Homélie dimanche 17/05/2020: Observer les commandements, c’est mettre l’amour en pratique

 

 

1ère Lecture : Ac 8, 5-8. 14-17 ; Psaume : 65 (66) ; 2ème Lecture : 1 P 3, 15-18 ; Évangile : Jn 14, 15-21

 

 

  • HOMELIE

 

 

Permettez qu’en votre compagnie, je retourne à l’Evangile de ce sixième Dimanche de Pâque pour le parcourir diagonalement. Je vous demande de patienter pour opérer la démarche avec moi jusqu’au bout, sans vous laisser choquer par son allure apparente. 

Je vous propose de porter derrière la tête cette idée simple et vraie : celui qui tient le discours rapporté dans ce passage de l’Évangile ainsi que dans d’autres, n’est pas un vénérable vieillard de quatre-vingt-dix ans, chargé d’expérience et d’années, mais bien un jeune homme qui, en âge, vient à peine de franchir la trentaine. Le jeune homme, en question, comme un Rabbin juif, s’entoure de disciples au nombre de douze. On est sûr que l’un d’entre eux est plus jeune que le Maître, et certainement que l’écrasante majorité des autres, sinon tous, est plus âgée que lui. Et c’est à ces disciples que Jésus s’adresse. Allons au discours. 

 

 Si vous m’aimez… Au nom de quoi va-t-on l’aimer, lui ? Mais continuez d’écouter ! Vous resterez fidèles à mes commandements… Au nom de qui va-t-il donner des commandements à qui ? En dictature, c’est le Tyran qui donne la loi au peuple. En démocratie, c’est le Parlement qui le fait. De quelle autorité se revêt donc Jésus pour donner des commandements et surtout pour s’attendre à ce qu’on y soit fidèle ? Avançons cependant. Moi, je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur. Jésus serait donc fils d’un père, comme vous, d’ailleurs, comme moi, mais il a tellement main mise sur ce Père qu’à sa prière, celui-ci accordera ce qu’il demande pour ses disciples. Et pourquoi ceux-ci ne pourraient-ils pas prier directement le Père qu’il suffit de leur montrer (cf. Jn 14, 8) ? Que demande Jésus au Père ? Un autre Défenseur. Cela signifie que lui-même en est un, et même le premier ! Qui peut-il donc défendre, celui qui n’a pas été capable d’échapper aux mains des autorités juives et romaines et qui n’a même pas pu descendre de la croix pour qu’on croie en lui ? Écoutez le dernier propos qu’il tient : je ne vous laisserai pas orphelins. Il va de soi qu’à la tragique disparition d’un jeune d’une trentaine d’années environ, on pourrait dire, par exemple, qu’il part en laissant derrière une veuve et trois orphelins, mais celui qui peut à juste titre clamer “je ne vous laisserai pas orphelins”, c’est quelqu’un d’un âge autrement plus avancé. De plus, si Jésus dit : je ne vous laisserai pas orphelins, c’est qu’il se sent comme le père des Douze, c’est-à-dire, des gens qu’il n’a pas l’âge de mettre au monde, ou qui sont même plus âgés que lui. Et quel héritage leur laisse-t-il pour qu’après sa disparition, ses disciples ne se sentent pas orphelins ? Je m’en arrête là pour la lecture de ce passage et pour les questionnements. 

 

Et maintenant, vous allez convenir avec moi que Jésus-Christ ne veut pas se contenter d’être considéré comme un Penseur, style Socrate, Platon ou Aristote, ni comme un Sage, style Bouddha ou Confucius, mais la personnalité de Jésus nous contraint à une alternative inévitable et pressante : soit comme un Dieu on l’accepte et l’adore, soit on le crucifie comme un blasphémateur. Les autorités juives ont eu la franchise de le crucifier. Mais est-ce que moi, qui ne le crucifie pas, j’ai la franchise de croire en lui comme en un Dieu ? Où en suis-je dans ma position ? Il s’agit surtout que je fasse le bon choix et que je sois dans la Vérité. Je dois même craindre que ceux qui l’ont crucifié soient plus sincères que moi, car ils ont satisfait les exigences de leur conscience et de leur foi. Si moi je ne crucifie pas Jésus, mais opte pour la foi en lui sans pour autant croire profondément, je serai dans le mensonge et m’exposerai à être plus condamnable que ceux qui ont crucifié Jésus. Qui me délivrera de ce mensonge si ce n’est le Paraclet, c’est-à-dire, l’autre Défenseur que Jésus donne et qui s’appelle l’Esprit de vérité ? Je n’ai justement besoin que de cet Esprit, le monde n’a besoin que de lui.

