parader le faste divin aux yeux des hommes ébahis, mais il fait entrer sa divinité dans l’être humain et dans l’existence terrestre, l’exposant ainsi à toutes nos fragilités : la faim, la soif, la nudité, l’exil, la prison, et même la mort. Il épouse les conditions
humaines les plus basses, au point que personne ne puisse avoir honte de soi devant lui. Et c’est cela qui lui confère le charisme du Roi-Pasteur que lui reconnaît prophétiquement Ezéchiel dans la première lecture d’aujourd’hui : maintenant, j’irai moi-même à la recherche de mes brebis, et je
veillerai sur elles… C’est moi qui ferai paître mon troupeau, c’est moi qui le ferai reposer, déclare le Seigneur Dieu. Cela fait du Christ non un jouisseur de palais, mais un Roi-Serviteur de son peuple. Or, c’est un service qu’il rend non avec des calculs d’intérêts, mais dans le don total de lui-même, et toute
la noblesse de sa figure royale réside dans le fait de servir les siens jusqu’à mourir. Mais cette mort ne l’anéantit pas, au contraire, Christ passe par elle pour triompher d’elle, en sorte que la deuxième lecture de ce jour le présente comme le Ressuscité : le dernier ennemi qu’il détruira, c’est la mort. Là encore, la noblesse de sa figure royale consiste à faire bénéficier à son peuple de cette victoire par laquelle il lui accorde la vie éternelle.
Nous entrevoyons facilement tout l’intérêt que nous avons à nous trouver sous une telle royauté. En effet, pour nous, Christ-Roi est une grâce, essentiellement la grâce de l’Emmanuel, c’est-à-dire, de Dieu avec nous. Jamais roi n’aura atteint un degré de proximité tel que sa chair est la chair de chacun, sa face la face de chacun, et que ce qui touche chacun le touche directement et personnellement. Il se fait donc que ce Chef d’Etat qui passe dans un solennel cortège de motards, de gardes, de sirène et de
tintamarre, c’est mon roi. Pareillement, cet enfant rachitique victime de la faim, déshydraté, squelettique et nu, ce mendiant en guenilles, ce migrant sous les barreaux, eux aussi sont les visages de mon Roi. Attention donc ! La terre, ce n’est pas seulement une population de sept milliards d’habitants, c’est aussi autant de visages de mon Roi, et moi, je ne le sais pas, pas plus que Jacob qui, au matin de son songe, constate : vraiment, le Seigneur est dans ce lieu ! Et moi je ne le savais pas…, et s’exclame avec une crainte sacrée : que ce lieu est redoutable, Temple de Dieu, porte du ciel ! (Gn 28, 16-17).

Cette identification du Roi avec chaque membre de son peuple établit pour chacun et pour tous, la feuille de route pour les rapports des uns avec les autres, une feuille de route qui se réduit en cinq verbes actifs et transitifs : nourrir, abreuver, vêtir, accueillir et visiter. La vie sociale devient donc un
chantier de la charité des uns envers les autres, sur la simple base que la face de chacun est la face du Christ-Roi.
Seigneur, mon Dieu et mon Roi, après avoir écouté cette parole, je ne peux plus te demander, au jugement dernier : quand donc t’avons-nous vu avoir faim et soif, être nu et étranger, malade ou en prison…, car, Seigneur, tu m’as averti…

Et maintenant, Seigneur, je t’avoue que je suis aveugle, je ne sais toujours pas voir. Eclaire mes yeux par ta lumière pour que je te voie dans les petits, les humbles, les pauvres, l’étranger, la veuve et l’orphelin. Et quand tu m’auras éclairé, donne-moi la force d’agir en faveur de tous comme j’agirais
envers toi en personne, car c’est toi qui es en eux. Oui, Seigneur, ma conscience ne me reproche pas d’avoir refusé du pain à l’affamé, mais quand je considère les poubelles de nos mégapoles, de nos cités, au pied de nos gratte-ciel, quelle horreur que ce gaspillage de nourritures dans un monde où beaucoup meurent encore de faim ! Pardonne, Seigneur, nos gaspillages remplissant des poubelles où nous jetons, non des choses avariées, mais la vie des pauvres et la majesté de ta royauté.

Oui, Seigneur, tu m’as expliqué et j’ai compris : devant l’homme victime de l’homme, je ne passerai plus le temps à critiquer le méchant, mais je me rendrai sensible à la douleur du souffrant, et je volerai à son secours, à ton secours, oserais-je dire ! Quand des catastrophes naturelles s’abattront sur l’humanité, comme cette pandémie du Corona Virus, je comprendrai qu’avec les nouveaux malades, les nouveaux morts, les nouveaux pauvres, tu crées pour moi de nouveaux chantiers de la charité, et toi, tu me donneras la force de te nourrir, de t’abreuver, de te vêtir, de t’accueillir, et de te visiter.