Vous savez que, avant, dans les familles, on était très attaché au fait que le nom ne s’éteigne jamais. Du coup, le fait de n’avoir que des filles était souvent mal vécu. Il faut dire que c’était surtout vrai de la part des hommes, puisque les femmes, elles, elles avaient déjà perdu le leur au moment du mariage ! Toutefois, un homme qui n’avait que des filles pouvait se consoler si l’un des frères avait eu au moins un garçon et que, du coup, il y avait cette assurance que le nom ne serait pas perdu même si ce n’était pas grâce à lui !
Je crois que Dieu est un peu comme ça, il a très peur que son nom se perde ! Bien sûr, lui ce n’est pas pour les mêmes raisons, parce que, reconnaissons-le, il y a quand même pas mal d’orgueil et beaucoup de machisme dans ce désir de voir un nom perdurer à tout prix. Non, si Dieu ne se résoudra jamais à ce que son nom disparaisse, c’est pour une toute autre raison.
Mais en m’écoutant, peut-être que vous vous demandez ce que c’est que cette histoire du nom de Dieu. Dieu, son nom, c’est Dieu ? Oui, bien sûr, mais il en a un autre, enfin, il en a peut-être plusieurs, mais il y a un nom qui les résume tous. Ce nom si merveilleux, le pape François nous a permis de le découvrir tout au long de cette année spéciale qu’il a voulu pour l’Église. En effet, c’est le 8 décembre 2015, en ouvrant la porte sainte à Rome que le pape nous a fait entrer dans cette année si importante à ses yeux. Cette année spéciale va d’ailleurs bientôt s’achever, ça sera le 20 novembre, en la fête du Christ Roi. Ça ne veut surtout pas dire qu’on fermer cette parenthèse de la miséricorde ! Non, le pape espère que l’élan donné par cette année ne s’arrêtera plus. Et si, à partir de là, on parlera moins de la miséricorde, c’est uniquement parce qu’on en vivra plus.
Avec tout ça, je ne vous ai toujours pas donné le nom de Dieu, ce nom qui résume tous les autres et que le pape nous a fait redécouvrir au cours de cette année ! Eh bien, ce n’est pas compliqué : le nom de Dieu est miséricorde ! Le pape François a même publié un livre dont c’est le titre. Dans ce petit livre, tout simple, comme tout ce qu’il fait, il explique pourquoi il a voulu cette année de la miséricorde et il reprend une déclaration de St Jean-Paul II, car c’est lui, le premier qui avait dit que le nom de Dieu était miséricorde. Il avait expliqué en Pologne que la miséricorde n’est pas, pour Dieu, une qualité parmi tant d’autres, non, la miséricorde, c’est son nom, c’est ce qui le définit le mieux.
Eh bien, de même qu’un père de famille souhaite que le nom de sa famille ne se perde pas, Dieu souhaite que ce nom ne disparaisse pas, qu’il se transmette à toutes les générations. Et c’est pour cela que Jésus, relayant la préoccupation de Dieu, son Père, dit : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. » Vous me direz qu’il dit aussi beaucoup d’autres choses dans l’évangile que nous venons d’entendre. C’est vrai, mais parmi ces petites phrases qu’on appelle des béatitudes, celle-là occupe une place toute particulière. « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » Il y en a 4 autres juste avant et il y en aura 4 autres juste après, c’est à dire que celle-là occupe la place centrale. Quand vous invitez du monde chez vous, la place au centre de la table, vous la réservez à la personne que vous souhaitez honorer.
La béatitude des béatitudes, c’est celle-là : « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. » Puisque nous savons maintenant que le nom de Dieu est miséricorde, je pourrais la traduire ainsi : « Heureux ceux qui portent le nom de Dieu, Dieu se donnera totalement à eux, Dieu sera pour toujours avec eux.»
Mais, rendus à ce point, il est peut-être nécessaire de redéfinir en quelques mots ce qu’est la miséricorde. Car ce mot est finalement un mot qu’on n’utilise jamais dans le langage courant. Or, si c’est la béatitude des béatitudes, il serait judicieux que nous soyons bien au clair avec sa signification. Un jour, j’avais entendu une définition qui m’avait plu, il était dit que dans « miséricorde » il y avait deux mots : misère et corde. Du coup, la miséricorde, c’est Dieu qui nous lance une corde pour nous faire sortir de notre misère. Dans cette perspective, porter le nom de Dieu, ça serait agir comme lui : lancer des cordes à tous ceux qui sont dans la misère pour les sortir de là. A première vue, c’est très beau, très généreux, mais j’ai vite compris les limites d’une telle définition. Car, lorsque vous êtes au fond du trou, vous pouvez ne plus avoir la force de prendre cette corde et de la tenir sans la lâcher pour vous faire remonter. Non ! Quand on est au fond du trou, on espère plutôt que quelqu’un va venir nous chercher, descendre vers nous, nous rassurer en nous montrant que nous ne sommes plus seuls et nous prodiguer des soins de 1° urgence. Ensuite, puisque nous n’avons plus la force de nous laisser tirer, la seule solution, c’est que celui qui est venu nous rejoindre nous porte et nous remonte. Et c’est bien ainsi qu’agit la miséricorde de Dieu.
Comme il est dit à propos des hébreux en Égypte qui n’en peuvent plus, Dieu a vu la misère de son peuple. Dieu a vu tant de ses enfants au fond du trou, épuisés, blessés par les morsures de la vie, les agressions des autres hommes ou payant douloureusement la conséquence de leurs propres choix tordus. Dieu a vu cette misère et il n’a pas envoyé une corde, mais il a envoyé son Fils Jésus. Lui, il venu nous rejoindre, il a pris soin de nous et, tel le bon berger, il a porté sur ses épaules tous ceux qui acceptaient de reconnaître qu’ils ne s’en sortiraient pas seuls. S’il y en a un qui porte le nom de Dieu, c’est bien lui, Jésus, s’il y en a un pour lequel on puisse dire sans se tromper : tel père, tel fils, c’est bien lui !
Mais, heureusement, il n’est pas seul. A sa suite, ils sont nombreux, dans l’histoire, les bienheureux qui portent ce nom de Dieu, le nom de miséricordieux. Ils sont nombreux, ceux qui ont accepté la mission que Dieu leur a confié. Car, rappelons-nous bien, Dieu n’envoie jamais des cordes, mais des femmes et des hommes au cœur miséricordieux pour rejoindre ceux qui sont au fond du trou. Et c’est l’immense foule de ces miséricordieux que nous célébrons aujourd’hui, ceux qu’on appelle les saints.
Alors, mes amis, si nous voulons que le nom de Dieu ne disparaisse pas, à nous de les rejoindre maintenant. Vous avez compris que pour porter le nom de Dieu, il ne suffit pas d’exhiber un certificat de baptême dûment tamponné à toutes les cases ! Il nous faut nous aussi devenir miséricordieux comme Jésus ! Evidemment, être miséricordieux en toute circonstance, ce n’est pas simple, ni pour vous, ni pour moi. C’est bien pour cela que nous venons à la messe. Nous venons recevoir Jésus pour que ce soit lui qui vive en nous. Et, si nous lui laissons de plus en plus de place, on pourra dire de nous ce qu’on disait de lui : tel père, tel fils ! Et ainsi, le nom de Dieu ne disparaîtra jamais, ce nom qui est miséricorde !
Père Roger Hébert