 

Ce monde est si riche en tant de choses que, si l’on n’y prend pas garde, il risque de s’enrichir plus du mensonge que de la Vérité. Voilà pourquoi la Vérité est nécessaire pour dissiper le mensonge. 

De fait, le plus dangereux, ce n’est pas le mensonge lui-même, mais son Père. Il a un père que l’Écriture appelle le Père du mensonge (Jn 8, 44). Il me vient maintenant à l’esprit une expression italienne qui dit que “la mère de l’imbécile est toujours enceinte”. En effet, force est de constater que le Père du mensonge est toujours fécond et que ce Père, c’est Satan. Revêtu de la peau du serpent dans le Livre de la Genèse, il commet dans le jardin d’Éden le premier et le plus grand péché. Ne croyez pas que le premier péché soit celui d’Adam et d’Eve, le premier péché, c’est celui que commet le Serpent, lui qui, tout de mensonge, accuse de mensonge Dieu qui est toute Vérité. Pas du tout, vous ne mourrez pas (Gn 3, 4), rassure -t-il mensongèrement Eve. Et la suite, c’est que nous mourons. Depuis ce jour, Satan engendre notre race dans le mensonge et celui-ci fleurit sur la terre des hommes. Sa prolifération ne manque pas de rejaillir même sur la carrière de Jésus, le Fils de Dieu, et c’est intéressant d’établir que sa Mort est le fruit de l’orchestration du mensonge. Pour l’arrêter, il faut, avec trente pièces d’argent, recourir à un traître, Juda Iscariote, l’un des Douze (cf. Mt 26, 48-50 et parallèles ; 27, 3). Avant de le juger, on le condamne déjà à mort, et le jugement, finalement, n’est qu’une mise en scène qui requiert la recherche de griefs artificiels. Comme on n’en trouve pas de convaincants, il devient alors nécessaire de recourir à de faux témoins (cf. Mt 26, 59-60). Lorsque Ponce Pilate, le Gouverneur romain qui avait bien compris le jeu, met Jésus en balance avec Barabbas, c’est le même mensonge qui amène à préférer la libération de Barabbas (cf. Jn 18, 40). Enfin, de la bouche des Juifs sortira un mensonge qui n’a de parallèle que celui de Satan : pour mettre Pilate au pied du mur, les Juifs présentent Jésus comme quelqu’un qui prétend à la royauté et qui s’érige donc en ennemi de César, le seul roi que, eux les Juifs reconnaissent ! Nous n’avons d’autre Roi que César (Jn 19, 15).

 

Ô, Mensonge, quand tu nous tiens ! Jésus meurt sous tes coups et tu survis malgré sa Résurrection, pour entreprendre de nier cette même Résurrection en payant très cher le faux témoignage des soldats, gardiens de la tombe (cf. Mt 28, 11-14). À tout cela, tu survis et tu sévis encore au milieu de nous aujourd’hui. Le Psalmiste se résume : ils sont faux, corrompus, abominables, non, il n’est plus d’honnête homme (Pss 14, 1 ; 53, 2). La politique, pas seulement la politicienne, devient l’art de mentir, le mensonge même devient l’instrument privilégié pour réussir, pour s’enrichir, pour dominer en calomniant, pour tuer et piller, pour s’emparer du pouvoir, démocratiquement et impunément. Le mensonge contient tous les péchés, puisque chaque faute cherche à se couvrir par sa négation, en sorte que le mensonge engendre le mensonge, fils de Satan plus fécond que la mère de l’imbécile. 

 

Mais, ce que tu ne sais pas, ô Mensonge, c’est que le Paraclet, l’Esprit de Dieu donné par Jésus-Christ, l’Esprit de vérité et de lumière, arrive pour toi, il te mettra à nu, tu grimaceras et tu disparaîtras pour toujours !

