Journal de mission n°4
J’ai donc appris que j’étais un « muzumu » ! C’est ainsi qu’on appelle les blancs. D’ailleurs, au cours de mon voyage à l’intérieur du pays, la semaine dernière, j’ai souvent entendu des enfants crier à notre passage : « muzumu. » Ils étaient tellement étonnés de voir un blanc. Il faut dire que dans certains villages, ils n’en voient jamais et depuis l’instabilité du pays, de toutes façons, il y en a de moins de moins. Pour certains enfants, j’étais le 1° muzumu qu’ils voyaient de leurs yeux. Ce qui est intéressant, c’est de savoir ce que signifie ce mot : muzumu = revenant ! Les premiers blancs qui ont été vus, les gens ont pensé qu’ils étaient des revenants qui avaient séjourné au fond des océans où l’eau les avait délavés ! Dans ces conditions, on peut comprendre qu’ils en avaient peur.
Bilan de la merveilleuse 3° retraite
La 3° retraite s’est terminée hier. C’était la plus belle ! 95 prêtres, et, comme on dit dans le Renouveau, il y avait « une onction » extraordinaire ! Le silence n’a pas été un problème. Alors que dans les autres retraites, il n’y a que quelques prêtres qui sont venus me voir, là je n’ai pas eu une minute, jusqu’au vendredi avant qu’ils ne partent, je devais donner des rendez-vous !
Un prêtre m’a beaucoup touché, c’est le 1° qui est venu dès le lundi matin. Il voulait se confesser pour que son cœur soit totalement disponible pour accueillir ce que le Seigneur allait lui donner dans cette retraite car il voulait que son cœur soir comme une renaissance, une résurrection dans sa vie et son ministère … et ça l’a été ! Evidemment, je dois rester discret dans les confidences qui m’ont été faites, mais je peux dire que j’ai été admiratif de la vérité avec laquelle ils se sont confessés, j’ai versé bien des larmes d’émotion en voyant ce que le Seigneur pouvait opérer sous mes yeux en se servant de moi … et je n’ai pas été le seul, eux aussi souvent ont beaucoup pleuré de repentir, de joie du pardon.
Je vous raconte quatre faits, deux ont été évoqués lors de la soirée partage où chacun était invité à dire une grâce reçue au cours de la retraite. Ils étaient 95 on leur avait demandé d’aller vite pour que ça ne dure pas trop, mais chacun a voulu parler et ce n’était pas une grâce, mais 2, 3 jusqu’à 6 ! Le père du Foyer gentiment a demandé d’accélérer sans toutefois qu’on ne perde de la substance, mais eux ont continué ! Je pensais à ce passage des Actes où Jacques et Jean, les apôtres arrêtés et qu’on propose de relâcher à condition qu’ils ne parlent plus de Jésus et eux répondent, ce n’est pas possible, nous ne pouvons pas ne pas parler ! Eh bien, eux, c’était pareil, ils ne pouvaient pas ne pas parler, ne pas dire tout ce qu’ils avaient à dire ! Nous avons commencé à 8h45 et fini à minuit 15.
Voilà donc ces 4 faits que je retiens.
1/ Un père raconte qu’il est venu me voir, qu’il s’est confessé comme il ne s’était jamais confessé de sa vie (il faut dire que j’avais prévu toute une journée pour nous préparer à la confession !) et que le soir, en se couchant, il a demandé au Seigneur : donne-moi un signe qui me montre clairement que j’ai été libéré de mon péché ! Il se couche et à ce moment-là, il se met à pleurer, mais à pleurer comme ça ne lui était jamais arrivé, à tel point que ses draps en étaient complètement mouillé !
2/ Un autre explique que pour la confession, il avait décidé d’aller voir un prêtre qu’il connaissait bien et il savait qu’il avait des problèmes, il s’est dit : j’irai le voir lui et comme ça il ne me fera pas trop de problèmes, il est comme moi ! Et voilà que j’annonce que je me tiens à disposition de ceux qui veulent ainsi que le père Amand, le père du Foyer. Je vous rappelle que pour la confession, chez eux, quand on a fini le temps de préparation communautaire, ils partent deux par deux et se confessent mutuellement. Quand j’annonce donc que le père Amand sera disponible pour recevoir, il dit qu’il a eu une voix intérieure qui lui disait : surtout ne va pas vers lui, il va être très exigeant. Alors il cherche le prêtre vers qui il voulait aller et ne le trouve pas et à ce moment, il est comme bousculé par le père Amand qui amène deux fauteuils pour confesser. Là il comprend que la 1° voix n’était pas celle du St Esprit, car là il entend distinctement une autre voix qui lui dit : si tu veux que ta vie change, c’est vers lui qu’il faut aller ! Il va y aller et ce qu’il va vivre est très fort ( c’est lui qui nous l’a raconté !) il a beaucoup pleuré. Mais il nous a dit : vous voyez un homme ressuscité, un prêtre ressuscité. J’étais tellement content que je suis allé dans ma chambre pour me changer, j’ai mis mon beau costume (ils amènent beaucoup de vêtements pour une retraite !), ma belle cravate, je voulais qu’au repas tout le monde puisse voir que je n’étais plus le même. Je voulais qu’il y ait un signe extérieur de ce qui s’était passé à l’intérieur et tous ceux qui sont venus me demander : qu’est-ce qui te prend ? Pourquoi tu t’habilles comme ça ? Malgré la règle du silence je leur ai expliqué ce qui s’était passé pour moi ! Et le père Amand m’a expliqué que ce prêtre était connu de tous pour être un drôle de numéro : femmes, alcool, argent ..
