Homélie 2° dimanche avent

 Il y a une belle anecdote dans la vie du curé d’Ars, et vous ne serez pas étonnés que je termine cette retraite en l’évoquant encore et même en l’invoquant ! La belle anecdote, c’est sa sa rencontre avec Lacordaire, vous savez le célèbre prédicateur dominicain qui remplissait Notre Dame de Paris quand il donnait ses prédications de carême. Un jour, donc, il est venu à Ars. Il était sûrement rempli d’interrogations à propos de ce petit curé qui commençait à défrayer la chronique. J’imagine qu’il est allé voir J.M. Vianney comme beaucoup sont allés voir Marthe Robin, avec une curiosité méfiante. Il arrive à Ars et veut assister à la messe du soir, je crois. A ce moment-là, quelqu’un prévient le curé d’Ars que le célèbre père Lacordaire est là et qu’il veut l’écouter prêcher. Vous imaginez le malaise pour le curé d’Ars, il fait chercher le père Lacordaire dans l’église pour l’amener à la sacristie et lui explique qu’il n’est pas question que lui, si pauvre petit curé, prêche devant ce grand prédicateur, il lui cède donc la chair. Lacordaire lui explique qu’il a fait tout ce chemin pour l’écouter donc il n’en est pas question. Mais le curé d’Ars était têtu, il n’en démord pas, il ne prêchera pas en utilisant aussi l’argument que les gens qui sont là seront tellement heureux d’entendre le célèbre prédicateur. Bon, Lacordaire est obligé de s’exécuter !

Le lendemain, matin, il revient à la messe parce qu’il ne veut quand même pas être venu pour rien, il veut entendre, se rendre compte par lui-même. Et le curé d’Ars, le voyant, veut lui refaire le même coup ! Mais Lacordaire résiste et il va écouter le curé d’Ars prêcher. Il dira plus tard qu’il en a plus appris sur l’Esprit-Saint en écoutant ce petit curé que dans tous les livres de théologie qu’il avait lus. Pourquoi a-t-il dit ça ? Au début, je pensais que c’était parce que le curé d’Ars avait prêché sur l’Esprit-Saint, c’est possible, mais ce n’est vraiment pas sûr du tout, à cette époque, l’Esprit-Saint était quand même très peu mis à l’honneur. Non, il me semble que c’est pour une autre raison, je vais vous l’expliquer et, du coup, vous allez comprendre pourquoi je vous raconte cette histoire pour commenter l’Évangile que nous venons d’entendre.

 Au carême suivant sa visite à Ars, Lacordaire prêche donc à Notre Dame, il a un succès encore plus important que d’ordinaire. Il y a tellement de monde que certains sont même obligés de grimper sur les confessionnaux pour voir le prédicateur. Alors, à la sortie, quelqu’un lui fait remarquer que cette année, ses prédications ont battu tous les records d’affluence et il lui dit : vous avez vu les gens étaient sur les confessionnaux. Et Lacordaire répond : oui, mais en Dombes, il y a un petit curé qui est bien plus fort que moi, parce que lui, il les fait rentrer dans le confessionnal. Lacordaire parlait très bien de Dieu, de la foi, il avait trouvé les meilleures formules pour expliquer aux gens la foi. Mais il reconnaissait que le curé d’Ars qui ne payait pas de mine, qui avait fait si peu d’études était plus fort que lui parce que lui. En effet, s’il n’avait peut-être pas les formules pour expliquer qui est Dieu (… 10 minutes à dire, il est là, ça n’a rien de très éloquent !) il savait donner les moyens d’expérimenter qui est Dieu.

Avec lui, les gens ne montaient pas sur les confessionnaux pour écouter un orateur parler de Dieu, ils entraient dans les confessionnaux pour faire une expérience de Dieu. J’aime cette humilité de Lacordaire qui me fait précisément penser, et pour les mêmes raisons, à l’humilité de Jean-Baptiste. Vous remarquez que c’est à peu près la même expression qui jaillit de la bouche de Jean-Baptiste et de celle de Lacordaire.

Jean-Baptiste dit de Jésus, ce que Lacordaire disait du curé d’Ars : il est plus fort que moi, Celui qui vient car Lui, il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et le feu. Autrement dit, Jean-Baptiste reconnaît que sa prédication était peut-être très belle, et de fait, des foules nombreuses venaient au désert pour l’écouter, comme plus tard des foules se presseront à Notre Dame pour écouter Lacordaire ; oui, Jean-Baptiste déplaçait les foules, mais s’il pouvait leur dire tout ce qu’il faut faire, il n’avait pas la capacité de donner la force de l’accomplir. Jésus lui, en donnant le St Esprit, il ne se contentera pas de dire comment il faut vivre pour être fidèle à Dieu, il donnera aussi la force de l’accomplir.

Il y a une différence invraisemblable entre le 1° Testament et l’Évangile, mais contrairement à ce qu’on dit parfois, ce n’est pas au niveau du message. Pratiquement tout ce que dira Jésus avait déjà été dit dans le 1° Testament ; vos Bibles l’attestent, quand Jésus parle, il y a plein de renvois au 1° Testament dans les marges. Non, la différence, elle n’est pas tellement au niveau du message. Mais le 1° Testament s’il dit déjà très bien tout ce qu’il faut faire, il ne peut pas donner la force de l’accomplir. Alors que Jésus, il dit et il peut donner cette force et, cette force s’appelle le St Esprit.