 

  • Méditation sur les lectures du dimanche 17 mai 2020 par Mgr Follo 

 

Observer les commandements, c’est mettre l’amour en pratique

Avant-propos :

En cette période de pandémie, le risque que nous tous et toutes puissions courir soit déterminé par ce que nous n’aimons pas au lieu d’être déterminé par ce que nous aimons : le Christ ressuscité.

Passer nous journées à faire du télétravail ou à « tuer le temps » nous fait courir le risque de réagir soit aux choses à faire, soit à l’ennui de ne pas savoir occuper les longues journées que nous sommes obligés de passer confinés chez nous.

Dans les deux cas, l’habitude du quotidien, de l’ordinaire et – souvent – de l’ennui, peut étouffer le bonheur provoqué par la résurrection du Christ que nous sommes appelés à célébrer avec une intensité particulière dans cette période pascale

Comment pouvons-nous garantir que notre vie, ici et maintenant, est la narration de la fidélité à la rencontre avec le Christ ressuscité, qui vivifie notre cœur, comme le feu du printemps « anime » le grain de blé semé en terre ?

Je propose les deux réponses suivantes :

1- En demandant la grâce de vivre l’amour du Christ avec diligence, attention, assiduité, sollicitude pour que le « banal » quotidien devienne héroïque, c’est-à-dire rempli par le grand amour du Christ. Cette affection bienveillante, cette question constante n’est pas seulement celle des saints mais aussi la nôtre, pécheurs. Et la prière du pécheur repenti nous donne la paix, et, à Dieu la joie, une joie semblable à celle d’une mère lorsque son nourrisson lui sourit pour la première fois.

2- Observer les commandements du Christ comme une réponse amoureuse à son amour qui nous montre le chemin de la vérité. Aimer, c’est observer la « Parole » (les commandements du Christ sont des paroles d’amour de la Parole), car l’amour ne consiste pas qu’en des paroles ou en des sentiments. L’amour consiste dans des faits et dans faire la vérité. Dans ces faits, donc dans des actions qui correspondent à la vérité du cœur. Observer signifie « regarder bien, soigneusement, pour connaître », mais il signifie aussi « pratiquer » : c’est une pratique, c’est-à-dire l’amour devient connaissance, mais aussi pratique, cela devient un « faire ».

1)      La liberté c’est d’observer les commandements

L’Evangile nous apprend que l’essentiel est d’aimer le Christ et de garder sa parole pour l’actualiser, même si le passage de l’évangile d’aujourd’hui a l’amour comme thème : « Si vous m’aimez, vous vous appliquerez à garder mes commandements… celui qui s’attache à mes commandements et qui les observe, celui-là m’aime : or celui qui m’aime sera aimé de mon Père et à mon tour, moi je l’aimerai et je me manifesterai à lui.» (Je 14, 15-21). L’amour que Jésus demande s’exprime dans l’observance de ses commandements[1] et il est possible dans l’amour que Dieu, le premier, nous a offert : « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime d’expiation pour nos péchés » (1 Je, 4, 10). Effectivement, lorsque nous nous sentons aimés, nous sommes plus facilement portés à aimer. L’amour est l’accomplissement total de la vocation de chacun de nous. C’est le don admirable qui nous rend réellement et pleinement « humains ». C’est cet amour dont l’humanité a le plus besoin, aujourd’hui plus que jamais, « parce que seul l’amour est crédible » (Jean-Paul II).

Mais comment pouvons-nous croire en l’amour et le pratiquer? L’Evangile d’aujourd’hui nous invite à deux attitudes.

La première est celle d’obéir aux commandements de Dieu, en reconnaissant en eux le contenu et le langage de l’amour qui nous «saisit» avec tendresse.

Entrer dans l’Amour du Christ signifie être saisi d’un dynamisme à travers lequel non seulement on observe la Loi comme une obligation, mais on la met en pratique comme une exigence du cœur : celui qui goûte à l’Amour du Christ ne peut qu’aimer et vivre de cet Amour, qui est la vie. Car il n’y a de vraie vie que dans le véritable Amour. Un Amour qui nous fait exister en tant que fils et nous fait vivre comme frères et sœurs.

