Homélie dimanche 23/09/2018: Accueillir les plus petits, c’est accueillir Jésus et Celui qui l’a envoyé

Ce dimanche, après la messe d’au-revoir, la semaine dernière, je célèbre la dernière messe dans le secteur de Bellegarde, dans une petite église … c’est bien de terminer dans une petite église, surtout avec l’évangile de ce dimanche !

Je reçois beaucoup de témoignages qui me touchent beaucoup ! Hier, c’était la dernière célébration d’éveil à la foi et voilà la lettre transmise par des enfants : Nous tenons tellement à toi que quand tu vas partir, nous on va faire d’immenses flaques d’eau chez nous en pleurant !

Oui, Jésus a raison, les enfants nous font tellement de bien par leur spontanéité !

Bonne semaine … moi, je vais la passer à Ars pour la retraite internationale, une belle occasion de reprendre souffle après ces jours riches en émotion … et en fatigue !

Roger

 

Il vous arrive peut-être d’utiliser cette expression étonnante : il y a des silences qui en disent long ! Oui, cette expression est vraiment étonnante parce que le silence, précisément, ne dit rien, puisqu’il est fait d’une absence de paroles ! Pourtant, c’est vrai que certains silences en disent long et, c’est le contexte dans lequel ils se déroulent qui nous aidera à comprendre le message qu’ils veulent transmettre. Si je commence ainsi cette homélie, c’est parce que vous avez sans doute remarqué qu’il y a deux silences dans le texte d’évangile que je viens de lire. Ces deux silences sont à mettre à l’actif des apôtres. Le premier se situe juste après l’annonce que Jésus vient de faire de ce qui va lui arriver, des souffrances qu’il devra traverser et le second se situe juste après la question de Jésus qui demande à ses apôtres de quoi ils avaient parlé en chemin. J’aimerais que nous nous arrêtions sur chacun de ces silences pour que, si je peux exprimer ainsi, nous entendions ce qu’ils veulent nous dire.

 

Le premier silence suit donc immédiatement l’annonce que Jésus fait de ce qui va lui arriver. Dimanche dernier, nous avions déjà entendu une annonce de ces événements terribles, annonce qui, certes, se termine par la résurrection, mais je suis sûr que les apôtres, comme nous, sans doute, retiennent surtout les événements dramatiques qui sont annoncés. Alors, que veut nous dire ce silence ? Il me semble que ce silence comporte un double message : déception et incompréhension.

  • Déception tout d’abord. Il faut se mettre à leur place, ils ont tout quitté pour le suivre parce qu’ils ont perçu qu’il était le Messie envoyé par Dieu, celui qu’on attendait depuis si longtemps. En le suivant, ils partaient pour la gloire … devenir les compagnons du Messie, c’était pas rien ! Oui, mais voilà qu’il leur annonce que l’aventure ne va pas se passer du tout comme ils pouvaient l’imaginer, l’espérer. En plus, certains, parmi les apôtres avaient été engagés dans des mouvements politiques qui cherchaient à mettre fin à l’occupation romaine. Ils espéraient donc que Jésus, le Messie, allait prendre la tête d’un vaste mouvement qui redonnerait à ce peuple choisi par Dieu son indépendance et sa grandeur. Mais voilà que tous leurs espoirs tombent à l’eau : avant même que le combat n’ait commencé, Jésus annonce déjà sa défaite ! Dans ce contexte, on comprend que ce silence des apôtres qui n’osaient pas interroger Jésus soit un silence qui en dise long sur leur déception. Il leur faudra du temps pour abandonner leurs rêves de Gloire, de puissance, de victoire. Il leur faudra du temps pour entrer dans les vues de Dieu qui n’a pas envoyé Jésus pour triompher des romains mais pour triompher de la haine, de l’égoïsme et de toutes les médiocrités.

 

  • Mais il n’y a pas que de la déception dans le silence des apôtres, il y a aussi de l’incompréhension. Si Jésus est vraiment le Messie, l’envoyé de Dieu, comment est-ce possible que tout se termine comme il l’annonce ? Enfin, Dieu est tout-puissant, pourquoi Jésus devrait-il passer par l’humiliation, la souffrance et la mort ? Nous sommes peut-être trop habitués à cette annonce que fait Jésus, nous sommes trop habitués à voir des crucifix et même à en porter un, comme bijou, autour du cou pour voir ce scandale que représente ces souffrances annoncées. Comment le Dieu Tout-Puissant qui a créé le ciel et la terre et toutes les créatures et tout et tout, comment Dieu pourrait-il ne pas réussir quand il envoie Jésus, son Fils ? Il leur faudra du temps, beaucoup de temps, aux apôtres pour entrer dans les vues de Dieu qui n’a pas envoyé Jésus pour emporter une victoire, mais pour sauver tous les hommes. Et, pour les sauver, il a choisi de descendre aussi bas qu’avait pu tomber celui, parmi les hommes, qui était tombé le plus bas ; il a choisi de souffrir ce qu’avait pu souffrir celui, qui parmi les hommes, avait le plus souffert physiquement et moralement. Ce n’est pas évident à comprendre et à accepter. Ce silence des apôtres traduit bien leur incompréhension du moment.

