Quand je serai Pape (… ce qui ne saurait tarder !!!) je changerai la 1° lecture de ce dimanche. En effet, l’évangile que nous avons entendu fait référence à un épisode raconté dans le livre des Nombres au chapitre 21, un livre du 1° Testament, mais que nous n’avons pas lu en 1° lecture et c’est dommage car je ne suis pas sûr que tout le monde le connaisse très bien. Aussi vous me permettrez de raconter brièvement ce qui s’est passé, c’est indispensable si nous voulons comprendre l’Évangile, cet évangile si important qui nous parle du Salut apporté par le Christ.
Nous sommes dans le désert, donc après la libération d’Égypte et le peuple d’Israël en a marre de ce désert interminable. Ils oublient tout ce que Dieu a fait pour eux, pour les sortir de leur esclavage, ils ne voient plus que les problèmes du moment. Alors, comme le dit la Bible dans un doux euphémisme, « ils murmurent » contre Dieu, ce qui signifie qu’ils n’arrêtent pas de rouspéter, de se rebeller, de rendre Dieu responsable de tous les problèmes qu’ils rencontrent.
Avançant dans leur marche au milieu du désert, ils vont arriver dans un coin infesté de serpents très venimeux. Tous ceux qui étaient piqués mouraient, ce fut une hécatombe. Évidemment, ils vont interpréter cela comme une punition de Dieu : on a rouspété contre lui, il nous punit. Comme je le disais il y a 15 jours, eux, ils ont des circonstances atténuantes quand ils pensent cela, on en est au début de la Révélation, ils ne savent encore pas, ils n’ont encore pas compris que Dieu n’est qu’amour. Le drame, c’est que nous, nous qui savons que Dieu n’est qu’amour, nous continuons à penser de telles horreurs, nous continuons à croire que Dieu punit. En effet, ils sont nombreux ceux qui, à chaque fois qu’il leur arrive quelque chose de difficile, se mettent à dire : « qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour qu’il m’arrive cela ? » On le dit moins, mais on l’a longtemps dit aux enfants qui faisaient des bêtises : « Le Bon Dieu va te punir. » Dans ces deux réflexions que je viens de rapporter, vous entendez l’incohérence on parle du BON Dieu et on dit qu’il punit, qu’il nous en fait baver ! C’est complètement incohérent !
Bon, mais à l’époque de la traversée du désert, les hébreux ne savaient encore pas tout sur Dieu, ils pensent donc que c’est Dieu qui a envoyé les serpents pour les punir. Ils vont donc trouver Moïse pour qu’il intercède en leur faveur. C’est ce qu’il fait et Dieu dit à Moïse : tu feras un serpent en bronze et tu le fixeras au sommet d’un mât, ceux qui seront piqués n’auront qu’à lever les yeux vers lui et ils ne mourront pas. Dieu n’avait pas envoyé les serpents pour faire mourir, par contre, il offre le remède qui sauve la vie.
Cet épisode est très intéressant car il nous montre comment Dieu s’y prend pour sauver. Il ne va pas supprimer les serpents, mais il fait en sorte que les serpents n’aient pas la victoire finale. La victoire finale elle revient à la Vie, cette vie que les hébreux garderont s’ils regardent vers ce mât quand ils sont piqués. Gardons bien la leçon à tirer de cet épisode, une leçon si importante pour nous aujourd’hui encore. Nous, nous aimerions que Dieu supprime le mal, ça serait tellement plus simple. Mais Dieu ne supprime pas le mal parce qu’une grande partie des malheurs vient de la compromission des hommes avec le Mal.
Ainsi donc, si nous ne voulons plus de mal, c’est le cœur de l’homme qu’il faut changer. Nous ne pouvons pas tout attendre de Dieu comme s’il était un magicien qui n’attendait qu’une chose : passer à longueur de journée derrière nous pour réparer avec une baguette magique tout ce que nous gâchons. Dieu ne le peut pas, parce que c’est notre liberté qui est en jeu. Or Dieu ne peut pas être Amour s’il ne laisse pas la liberté aux hommes. Est-il pensable de concevoir un Amour qui ne laisse pas l’être aimé libre, vraiment libre ? Hélas, souvent les hommes se servent de ce cadeau de la liberté pour se compromettre avec le mal.
Vous pourrirez me dire : mais tous les malheurs ne viennent pas d’une compromission avec le mal. Oui, pour une part ! C’est vrai qu’une personne jeune atteinte d’une maladie grave alors qu’elle a mené une vie aussi saine que possible, c’est impossible à comprendre et même révoltant. Mais peut-être que nous pourrions faire avancer plus vite la recherche médicale, former plus de médecins, accompagner dans de meilleures conditions ceux qui souffrent. C’est une question de choix politiques et de générosité des hommes. Nous avons eu cette semaine le lancement de la campagne du Denier de l’Église, on nous a annoncé que le volume total des dons des français correspond exactement à ce que ces mêmes français dépensent chaque année pour nourrir et soigner leurs chiens et leurs chats ! Oui, les minous et les toutous sont gentils et adorables, mais ne croyez-vous pas que la recherche médicale, la lutte contre la faim et les inégalités, la lutte contre le dérèglement climatique, toutes ces causes dont dépend l’avenir de l’humanité ne mériteraient pas plus que les minous et les toutous ?
Vous comprenez pour quoi je dis que bien des malheurs viennent de nos compromissions avec le mal et c’est pour cela que Dieu ne peut supprimer le mal. La balle est dans notre camp. Par contre, si Dieu ne peut pas supprimer le mal, c’est de notre responsabilité, il peut faire en sorte que le mal n’ait pas le dernier mot. C’est pour cela qu’il a envoyé Jésus dans le monde, c’est pour que l’amour vienne s’attaquer aux racines du mal. C’est ce que nous avons entendu dans l’Évangile : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie. » Oui, mais voilà le mal n’a pas voulu s’avouer vaincu comme ça, il a cherché à supprimer celui qui était venu apporter l’Amour comme antidote au venin du mal, il l’a fait mourir sur le bois de la Croix. C’est alors que Dieu a sorti son ultime cartouche : comme il avait demandé à Moïse de dresser un mât qui sauverait tous ceux qui le regarderaient, il a demandé à Jésus de faire de sa mort, au sommet de ce mât de la croix, un ultime acte d’amour qui sauverait tous ceux qui décideraient de le regarder en le suppliant de pardonner toutes leurs compromissions avec le mal.
Mes amis, le temps du carême nous est donné pour cela : à la fois débusquer toutes nos compromissions avec le mal, c’est à dire demander la lucidité de voir où se situent nos compromissions dans le mal que nous faisons et surtout dans le bien que nous pourrions faire et que nous ne faisons pas. Et en même temps, regarder vers le Christ qui a fait de sa mort un acte d’Amour, de Salut pour nous afin que le venin du mal puisse ne pas avoir le dernier mot. C’est exactement cela, la démarche du pardon sacramentel que nous sommes invités à faire en ce temps du carême et particulièrement avant Pâques. Il nous faut reconnaître lucidement nos compromissions et c’est pour nous aider à la lucidité, à ne pas nous contenter de l’à peu près, que l’Église nous propose la démarche auprès d’un prêtre. Mais c’est aussi et surtout parce qu’il nous faut élever notre regard et notre cœur vers Celui qui a donné sa vie par Amour pour nous que le prêtre est là. Les paroles inouïes du pardon qu’il prononcera attestent que le venin du Mal ne sera pas le poison mortel qui nous entrainera toujours plus bas. Qu’il est grand, qu’il est beau ce mystère de la Foi !
Père Roger Hébert