« L’essentiel est invisible pour les yeux » (Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince), c’est le secret que le renard confie au petit prince après que ce dernier l’ait apprivoisé et qu’entre eux soit né le lien indissoluble d’une vraie amitié. Le long et difficile chemin que Jésus a parcouru avec ses disciples a conduit à un « apprivoisement » réciproque, comme celui que raconte le livre de Saint-Exupéry. Jésus est lié à ses disciples qu’il appelle ses amis, et eux sont liés à lui et sont liés entre eux (« aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés »). Ce lien a affronté la terrible épreuve de la mort et le mystère de la résurrection, mais il ne s’est pas brisé. Jésus nous fait la promesse que l’amitié est aussi importante : c’est cela le don du Saint-Esprit. Mais comme le dit le renard au petit prince, « on ne voit bien qu’avec le cœur », et les commandements de Dieu éduquent le cœur pour qu’il puisse voir.

2)      Libres parce que fils « liés » au Père par l’amour obéissant, et non orphelins « déliés » de l’Amour

On pourrait objecter : « Comment commander l’amour ? Et comment l’amour peut-il avoir des commandements ? L’amour n’est-il pas liberté ? » Oui, l’amour est liberté, cette liberté qui adhère à la vérité et à l’amour dans la joie et avec fermeté. L’amour a de nombreuses obligations et de nombreux devoirs, mais ils sont vécus comme l’expression de la liberté, la réalisation de soi, non pas comme une contrainte. L’amour, ce n’est pas faire ce que je veux et comme je le veux, l’amour c’est aimer l’autre, vouloir le bien de l’autre, l’amour c’est servir, l’amour c’est mettre en jeu sa propre vie, l’amour c’est tout le contraire de l’égoïsme.

L’amour ce n’est pas donner ce que l’on a, mais donner ce que l’on est ; alors on désire ce que les autres sont, non ce qui leur appartient. L’amour ce n’est pas le don de ce que nous avons, mais le don de soi-même. Ce n’est pas un hasard si dans l’Evangile l’amour est identifié à l’obéissance, parce que l’obéissance est le don de soi. Si vous m’aimez, observez mes commandements… Celui qui m’aime est celui qui observe mes commandements dit Jésus à la dernière Cène.

L’amour du Christ est la loi suprême qui me fait comprendre si cette action, petite ou grande, que je suis en train d’accomplir, est vraie ou fausse ; si elle conduit à la vie ou à la mort. L’amour pour Jésus, Sa loi d’amour et de liberté, est la source de toute action, de tout commandement. Lui nous a aimés le premier, nous, nous « devons » répondre à cet amour pour être comme Lui et Le voir : « L’amour de Dieu a la priorité dans l’ordre des commandements : dans l’ordre de mise en pratique, cette priorité appartient à l’amour du prochain… L’affection que tu portes à ton frère purifie l’œil de son âme, et le rend capable de contempler Dieu » (st Augustin d’Hippone, In Jo. Ev. Tr. 17, 8).

Notre mémoire et notre cœur ne peuvent jamais rester vides, ils s’emplissent toujours de quelque chose. Même dans nos activités quotidiennes, nous devons tenir le regard fixé sur Jésus que nous verrons, si notre cœur et nos yeux ont une pureté angélique.

A la personne qui demande comment faire une prière continue, je suggère de faire diverses pauses au cours de la journée, afin de remettre de l’ordre, de rectifier sa route, de se libérer des mauvaises pensées et de se nourrir plutôt d’un psaume, ou d’un épisode de la vie du Seigneur. C’est pour cela que l’Eglise a institué la Liturgie de « Heures ». Il suffit d’un rien pour s’égarer, pour perdre son centre de gravité, pour sortir de son chemin et se laisser distraire. C’est alors qu’il faut recourir aux psaumes à intervalles réguliers, pour retrouver notre centre (le Christ), et se souvenir de la « présence » qui habite au plus profond de notre cœur. Le cœur est le lieu intime où nous pouvons reconnaître que Jésus ne nous a pas abandonnés et que le lien tissé avec ses disciples ne s’est jamais rompu malgré les siècles et les nombreuses fragilités et les limites des chrétiens des premiers temps jusqu’à nos jours.

