Homélie 08/12: L’IMMACULEE CONCEPTION DE LA VIERGE MARIE 2020

Première lecture : Gn 3, 9-20 ; Psaume responsorial : 98(97)
Deuxième lecture : Ep 1, 3-12 ; Evangile : Lc 1, 26-38.

Pour la solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, la liturgie propose des lectures telles qu’il n’est pas simple d’entrer dans leur logique. En effet, les deux premières nous renvoient respectivement à deux mondes opposés : la première, extraite du récit de la chute, nous plonge dans l’ambiance du péché d’Adam et d’Eve, de la colère de Dieu, d’une série de sanctions et même de malédiction ; comme si rien de tout cela ne fut, c’est dans un monde de bénédiction spirituelle en Jésus-Christ que nous fait baigner Paul dès l’ouverture de la Lettre aux Ephésiens, localisant l’événement dans les cieux et le datant d’avant la création du monde. Il resterait maintenant à savoir si ces deux mondes constituent deux ensembles disjoints.

En considérant le panorama de l’histoire de la révélation judéo-chrétienne et le texte de la chute, il semble qu’il faille comprendre que le premier monde, celui du péché et de la malédiction, garde une porte ouverte sur le second, celui de la bénédiction dans le Christ. Le problème, c’est quel pont construire pour passer de l’un à l’autre.

En réalité, même si la première lecture de ce jour expose amplement la réalité du péché et de ses conséquences, elle est loin de rendre la malédiction absolue. Par exemple, dès que l’homme finit de commettre la faute, c’est Dieu qui se met à le chercher : où es-tu ? De plus, il ne le trouve pas pour tomber sur lui à bras raccourci, mais pour l’interroger. Il est vrai, ce qu’il découvre dans cet interrogatoire est ahurissant : ce n’est pas seulement que l’homme ait mangé du fruit défendu ou qu’il se soit trouvé nu, mais la confession de l’homme : je t’ai entendu dans le jardin, j’ai pris peur… C’est là le signe que l’esprit filial disparaît dans les rapports de l’homme avec son Dieu, et que la peur prend la place de la confiance. Malgré ce grand désastre, Dieu ne brandit cependant pas directement contre l’homme la malédiction. En effet, la sentence est celle-ci : maudit soit le sol à cause de toi… (Gn 3, 17). Dieu ne maudit pas non plus la femme que le récit présente comme la première coupable, et en cela, la plus coupable mais, après avoir frappé celle-ci de douleur dans le geste d’enfanter, Dieu se tourne vers le serpent qu’il maudit sans appel, et c’est en dédoublant sa malédiction de la défaite finale que Dieu annonce : je mettrai une hostilité entre toi et la femme, entre sa descendance et ta descendance. Sa descendance te meurtrira la tête et toi tu lui meurtriras le talon.

Merveilleuse est la revanche de la femme sur le serpent ! Toutefois, ce n’est pas Eve qui l’exécutera, mais un membre de sa descendance. En attendant, il s’agit d’entrer dans une histoire qui devient désormais le cheminement d’une sortie du péché et de ses conséquences vers la bénédiction qui résultera de la victoire de la femme sur le serpent.

L’histoire en question est menée par Dieu lui-même, qui entend la conduire à une étape où elle sera “sans péché”. Le projet divin se trouve ainsi formulé dans l’expression négative de “sans péché”.

Sans sortir du négatif, le bon langage exprime cela en termes d’“Immaculé”. Le préfixe in – im et ir est ici la particule négative comme il l’est dans tant de mots (indigeste, impossible, irresponsable etc.) et la racine latine macula signifie tache. Un monde sans la tache du péché, voilà le projet de Dieu. Mais alors que de positif dans ce projet ! Il n’est que positif !
Pour le réaliser, Dieu décide de payer le prix fort : porter garant son Verbe Eternel qui Lui, est sans péché. Il s’agit maintenant que le Verbe “immaculé” entre dans le monde de péché sans toutefois contracter le péché. Quel véhicule l’y portera ? Or, ce véhicule ne peut pas comporter la tache du
péché, il doit être “immaculé” aussi, car on ne peut effacer le péché avec le péché. Et c’est là que Dieu, fidèle à sa promesse, recourt à une descendance de la femme qu’il lave du péché, rend “immaculée”, pas seulement pour lui conférer un privilège privé, mais pour l’engager dans le projet historique d’un monde sans péché. C’est Marie, conçue sans le péché originel. Cet aspect de sa figure se trouve érigée comme contenu essentiel de la solennité du 8 décembre appelée Immaculée conception de Marie.

Il revient à l’évangile d’aujourd’hui de nous indiquer comment est construit le pont entre les deux mondes opposés mis en exergue dans les deux premières lectures de ce jour, pour qu’il soit possible de passer du monde du péché, de la sanction, au monde de la grâce et de la bénédiction. Ce
pont est l’œuvre conjuguée de Dieu et de Marie pour la sécurité du Verbe de Dieu. La toute-puissance divine trouve en Marie la disponibilité requise pour la réalisation de l’œuvre du salut. Cette disponibilité se révèle dans le oui de Marie donné à l’Ange Gabriel à l’Annonciation. Ce oui permet à Dieu de sauver l’homme par l’Homme-Dieu, et à celui-ci de prendre une chair immaculée dans un monde de péché, à partir du sein immaculé de Marie, pour semer définitivement le germe d’un monde sans péché.

Et pourquoi ce ne serait pas là une bonne Nouvelle ? Au fond, quel intérêt ai-je dans un monde de péché ? Quel ennui pour moi de me trouver à y vivre, même si c’est moi-même l’artisan du péché en question ! Quel poids pour moi de me supporter mal moi-même à cause de mes faiblesses, de
supporter encore plus mal les autres pour des raisons de faiblesse, de la leur et de la mienne ! Quel dégoût pour moi de ne pas faire ce que je veux, mais de faire ce que je hais (Rm 7, 15), de ne pas faire le bien que je veux et de commettre le mal que je ne veux pas (Rm 7, 19) !

La Vierge immaculée marque d’une pierre blanche l’étape de l’entrée dans le monde de la bénédiction. Et quand le Sang de l’Agneau, du haut de la croix va empourprer cette pierre blanche, alors tout sera consommé, le Royaume de Satan sera renversé, le pécheur sera justifié et la bénédiction
sera !