Deux versions des béatitudes nous sont présentées par les Evangiles, celle de Matthieu qui contient 8 bénédictions, et celle de Luc, constituée de 4 bénédictions suivies de 4 malédictions. En procédant ainsi. Saint Luc oppose deux à deux 8 catégories de personnes : les pauvres et les riches, les affamés et les rassasiés, ceux qui rient et ceux qui pleurent, les persécutés et ceux qui sont ovationnés par tous.
Avouons humblement qu’une telle page d’Evangile a quelque chose de provoquant, de déconcertant, de gênant. Il nous met tous mal à l’aise en suscitant en nous des questions franchement désagréables. Comment peut-on dire honnêtement “heureux les pauvres” alors qu’intérieurement on pense : “heureux les riches” ? Comment peut-on déclarer heureux des gens qui ont faim, qui pleurent, qui sont insultés et persécutés ? N’est-ce pas plutôt le contraire qui crève les yeux heureux ceux qui sourient à la vie parce que la vie leur sourit ?
Notre embarras devant cet Evangile atteint son comble lorsque nous entendons ces autres déclarations de Jésus : “Malheureux êtes-vous les riches, parce que vous avez déjà votre consolation”… A-t-on réellement tort de naître dans une famille aisée ? Est-ce un mal de se construire une vie confortable à la sueur de son front ? Pourquoi donc Jésus condamne-t-il si catégoriquement les riches ?
Qui que nous soyons, l’évangile de ce dimanche ne peut nous laisser indifférents, car il semble contredire l’expérience quotidienne qui s’étale devant nous et remettre en question le désir de richesse, avoué ou caché, qui habite le cœur de tout homme.
Pourquoi donc les richesses, qui sont pourtant un signe de bénédiction divine peuvent se transformer en une redoutable malédiction ? C’est essentiellement parce que l’argent est trompeur.
Plus vous en amassez, plus il vous fait croire que vous n’en avez pas assez, car l’avidité grandit avec la possession et le désir de s’enrichir augmente à mesure que s’accumule la fortune. Ne l’avez-vous d’ailleurs pas remarqué ? Il est rare qu’un riche regarde ce qu’il possède : il pense généralement à ce qui lui manque encore et son appétit insatiable semble être davantage aiguisé par son trésor.
L’argent est trompeurparce qu’il vous fait croire que vous pouvez tout lorsque vous le possédez. Il vous promet de mettre le monde à vos pieds si vous-mêmes vous vous mettez à ses pieds. Et, dans votre désir de grandeur, vous vous transformez, sans le savoir, en adorateur d’idole.
L’argent est trompeur,parce qu’il vous fait croire que vous êtes meilleurs aux autres lorsque votre compte bancaire est plus fourni que le leur ou que vous pouvez faire de plus grandes largesses aux pauvres. Or la bonté ne se mesure pas selon la quantité ; elle s’apprécie par rapport à la gratuité.
L’argent est trompeurparce qu’il vous impose sa logique qui consiste à donner peu pour gagner davantage. Dans le registre de l’amour, par contre, on ne s’enrichit réellement que de ce que l’on donne.
L’argent est trompeur,parce qu’il vous fait croire qu’il n’a ni odeur ni état d’âme et qu’en matière de finances, il n’y a pas de place pour les scrupules. Hélas, à l’école de ce maître redoutable, on apprend vite à se salir les mains, à sombrer dans les compromissions et à étouffer la voix de sa conscience.
L’argent est trompeur,car il vous fait croire que tout ce qui ne vous profite pas n’est pas important et, faisant miroiter devant vos yeux les merveilles qu’il promet, il vous aveugle pour fermer finalement vos yeux et vos oreilles à la misère de ceux qui vous entourent.
L’argent est trompeur,car il vous fait croire qu’en le possédant, votre vie sera pleinement assurée et, qu’au bout du compte, vous pourrez même vous passer de Dieu. Comble de l’ironie ! Ce perfide ensorceleur est capable de vous retourner contre celui à qui vous devez tout.
L’argent est trompeur,qui oserait le nier ? Son pouvoir séducteur est impressionnant, n’en faisons-nous pas l’expérience quotidiennement. Dans notre hypocrisie collective, nous le condamnons tout en le désirant secrètement ; nous le rejetons dans nos discours, tout en le recherchant avidement dans les faits.
Tout dépend, nous dit Jésus, de l’importance que nous lui accordons dans notre vie. Il sera certainement notre fidèle serviteur, si nous savons le ramener à sa vraie place, en le gagnant par une vie honnête en l’utilisant avec sagesse et en le partageant avec les plus pauvres. A ce sujet. Saint Clément d’Alexandrie écrivait : ” Si donc étant riche, tu regardes comme des dons de Dieu l’or, l’argent et les maisons que tu possèdes, si tu les rends dans la personne de tes frères à Dieu qui te les a donnés, reconnaissant ainsi que tu les possèdes pour les autres plutôt que pour toi. si t’élevant au-dessus de tes richesses tu sais les commander au lieu d’en être l’esclave, si tu ne les portes pas en ton cœur et si tu n’y enfermes pas l’horizon de ta vie ; si quand elles te sont enlevées tu supportes cette perte avec le même calme que quand tu en jouis, tu es de ceux que le Seigneur appelait bienheureux, tu es pauvre en esprit, tu es préparé à posséder le royaume des cieux bien mieux que si tu rejetais le fardeau des richesses par l’impuissance de le porter ( … ) Notre salut ne dépend pas des choses qui sont en dehors de nous ; on peut être dépouillé de tout et avoir l’âme de convoitise • notre salut dépend des dispositions de l’âme ” (Clément d’Alexandrie : ” Qui dives salvetur ? XVI. XXVI & XV).
Que le Seigneur, Maître de l’impossible, nous donne des cœurs avisés et sages pour savoir faire un bon usage des biens qu’il met à notre disposition.