C’est ce qui se passe dans les monastères où rien ne doit précéder l’Office divin parce que rien ne doit être placé avant l’accueil de cette divine « présence ». Il faut veiller à protéger le cœur et les sens.  Vouloir tout regarder, parler de tout, tout fouiller, c’est ainsi qu’on remplit la maison de choses inutiles, sinon néfastes. Alors le Seigneur ne peut pas nous parler, ni entrer avec nous dans une conversation amoureuse.

C’est ce qui se passe pour les vierges consacrées au cours de leur vie dans le monde. Elles sont appelées à vivre une vie monastique dans la société. Ce qu’enseigne le Catéchisme de l’église catholique : « Exprimant le propos sacré de suivre le Christ de plus près, [des vierges] sont consacrées à Dieu par l’évêque diocésain selon le rite liturgique approuvé, sont épousées mystiquement par le Christ Fils de Dieu et sont vouées au service de l’Eglise. » Par ce rite solennel (consecratio virginum), « la vierge est constituée personne consacrée, signe transcendant de l’amour de l’Eglise envers le Christ, image eschatologique de cette Epouse du Ciel et de la vie future ». Proche des autres formes de la vie consacrée, l’ordre des vierges établit la femme vivant dans le monde (ou la moniale) dans la prière, la pénitence, le service de ses frères et le travail apostolique, selon l’état et les charismes respectifs offerts à chacune. Les vierges consacrées peuvent s’associer pour garder plus fidèlement leur propos. » (CCC, n. 923 et 924).

Ces femmes consacrées montrent, à travers leur existence entièrement donnée à Dieu, la vérité profonde de cette affirmation du Christ « Celui qui s’attache à mes commandements et qui les observe, celui-là m’aime : or celui qui m’aime sera aimé de mon Père et à mon tour, moi je l’aimerai et je me manifesterai à lui » (Je 14, 21)

La conséquence de l’amour et de l’obéissance à Jésus est le don du Paraclet[2]envoyé par le Père à la prière de son Fils Jésus. Nous ne sommes pas et nous ne serons jamais orphelins, Jésus nous l’assure dans l’évangile d’aujourd’hui. L’amour dont le Seigneur Jésus nous aime se traduit dans sa prière constante, qui nous obtient à tout moment le don du Paraclet. Ce mot veut dire l’avocat, celui qui, dans un procès, assiste et porte secours à celui qu’il défend contre l’accusateur. Et précisément Satan[3] signifie l’accusateur. L’Esprit Saint est appelé auprès de nous, même aujourd’hui, à cet instant, et à chaque seconde de notre vie, pour nous défendre, pour nous rappeler et nous annoncer la Vérité, que nous sommes fils de Dieu dans son Fils Jésus.

Devant les accusations d’infidélité, d’hypocrisie, d’inconstance, face au mépris de nous-mêmes où nous pousse l’accusateur, le Paraclet nous con-sole, nous comble de l’amour du Seigneur, il accomplit en nous chaque commandement, il le garde et l’accueille en libérant en nous l’amour du Christ. Cela est vrai : l’Esprit- Saint est l’amour dont nous aimons le Seigneur, ce même amour qui unit le Père et le Fils et nous fait partager leur intimité. Dans l’Esprit-Saint nous sommes la demeure de Dieu et toute notre vie est transformée en une merveilleuse cathédrale où tout homme peut reconnaître la présence amoureuse et miséricordieuse de Dieu.

 

  1. LECTURE PATRISTIQUE : Saint Augustin d’Hippone (354 -430)

SOIXANTE-QUATORZIÈME TRAITÉ.

DEPUIS CES PAROLES : « SI NOUS M’AIMEZ GARDEZ MES COMMANDEMENTS », JUSQU’À CES AUTRES « IL DEMEURERA CHEZ VOUS ET IL SERA EN VOUS ». (Chap. XIV, 15-17.)

LE DON DE L’ESPRIT-SAINT.

Pour accomplir le moindre devoir, il faut l’assistance du Saint-Esprit; mais pour le posséder parfaitement, d’une manière permanente et intime, pour le bien connaître, il est indispensable d’observer les commandements de Jésus-Christ. Nous recevons donc le Saint-Esprit dans une mesure proportionnée à notre fidélité à ses ordres.