 

Venons-en maintenant au 2° silence. C’est encore le silence des apôtres quand Jésus les interroge pour savoir de quoi ils parlaient en chemin. Là, on comprend bien pourquoi ils gardent le silence ! Au moment où Jésus leur annonce qu’il va devoir passer par des souffrances terribles avant de mourir, eux ils discutent pour savoir qui est le plus grand. C’est un peu comme si des enfants étaient réunis autour d’un de leurs parents qui va mourir et eux, près de ce lit de mort, ils discutent pour savoir qui va prendre la suite, qui va hériter. C’est un peu ça !

 

Alors, quand Jésus leur dit : j’aimerais bien savoir ce qui provoquait des discussions si vives entre vous. Parce qu’il faut imaginer la scène : après la terrible annonce que Jésus venait de faire, il devait marcher seul devant, les apôtres, au départ, étaient silencieux derrière murés dans leur déception et leur incompréhension. Puis, peu à peu les langues se délient et voilà qu’ils se mettent à envisager l’après-Jésus : qui prendra la tête du groupe ? Pierre, oui, ça serait normal, mais est-il encore légitime après s’être fait traiter de Satan, c’est ce que nous avions entendu la semaine dernière ? Donc la discussion s’anime entre eux ! On comprend qu’il ne puisse répondre que par un silence gêné à la question de Jésus : de quoi parliez-vous donc sur le chemin ? Oui, vraiment, il n’y avait pas de quoi être fier de la teneur de leurs propos.

 

Mais ce que je trouve vraiment extraordinaire, c’est la réponse que Jésus va faire à ce silence qui en dit long ! Il ne les accable pas, il ne leur fait pas la morale, non, rien de tout cela. Jésus est vraiment un coach extraordinaire, il va partir de leur désir tordu pour les faire avancer. C’est comme s’il leur disait : vous cherchez à être les premiers, bravo ! Je vous félicite d’être ambitieux car la mission que je veux vous confier, vous ne pourrez la réaliser que si vous êtes ambitieux ! Mais attention, ce qui compte, ce n’est pas l’ambition personnelle pour gravir tous les échelons afin de se retrouver à la première place. Non, cette ambition, souvent elle gâche tout, parce que pour parvenir au sommet, certains sont prêts à écraser quiconque se mettrait en travers de leur chemin. C’est pourquoi Jésus va donner comme modèle un enfant. A l’époque de Jésus, les enfants n’étaient pas des enfants-rois comme aujourd’hui. Leur look n’était pas forcément attirant, souvent, ils pouvaient avoir des maladies de peau et n’étaient pas tirés à 4 épingles. En plus, ils étaient des improductifs, il fallait les nourrir sans qu’ils ne rapportent rien ou si peu. Mais ce sont les enfants que Jésus donne comme référence du Royaume, les accueillir, c’est accueillir Jésus et Celui qui l’a envoyé. La véritable ambition qui doit animer les apôtres, c’est donc la capacité d’accueillir les plus petits, les plus fragiles, les plus vulnérables parce que, si eux ont de la place, tout le monde aura de la place. Si on se met à leur rythme, tout le monde pourra suivre ; si on se met à les écouter, ils sauront nous révéler les secrets du Royaume parce que c’est à eux que le Père a choisi de les révéler.

C’est merveilleux au niveau de la pédagogie de Jésus. Plutôt que d’humilier ses apôtres en leur montrant combien leur aspiration à devenir premier était tordue et combien il était déplacé de l’exprimer dans ce moment-là, Jésus va partir de cette aspiration pour la ré-orienter. C’est ainsi que Jésus procède encore avec nous. Sur chacun de nous, il pose en permanence un regard de bienveillance qui jamais ne nous juge ni ne nous condamne même quand nous sommes traversés par des idées tordues. C’est précisément grâce à ce regard d’amour, de bienveillance qui nous rejoint là où nous en sommes que, peu à peu, nous allons devenir capables de changer de cap pour donner de l’importance dans nos vies à ce qui en mérite vraiment. Laissons-nous rejoindre par ce regard pour que nous devenions premiers, pour que nous devenions grands et même des géants en matière d’amour et de respect des plus petits. C’est de cela que notre monde a le plus besoin, lui qui se perd dans une compétition ambitieuse où les plus petits sont éliminés les uns après les autres. Nous le pressentons tous cette logique inhumaine est mortifère et si nous ne redressons pas la barre, nous allons droit dans le mur. Si le réchauffement de la planète est un drame, le réchauffement des cœurs est, lui, une priorité absolue !

 

Père Roger Hébert