Si vous voulez, c’est comme en regardant ces magnifiques montagnes qui nous entourent. Vous pouvez trouver un guide qui vous explique les sommets, qui vous raconte dans le détail, comment on parvient au Mont Blanc et comme c’est beau quand on est en haut. Mais d’entendre toutes ces explications, ça ne vous donne pas la force de monter ! Ça peut même vous faire déprimer, il vous parle de si belles choses qui resteront à jamais inatteignables pour vous, c’est tellement dommage !

 Jean-Baptiste, Lacordaire et parfois bien d’autres brillants prédicateurs peuvent devenir des guides déprimants. Ils vous parlent tellement bien des sommets de l’amour qu’ils vous font baver d’envie ! Jésus, le curé d’Ars, peut-être qu’ils donneront des discours moins éloquents, mais, eux, ils vous donneront la force de grimper. Et je crois que c’est pour cela que Lacordaire pouvait dire qu’il en avait appris bien plus sur le St Esprit en écoutant parler le curé d’Ars que dans tous les livres de théologie. Il avait vu, entendu un homme qui ne parlait pas des sommets de l’amour en vous faisant baver d’envie, il était parvenu lui-même à ces sommets et il y conduisait tous ceux qui venaient à lui. Quelle différence ! J’espère que c’est ce qui vous a été donné de vivre cette semaine. J’espère que vous n’avez pas seulement entendu de belles paroles qui vous disaient ce qu’il faut faire mais que vous avez été transportés à un moment ou à un autre, par la puissance du St Esprit, sur les sommets de l’amour.

Et comme il est important de comprendre cela. Nous sommes, en effet, dans le temps de l’Avent, ce temps qui nous prépare à Noël. Imaginez que quelqu’un vous demande : au fait, peux-tu m’expliquer en quelques mots pourquoi Dieu a envoyé son Fils Jésus dans le monde ? Pas simple ! Alors, pour vous aider à répondre, je vous propose les paroles si lumineuses d’un grand Père de l’Église, Athanase d’Alexandrie. A cette question, il a apporté une réponse extrêmement synthétique qui résume tout ce que je viens de dire : « il s’est fait porteur de chair pour que nous devenions porteurs d’Esprit. » Il s’est fait porteur de chair, c’est à dire le Fils éternel a pris notre chair, a été envoyé dans le monde pour que nous devenions porteurs d’Esprit, pour que nous puissions vivre de l’Esprit.

Athanase, lui le grand penseur des débuts de l’Église, avait bien compris que, sans l’Esprit-Saint, tous les discours sur Dieu sont des discours déprimants qui nous décrivent les sommets de l’amour sans que nous puissions les atteindre. Avec l’Esprit-Saint, tout change, tout devient possible. Pour reprendre une image que j’ai souvent évoquée cette semaine en l’empruntant au père Cantalamessa, le monde d’aujourd’hui n’a pas tant besoin d’astronomes que d’astronautes. Les astronomes sont ces grands savants qui connaissent le ciel par cœur, ils peuvent vous donner le nom de n’importe quelle étoile, de n’importe quelle constellation, la distance qui les séparent, l’attraction mutuelle qu’elles exercent … mais ce ciel dont ils parlent si bien, ils n’y sont jamais allés ! Alors que les astronautes, eux, c’est vrai ils en connaissent beaucoup moins, mais ils y sont allés et quand ils en parlent, ça s’entend qu’ils y sont allés.

Ceci dit, vous savez bien que les astronautes ne peuvent pas passer leur vie dans le ciel, ils doivent redescendre. Mais, même revenus sur terre, quand ils parlent du ciel, ils n’en parlent plus jamais comme avant. Mes amis, l’Esprit-Saint vous a conduit à faire cette expérience inoubliable de devenir, pendant une semaine, des astronautes, maintenant, il vous faut redescendre. Mais vous voyez, ce qui est formidable avec le St Esprit, c’est que, à chaque fois que vous le lui demanderez, il vous permettra de refaire l’expérience, moins longue, moins sensible, sûrement, mais réelle et quasi-permanente. Et, en redescendant, vous ne parlerez plus jamais du ciel comme avant et surtout, vous n’en parlerez plus comme des privilégiés, vous expliquerez que cette expérience, tout le monde peut la vivre, particulièrement ceux qui sont au fond du trou et qui ne cessent de regarder, avec envie, les étoiles et qui ne cessent de crier vers le ciel depuis leurs bas-fonds. Allez les rejoindre, mais ne leur criez pas depuis le haut comment on peut passer du bas-fond au ciel, descendez les rejoindre, portez-les sur vous pour les aider à remonter et là, revenus sur la terre, accompagnez-les pour leur permettre de vivre cette expérience qui a changé votre vie et qui peut changer la leur.

Je termine en vous invitant aussi à prier pour que tous les astronomes deviennent des astronautes. Oui, ce jour-là, comme le prophétisait Isaïe : « Il n’y aura plus de mal ni de corruption car la connaissance du Seigneur remplira le pays comme les eaux recouvrent le fond de la mer. »

 

Père Roger Hébert