  1. Nous l’avons entendu, mes frères, dans cette leçon de l’Evangile. Notre-Seigneur nous a dit: « Si vous m’aimez, gardez mes commandements, et je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur, pour qu’il a demeure éternellement avec vous, l’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point. Mais vous le connaîtrez, parce qu’il demeurera avec vous et qu’il sera en vous ». Il y a beaucoup de questions à faire sur ce peu de paroles de Notre-Seigneur; mais c’est pour nous une grande entreprise de chercher à découvrir tout ce qui s’y trouve renfermé, et encore plus de trouver tout ce que nous y chercherons. Cependant, autant que le Seigneur voudra bien nous en faire la grâce, selon notre capacité et aussi selon la vôtre, (18) nous serons attentifs, nous à ce que nous devons dire, et vous à ce que vous devez entendre. Recevez donc par nous, très-chers frères, ce que nous pouvons vous donner; et ce qu’il nous est impossible de vous expliquer, demandez-le au Seigneur. Jésus-Christ promet à ses Apôtres l’Esprit consolateur; mais voyons de quelle manière il le leur promet : « Si vous m’aimez », leur dit-il, « gardez mes commandements, et je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur, l’Esprit de vérité, afin qu’il demeure éternellement avec vous ». Cet Esprit est évidemment le Saint-Esprit de la Trinité, que la foi catholique reconnaît comme étant consubstantiel et coéternel au Père et au Fils. C’est de lui que l’Apôtre nous dit . « L’amour de Dieu a été « répandu dans nos coeurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné (1) ».

Comment donc Notre-Seigneur dit-il : « Si vous m’aimez, gardez. mes commandements, et moi je prierai le Père, et il vous donnera un autre Consolateur » ; puisque cet Esprit-Saint dont il parle est celui-là même sans lequel nous ne pouvons ni aimer Dieu, ni garder ses commandements ? Comment aimerons-nous pour recevoir Celui sans lequel nous ne pouvons rien aimer? Ou bien, comment garderons-nous les commandements, pour recevoir celui sans lequel nous ne pouvons les garder? Ou bien, y aurait-il préalablement en nous un amour qui nous ferait aimer Jésus-Christ, de telle sorte qu’en aimant Jésus-Christ et en observant ses commandements, nous mériterions de recevoir le Saint-Esprit, et que l’amour, non pas de Jésus-Christ, puisque cet amour nous l’aurions d’avance, mais l’amour de Dieu le Père serait répandu dans nos coeurs par l’EspritSaint, qui nous a été donné? Cette pensée est mauvaise, car celui qui croit aimer le Fils, et n’aime pas le Père, celui-là n’aime pas même le Fils ; il n’aime que le fantôme qu’il s’est forgé à lui-même. D’ailleurs, c’est une parole expresse de l’Apôtre que « personne ne « peut dire : Seigneur Jésus, si ce n’est par le Saint-Esprit (2) ». Et qui peut dire: Seigneur Jésus, de la manière que l’entendait l’Apôtre, sinon celui qui l’aime? Plusieurs, en effet, le disent de bouche, mais le nient dans leur coeur et par leurs actes. C’est de ceux-là qu’il a dit : « Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le nient par leurs oeuvres (3) ».

Si c’est  par les oeuvres qu’on le renonce, assurément c’est aussi par les oeuvres qu’il faut le confesser. « Personne donc ne dit : Seigneur Jésus » d’esprit, de parole, de fait, de coeur, de bouche et d’action, personne ne dit : Seigneur Jésus, sinon par le Saint-Esprit » ; et personne ne le dit ainsi, à moins de l’aimer. Les Apôtres disaient déjà de la sorte : « Seigneur Jésus », et ils le disaient ainsi sans fiction aucune; s’ils le confessaient de bouche sans le nier dans leur coeur et par leurs actes; s’ils le disaient en toute vérité, c’est qu’évidemment ils l’aimaient. Mais comment pouvaient-ils l’aimer, sinon par l’Esprit-Saint? Pourtant ils doivent d’abord aimer Jésus et garder ses commandements, afin de recevoir le Saint-Esprit, sans lequel ils ne peuvent ni aimer ni garder les commandements.

