Homélie jeudi saint: Connaissez-vous la différence entre les repas qui concluent chaque album d’Astérix et le repas du jeudi saint ?

 Je pense que vous avez déjà tous lu au moins une fois un Astérix ! Si c’est le cas, vous savez donc comment se termine tous les livres : par un repas ! Avez-vous remarqué que dans l’évangile c’est presque toujours le même scénario ? Jésus appelle Matthieu le publicain comme apôtre et c’est tellement inespéré que Matthieu organise un repas auquel Jésus et les autres apôtres sont conviés. Jésus lève les yeux pour initier un dialogue avec Zachée qui se cachait pour ne pas être vu tellement il était mal à l’aise à cause de son statut de publicain. On assiste alors à une belle rencontre qui se termine encore par un repas. Et ce soir, c’est encore le cas, c’est un repas qui réunit les 12 apôtres autour de Jésus, un repas particulier, c’est vrai, puisqu’il s’agit du repas de la Pâque. Nous en avons entendu le récit dans la 2° lecture. Vraiment c’est dommage que les auteurs d’Astérix n’aient jamais fait un album sur les évangiles. D’abord l’histoire se passe à la même période et ils n’auraient pas été en peine pour dessiner tous ces repas puisque leurs albums se terminent toujours par un repas comme les rencontres de Jésus.

Il y a toutefois une différence essentielle entre les repas de l’évangile et ceux d’Astérix. Quand vous regardez la dernière image d’un album d’Astérix, il y a toujours un détail intéressant à chercher, c’est où se trouve le barde Assurancetourix. Vous savez cet homme, il chante terriblement mal, alors pour le banquet final, on le saucissonne, on le bâillonne et on l’attache à un arbre pour que tout le monde puisse manger tranquille. Aux banquets d’Astérix, celui qui n’est pas apprécié des autres est éjecté. Aux banquets de Jésus, celui qui n’est pas apprécié des autres est souvent au centre du repas, c’est le cas pour Matthieu, c’est le cas pour Zachée. On peut même dire que les repas de l’évangile sont pratiquement l’équivalent de rites intégrateurs pour ceux qui étaient rejetés. La rencontre avec Jésus se termine par un repas qui marque leur départ dans une vie nouvelle.

C’est encore ce qui se passe avec le repas de la Pâque dont nous faisons mémoire ce soir. Dans un banquet d’Astérix, Jésus se serait retrouvé bien seul. Qui parmi les apôtres aurait été jugé digne d’y participer ? Judas, lui il aurait été éjecté tout de suite puisqu’il va vendre Jésus pour 30 pièces d’argent et le trahir en lui donnant un baiser. Pierre ne suivrait pas de très loin, lui qui va proclamer par 3 fois qu’il ne connaît pas cet homme. Et tous les autres qui, par peur, vont lâcher Jésus les uns après les autres, le laissant seul pour affronter cette mort ignoble qui se profile. Vous allez me dire qu’il pourrait y avoir Jean quand même qui sauve la mise puisqu’il est présent à la croix avec Marie et quelques femmes. Oui, mais Jean, à Gethsémani, alors que Jésus vient de dire à ces 3 apôtres qu’il a choisis pour le suivre de plus près combien il a besoin de leur soutien, Jean, comme les autres s’endort et laisse Jésus dans une grande solitude.

Eh bien, c’est avec ces 12 hommes pas très brillants que Jésus va prendre le repas de la Pâque, ce repas d’adieu au cours duquel il institue l’Eucharistie. Ces 12 apôtres, il les avait choisis entre tous. Quand on lit l’évangile avec attention, on voit bien que c’est avec eux qu’il passe le plus clair de son temps. Vous imaginez un peu ce qu’il peut ressentir quand il promène son regard sur chacun de ces hommes ?

Pour les Rameaux, là où je célébrais, j’invitais chacun à essayer de se mettre à la place de Jésus pour voir comment, lui, il aurait réagi. Essayons de faire encore l’exercice ce soir. Vous êtes à la place de Jésus, vous avez vos 12 amis qui sont là. Vous savez que c’est le dernier repas que vous allez partager avec eux et que vous allez entrer dans une succession d’heures toutes plus difficiles les unes que les autres. Et vous savez en même temps qu’il n’y en a pas un sur qui vous pourrez totalement compter, pas un qui sera totalement fiable. Moi, je sais ce que j’aurais fait : j’aurais pris mes clic et mes clac et je serai parti en leur disant haut et fort ce que je pensais de leur prétendue amitié à mon égard.

Evidemment ce n’est pas ce que fait Jésus ! Non seulement, il n’exclut personne de ce repas, pas même Judas, mais il va aller beaucoup plus loin. Il va passer auprès de chacun d’eux pas pour lui donner un ratichon, pour lui laver les pieds, pour prendre soin de chacun de ses disciples, même de Judas. C’est fou ! Pour comprendre un peu mieux le sens de ce geste du lavement des pieds, geste que je vais refaire dans quelques instants, vous lirez le texte de Jean Vanier qui est au dos de la feuille. C’est dommage que trop souvent, on lise l’Évangile sans s’arrêter sur tous les détails parce qu’il y a vraiment de quoi être bouleversé quand on lit l’Évangile sérieusement.

Et ce qui est le plus bouleversant, c’est que ce soir, comme à chaque messe, c’est le même scénario qui se reproduit. Jésus pose le même regard de miséricorde sur nous, Jésus veut prendre soin de chacun de nous comme il a pris soin de chacun de ses apôtres. Il savait que ses apôtres n’étaient pas fiables qu’il serait trahi, renié, abandonné, ça ne l’a pas empêché de les aimer et de les aimer jusqu’au bout comme disait l’évangile ou jusqu’à l’extrême comme dit une autre traduction. Il sait que nous ne sommes pas fiables que, nous aussi, nous le trahissons, nous le renions, nous l’abandonnons, mais jamais il n’aurait l’idée de nous faire subir le sort réservé à Assurantourix, celui qui fait tache, au contraire !

Nous aussi, nous qui sommes si rarement des chrétiens exemplaires, il nous aime jusqu’à l’extrême en nous conviant à cette eucharistie, en se donnant à nous, en prenant soin de nous. C’est vraiment inouï, il se passe pour nous ce soir ce qu’il s’est passé pour les apôtres, il y a 2000 ans. C’est avec la même miséricorde que Jésus veut s’approcher de nous. D’ailleurs tout à l’heure dans les paroles de la prière eucharistique, la liturgie me demande de rajouter quelques mots qui permettent de comprendre le sens de cette messe si particulière. Je dirai donc : « Au moment d’être livré et d’entrer librement dans sa passion, c’est à dire aujourd’hui. » Vous avez entendu : c’est aujourd’hui que tout cela se passe. La liturgie opère ce miracle de nous rendre contemporain de Jésus. Il se passe à chaque messe ce qui s’est passé au cours du dernier repas de Jésus. C’est pour cela, voyez-vous, que j’ai de plus en plus de difficulté à comprendre ceux qui se disent croyants mais pas pratiquants. Ça me fait aussi de la peine de voir qu’il y a quelques dimanches dans l’année ou certains ont mieux à faire que d’aller à la messe. Ce n’est pas une question d’obligation, ça n’a rien à voir avec ça ! Mais quand tu as compris jusqu’où Jésus a voulu et veut encore t’aimer comment oserais-tu prétendre qu’il y a mieux à faire que d’être présent au repas de l’amour ?

Père Roger Hébert