Homélie dimanche 09/05/21 : SIXIEME DIMANCHE DE PAQUE. B.

Première lecture : Ac 10,25-45 ; Psaume responsorial : 98(97)
Deuxième lecture : 1 Jn 4,7-10 ; Evangile : Jn 15,9-17.

Vous serez étonnés si je vous dis qu’après l’incident de Césarée rapporté dans la première lecture de ce jour, l’Apôtre Pierre, à son retour à la Ville Sainte, est violemment pris à partie par des circoncis de la communauté de Jérusalem qui lui demandent rudement des comptes : pourquoi es-tu entré chez des incirconcis et as-tu mangé avec eux ? (Ac 11,3). Pour se défendre, Pierre doit reprendre devant eux le récit de l’incident.

Mettez bout à bout l’incident de Césarée et cet autre incident de Jérusalem, et vous verrez que l’harmonie et la communion que rapportent quelques sommaires de Luc (cf. Ac 2,42-47 ; 4,32-35) ne sont pas sans grincement, et ce n’est pas sûr qu’après plus de deux mille ans de christianisme, nous soyons plus parfaits que nos ancêtres dans la foi. Tout cela revient à dire que l’Eglise dans son ensemble, doit se mettre à l’école des Saintes Ecritures pour apprendre ce que c’est que l’amour.

Déjà, en interprétant les faits de Césarée, Pierre nous livre un constat important : Dieu ne fait pas de différence entre les hommes ; mais quelle que soit leur race, il accueille les hommes qui l’adorent et font ce qui est juste. C’est heureux que Pierre inaugure notre apprentissage en attirant notre attention sur un trait particulier de l’amour de Dieu : l’universalité. L’Apôtre déduit cette universalité de ce qu’il convient d’appeler la Pentecôte cornélienne où des païens (Corneille et sa famille) reçoivent, avant même le baptême, l’Esprit Saint, exactement comme les Apôtres l’avaient reçu à Jérusalem le jour de la Pentecôte.

Mais l’universel de l’amour divin révélé par Pierre n’est pas une abstraction, c’est un universel concret vérifiable dans une chaîne d’amour qui commence par celui du Père pour le Fils. Même si cet Amour nous dépasse parce qu’il est en dehors du temps, il nous rejoint justement par la création du temps même et surtout par le don que le Père nous fait de son Fils unique et aussi par l’Amour que le Fils en question a pour nous, en sorte qu’on peut entendre Jésus dire dans l’Evangile de ce jour : comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. La chaîne qui lie le Père au Fils passe par le Fils pour nous lier à la fois au Fils et au Père. Ainsi unis au Père et au Fils, nous nous trouvons aussi liés les uns aux autres par le même amour, et le Fils peut nous dire encore : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Nous aimer ainsi revient à demeurer dans son amour, comme il nous le commande : demeurez dans mon amour. Qu’est-ce à dire ? Nous laisser aimer de lui, recevoir son onction (cf. 1 Jn 2,27) et ne pas pécher (cf. 1 Jn 3,6). Mais demeurer en lui, c’est loin d’une attitude
passive, c’est l’option pour un dynamisme extraordinaire qui nous fait manger la nourriture qui demeure pour la vie éternelle (Jn 6,27), garder ses commandements (Jn 14,15), nous greffer sur lui comme le sarment sur la vigne (cf. Jn 15, 4-7). Quand tout cela sera réalisé, nous serons directement liés au Père par le Fils, car le Père nous aimera et la chaîne sera bouclée. Jésus alors de nous garantir : tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera. Il ne s’agit pas d’entrevoir ici
une formule de prière efficace. Jésus veut dire que liés à Dieu par un tel amour, notre volonté s’identifie avec la sienne et il n’y a plus de conflit entre sa volonté et nos demandes passées au tamis du Fils.

A l’école de l’amour du Père, ce que nous apprenons encore, c’est que l’amour véritable comporte l’affrontement de la mort. On n’aime pas pour rester intégral. Il y a amour quand tu cèdes quelque chose de toi à l’autre, tu le cèdes progressivement, et finalement, tu es conduit à tout céder de toi-même. Tu acceptes de mourir pour celui que tu aimes, comme le commande le Seigneur (cf. Jn 15,13). Le Père vit ainsi l’amour en nous cédant son Fils Unique, le Fils le vit pareillement en se livrant à la mort de la croix. L’un et l’autre expriment le caractère oblatif et pascal de l’amour. Tout cela nous enseigne que l’amour n’est ni une partie de plaisir, ni une recette de comportement, ni un savoir-faire social, mais on comprend tout le sérieux de l’amour quand on sait qu’il occasionne l’Incarnation du Verbe et tend à produire la divinisation de l’homme.

Si ces considérations nous donnent une petite idée sur l’amour, nous pouvons nous arrêter à ce point pour déplorer deux choses.

La première, c’est que nous les prédicateurs, nous parlons de l’amour, nous en parlons même trop, mais en pensant traiter ainsi un sujet essentiel au christianisme, nous faisons de l’amour une rhétorique que n’illustre pas nécessairement l’exemple de nos vies. Que de nous Dieu ait pitié!

La deuxième chose à déplorer, c’est le constat de Saint François d’Assise, à savoir que l’amour n’est pas aimé. Cela constitue une grosse contradiction dans notre vie, car nous nous comportons, pour prendre un exemple évangélique, comme un sarment qui chercherait à se détacher de la vigne. Le remède au constat franciscain, c’est d’aimer l’amour. Malheureusement, on constate aussi qu’on peut aimer l’amour sans aimer le vrai amour, comme le laisse entendre Saint Augustin, en se référant à sa jeunesse désordonnée : nondum amabam, sed amabam amare, je n’aimais pas encore, mais j’aimais à aimer.

Augustin et François, en découvrant le vrai amour de Dieu, dénoncent l’insuffisance de l’homme en matière d’amour. Et tout se passe comme si l’Amour, grande Vérité de Dieu, est un petit mensonge de l’homme.

Que l’Amour de Dieu nous délivre de ce mensonge, si petit soit-il, car il n’y a pas de petit mensonge.