  1. Rm 5, 5. — 2. I Co 12, 3. — 3. Tit I, 16.
  2. Il faut donc reconnaître que celui qui aime a déjà l’Esprit-Saint, et que l’ayant, il mérite de l’avoir encore à un degré plus éminent et qu’ainsi son amour augmente. Les disciples avaient donc déjà l’Esprit-Saint que le Seigneur leur promettait, et sans lequel ils n’auraient pu l’appeler Seigneur. Mais cependant ils ne l’avaient point encore, dans le sens que le Seigneur le leur promettait. Il est donc vrai de dire qu’ils l’avaient et qu’ils ne l’avaient pas, puisqu’ils ne l’avaient pas encore au degré où ils devaient l’avoir : ils l’avaient bien un peu, mais ils devaient l’avoir davantage. Ils l’avaient d’une manière cachée, ils devaient le recevoir ouvertement. Et ce qui était de nature à augmenter la grandeur du don qui leur était promis, c’est qu’ils devaient savoir pertinemment qu’ils possédaient le Saint-Esprit. C’est de ce don que parle l’Apôtre, lorsqu’il dit: « Pour nous, nous avons reçu, non pas l’esprit de ce monde, mais l’Esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits (1) ». Car ce n’est pas une seule fois, mais deux fois, que Notre-Seigneur répandit l’Esprit-Saint sur ses Apôtres d’une manière visible.

En effet, peu après sa résurrection, il leur dit en soufflant sur eux : « Recevez l’Esprit-Saint (2)». Parce qu’il le leur donna en ce moment, est-ce qu’il ne leur envoya point plus tard celui qu’il leur avait promis? Ou bien, n’était-ce pas le même qu’il répandit sur eux par son souffle et qu’ensuite il leur envoya du haut du ciel (3)? C’est donc une nouvelle question de savoir pourquoi cette donation visible du Saint-Esprit a été renouvelée deux fois : ce fut peut-être à cause du double précepte de l’amour de Dieu et du prochain ; comme il voulait nous montrer que ce double amour est l’effet du Saint-Esprit, l’infusion de cet Esprit a été renouvelée deux fois d’une manière apparente. Il peut y avoir de ce fait d’autres raisons, mais nous ne sommes pas au moment de chercher à les connaître; car nous prolongerions ce discours outre mesure. Tenons seulement pour constant que sans l’Esprit-Saint nous ne pouvons ni aimer Jésus-Christ, ni garder ses commandements, et que nous ferons ces deux choses plus ou moins parfaitement, selon que nous aurons reçu ce même Esprit avec plus ou moins d’abondance.

  1. I Co 11, 12. — 2. Jn 20, 22. — 3. Ac 2, 4.

C’est pourquoi ce n’est pas inutilement que l’Esprit-Saint est promis, non-seulement à celui qui ne l’a pas, mais même à celui qui le possède déjà: par là, celui qui ne l’a pas encore commencera à l’avoir, et celui qui l’a déjà, le possédera en de plus larges proportions. En effet, si l’Esprit-Saint ne pouvait s’obtenir à un degré moindre par les uns, et à un degré plus élevé par les autres, le saint prophète Elysée n’aurait pas dit au saint prophète Elie : « Que l’esprit qui est en vous soit doublé en moi (1)».

  1. En prononçant ces mots : a Dieu ne donne « pas son Esprit par mesure (2) », Jean-Baptiste parlait du Fils même de Dieu, car l’Esprit-Saint ne lui a pas été donné par mesure, puisque la divinité habite en lui dans toute sa plénitude (3). En effet, le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme (4), n’a jamais été privé de la grâce du Saint-Esprit ; lui-même l’a déclaré; c’est en lui que s’est accomplie cette prophétie : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, c’est pourquoi il m’a rempli de son onction; il m’a envoyé évangéliser les pauvres (5) ». Qu’il soit le Fils unique de Dieu, égal au Père, c’est sa nature et non pas un effet de la grâce; mais qu’il se soit uni un homme pour ne faire avec lui qu’une seule personne qui est celle du Fils unique de Dieu, ce n’est plus sa nature, mais un don de la grâce ; l’Evangile nous en avertit en ces termes : « Cependant l’enfant croissait et se fortifiait, il était rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était en lui (6) ». Pour les autres hommes, le don de l’Esprit-Saint leur est accordé et augmenté par mesure jusqu’à ce que se comble pour chacun la mesure de la perfection qui lui est propre.
  2. IV R 11, 9. — 2. Jn 3, 34 — 3. Col 2, 9. — 4. I Tim 2, 5. — 5. Lc 4, 18-21. — 6. Id. 2, 40.

