Homélie dimanche 28/03/21: Dimanche de rameaux

Evangile de la procession : Mc 11,1-10
Messe : L1 = Is 50,4-7 ; Ps 22(21) ; L2 = Ph 2,6-11 ; Evangile : Mc 14 – 15,47.

Les lectures de ce dimanche des Rameaux nous imposent un long temps d’écoute, mais ceux qui leur prêteront l’attention nécessaire seront récompensés par une abondance de nourriture pour le cœur, l’âme, la foi et la vie.

A travers ces lectures, les Seigneur porte à son achèvement son enseignement sur le Mystère de sa croix. Après avoir recouru précédemment aux images du serpent de bronze érigé au désert, du grain de blé tombé en terre, l’Homme-Dieu entre dans la scène de l’histoire comme Le Crucifié exécuté sous les ordres de Ponce Pilate.

Il s’agit maintenant de comprendre que la crucifixion de Jésus n’est pas un événement singulier et révolu, mais toujours actuel car, au dire d’Origène, le Christ restera sur la croix jusqu’à ce que le dernier des hommes entre au paradis de son Père. Ainsi donc, le souvenir de la croix évoqué dans toute forme de dévotion et surtout dans l’Eucharistie du Seigneur, actualise l’événement ainsi que ses fruits de salut pour tous les hommes.

Si la Résurrection du Christ confère à la croix un éclat particulier et un aspect glorieux, force est de voir dans la croix l’abaissement le plus profond que le Seigneur ait subi. Mais avant de parler de l’abaissement, il faut indiquer à quel niveau se situe la hauteur ? Elle se repère dans le sein du Père, là où le Verbe Eternel est engendré en dehors du temps. Par rapport à cette hauteur, le premier niveau d’abaissement, c’est l’Incarnation du Verbe (cf. Jn 1, 14) dans le sein de la Vierge Marie. Nous
l’appelons abaissement parce que le Verbe n’a aucun avantage personnel ou objectif à s’incarner, ne passant pas ontologiquement du moins au plus par cette initiative. On ne voit pas non plus Jésus en situation de privilège lorsqu’on considère les atroces conditions de naissance rapportées par les Evangiles. Le deuxième niveau d’abaissement, c’est la vie même de Jésus de Nazareth sur la terre, une vie que lui-même résume éloquemment en disant : le Fils de l’homme n’a pas où reposer la tête (Lc 9, 58). Le niveau le plus bas où l’on puisse aller dans l’abaissement, c’est la mort, et ce qui échoit au Seigneur comme conditions pour mourir se situe encore plus bas que tout : la mort, et la mort de la croix (Ph 2, 8).

Mais pourquoi la croix sur le dos d’un Dieu ? peut-on se demander. Si Dieu porte la croix, ce n’est pas par divin plaisir, mais c’est l’homme qui la lui impose. L’homme la lui impose par l’action négative qu’est le péché, et le péché, c’est l’homme réclamant indument le rang qui l’égale à Dieu, sous la perverse suggestion du serpent de la Genèse : vous ne mourrez pas… et vous serez comme des dieux (Gn 3,4-5). Au lieu de s’installer sur l’épaule de l’homme suite à ce geste de rébellion, la croix basculera sur l’épaule de Dieu quand son Verbe Eternel ne jugera pas bon de revendiquer son droit à être traité à l’égal de Dieu, mais au contraire, se dépouillera lui-même en prenant la condition du serviteur, dans un élan d’amour invincible qui ne le fera pas reculer, pas même devant la mort, et la mort de la croix (Ph 2,8).

Toutefois, dans tout ce réseau d’abaissements, l’Evangile de la Procession des Rameaux laisse filtrer un élément de triomphe : l’entrée de Jésus à Jérusalem. Mais, ne nous faisons pas d’illusion, car là encore, tout se passe dans l’abaissement. Jésus entre à Jérusalem à dos d’âne, la monture des pauvres, le moyen de transport des humbles, l’instrument vivant de travail pour le dur métier de paysan. Qu’y trouvez-vous donc de triomphal ? Par contre, il y aurait eu triomphe si Jésus avait recouru au moyen alternatif qu’est le cheval : animal plus imposant, plus vigoureux, fait pour les
princes, mieux indiqué pour les parades, idéal pour l’accomplissement des actions d’éclat à la guerre.

Et pourquoi Jésus ne l’adopte-t-il pas ? Si c’est dans la paix qu’il entend entrer dans la Ville Sainte, pourquoi recourir à un appareil de guerre ? Si Jérusalem est la Ville de paix, ne se trompera-t-il pas d’adresse en y entrant avec un attirail de guerre ? Si Jésus même est le plus humble de la terre, à quoi rime un déploiement de puissance ? Là, nous voyons Jésus en syntonie avec la révélation vétérotestamentaire. Jamais en effet, les chevaux n’ont été les bienvenus à Jérusalem (cf. Za 9, 10), car leur efficacité guerrière pourrait faire croire à Israël que ce sont ses chevaux, et non Yahvé son Dieu, qui sont cause de ses victoires. On comprend que la vigueur du cheval n’agrée pas à Dieu (Ps 147(146),10), et que les prophètes se moquent de ceux qui cherchent leur salut dans la force des chevaux (cf. Is 31,1). Claire est l’option d’Israël : aux uns les chars, aux autres les chevaux, à nous
d’invoquer le nom de Yahvé notre Dieu (Ps 20(19),8). On comprend aussi que Jésus choisisse l’ânon comme monture messianique pour réaliser la prophétie de Zacharie : ton roi,… humble, monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse (Za 9, 9).

Considérons enfin la figure de cet ânon. A propos de lui, le Mystère, c’est que le Seigneur en a besoin. Le Seigneur, le Maître de tout, a besoin d’un être aussi négligeable qu’un ânon, dépourvu de raison et d’intelligence. Un ânon pour porter celui qui porte le ciel et la terre. Le Seigneur en a besoin.

Le Seigneur sait donner de l’importance aux êtres les plus méprisés. N’est-ce pas ainsi qu’il valorise mes moindres sacrifices, pour leur donner l’efficacité de sa croix rédemptrice ?

L’ânon en question est disponible en principe, mais il est lié par des cordes. Il faut le délier. Il faut surtout qu’il se laisse délier. Après quoi, sa disponibilité se revêtira d’efficacité. N’est-ce pas ainsi que ma bonne volonté se trouve liée par mon indolence, ma paresse, mes péchés et mes vices ?

Seigneur, viens délier tous mes liens, libère-moi de moi-même pour que je me rende
disponible à toi, que j’épouse ton fardeau, que tu sois toi-même mon fardeau léger et mon joug facile (cf. Mt 11,30), que je te porte à mes frères et sœurs, sur mon dos, et que j’accomplisse avec toi d’humbles actes qui aient l’efficacité de ta croix, pour mon salut et le salut du monde.