C’est pourquoi l’Apôtre nous avertit « de ne pas être plus sages « qu’il ne faut, mais d’être sages avec sobriété selon la mesure de la foi que Dieu a répartie à chacun (1) ». Ce n’est pas que l’Esprit-Saint soit partagé; mais il partage ses dons. Il y a diversité de dons spirituels; mais il n’y a qu’un même Esprit (2).

  1. Mais quand Jésus dit: « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Paraclet », il montre qu’il est lui-même tin Paraclet. Paraclet est un mot qui, en latin, signifie avocat; or, il est dit de Jésus-Christ : « Nous avons pour avocat auprès du Père Jésus-Christ le juste (3) Ainsi, quand Jésus-Christ a dit que le monde ne pouvait pas recevoir le Saint-Esprit, il a parlé dans le même sens que l’Apôtre en ce passage : « La prudence de la chair est ennemie de Dieu; car elle n’est pas soumise à la loi et ne peut l’être (4) ». C’est comme si nous disions : L’injustice ne peut être juste. Par le monde, en cet endroit, Jésus entend ceux qui aiment le monde d’un amour qui ne vient pas du Père (5). C’est pourquoi à l’amour de ce monde, que nous avons tant de peine à diminuer et à détruire en nous, est opposé l’amour de Dieu qui est répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. « Le monde ne peut donc recevoir cet Esprit, parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît point ». Car l’amour du monde n’est pas doué de ces yeux invisibles par lesquels on voit le Saint-Esprit, parce qu’il ne peut être vu que d’une manière toute spirituelle.
  2. « Mais vous », dit Notre-Seigneur, « vous le connaîtrez, parce qu’il restera avec vous et qu’il sera en vous ». Il sera en eux pour y demeurer; il n’y demeurera pas pour y être; car il faut être en un lieu avant d’y demeurer. Mais afin que les disciples n’entendent pas ces paroles : « Il demeurera avec vous », en ce sens qu’il demeurerait visiblement auprès d’eux, à la façon dont un étranger demeure chez son hôte, il explique ces mêmes paroles en ajoutant: « Il sera en  vous ». Il se voit donc d’une manière invisible; s’il n’est pas en, noua, nous ne pouvons le connaître; car ainsi voyons-nous en nous, mêmes notre propre conscience. Nous voyons le visage d’un autre, nous ne voyons pas le nôtre; nous voyons notre conscience, et nous ne voyons pas celle d’autrui. Mais notre conscience ne peut être ailleurs qu’en nous, tandis que l’Esprit-Saint peut très-bien être sans nous; c’est pourquoi il nous est donné, afin d’être aussi en nous. Mais nous ne pouvons le voir et le connaître comme il veut être vu et connu, que s’il est en nous.
  3. Rm 12, 3 — 2. I Co 12, 4 — 3. I Jn 2, 1 —  4. Rm 8, 7 — 5. I Jean 2, 16.

[1] Nous remarquerons que cette indication du v. 15 est reprise aux vv. 21 et 26, sous une forme différente.

[2] Paraclet vient du grec  parakletos  (paracletus), qui signifie appelé, invoqué auprès de. Le Paraclet ou Avocat est celui qui est près de moi, qui est de mon côté, qui prend ma défense, intercède pour moi, donc le Consolateur, qui est l’une des appellations de l’Esprit-Saint.

[3] Satan  (en hébreu :  שָׂטָןSatan ; en grec  Σατᾶν o Σατανᾶs, Satan ou Satanas ; en latin Satanas. En hébreu, le mot signifierait : « accusateur », « adversaire », « celui qui s’oppose