3/ Pierre, un jeune prêtre que j’avais rencontré il y a deux ans, qui était en perdition était là, il n’est pas venu me voir et ça m’inquiétait. Je me disais : pourvu qu’il ne soit pas retombé dans la médiocrité et que, à cause de cela, il n’ose pas venir me voir ! Il a témoigné jeudi soir qu’il était allé se confesser chaque jour depuis le début de la retraite parce que chaque enseignement lui révélait tellement son péché, lui révélait à quel point il n’était pas un pasteur selon le cœur du Seigneur qu’il ne pouvait pas faire autrement d’aller se confesser parce qu’il voulait devenir ce prêtre avec un cœur à l’image du cœur du St Curé d’Ars. Et il a même terminé en disant : il est possible que j’aille une 5° fois parce que j’ai encore vu bien des choses !
4/ Enfin, dans le repas final, l’archevêque avait demandé à l’un des vicaires généraux présents de m’adresser le discours de merci. Lors de la 1° retraite, il y avait le vicaire général de Bujumbura et pour cette dernière retraite, il y avait 3 autres vicaires généraux d’autres diocèses. Le doyen de ces vicaires généraux a donc pris la parole devant tout le monde pour dire : ça fait 41 ans que je suis prêtre, mais dans cette retraite j’ai pris conscience que je n’avais pas fait grand chose de bon en 41 ans ! On m’a fait confiance en me donnant de grandes responsabilités, mais je peux dire lucidement que mon ministère n’a pas été fécond à cause de ma médiocrité. Mais avec cette retraite, je prends la résolution et je suis animé du désir que les dernières années de ma vie seront totalement données au Seigneur et à mes frères. Quelle humilité pour ce Vicaire Général qui ose dire cela devant l’archevêque et devant tous ses confrères qui, je crois, l’estimaient beaucoup.
Il y aurait encore tant à dire ! Je regrette de ne pas avoir enregistré tout ce qu’ils ont dit dans la veillée de jeudi soir, non pas pour en retirer un quelconque orgueil mais pour pouvoir encore mieux partager à quel point Dieu est bon et puissant ! C’est sûr qu’en entendant cela, je comprends pourquoi il y a eu tant de combat … le Rwanda …
La commémoration de l’assassinat du 1° premier ministre élu démocratiquement
Au repas de clôture, je mange à côté de l’archevêque. Je l’interroge pour savoir comment s’est passée la messe qu’il a célébrée le matin en présence du Président de la République et de tous les corps constitués.
Ce vendredi était, en effet, un jour chômé qui commémore l’assassinat du prince Louis Rwagasore survenu le 13 octobre 1961. Il a beaucoup œuvré pour l’indépendance du Burundi. Il sera nommé 1° ministre le 29 septembre 1961 et assassiné le 13 octobre suivant ! Il n’aura donc pas vu l’indépendance pour laquelle il aura donné sa vie puisqu’elle sera proclamée le 1° juillet 1962. En me racontant cela, l’archevêque m’explique que cet assassinat marque le début de leurs problèmes : à partir de cette date, ils ont toujours connu un climat politique difficile avec quelques années d’accalmies par ci par là mais jamais une vraie paix durable.
Chaque année, le 13 octobre, c’est donc une fête de la démocratie, l’Etat en a fait un jour chômé avec célébrations de messes officielles dans toutes les cathédrales du pays et plus modestement dans toutes les paroisses.
L’archevêque célébrait donc à la cathédrale avec tout ce beau monde, ce qui, m’avait-il expliqué la dernière fois, est une grande épreuve : comment célébrer un tel événement transformé en fête de la démocratie devant ceux qui ne la respectent pas ?
Il m’a raconté l’homélie qu’il avait faite en me disant que ce que j’avais raconté sur Jonas et sur Jésus qui apprend à prier à ses apôtres dans mes homélies l’avait inspiré ! Il avait donc choisi une 1° lecture tirée du livre de Jonas et l’évangile où Jésus apprend à prier à ses apôtres. Il a fait ce choix car il constate qu’en de nombreux lieux, des responsables politiques sont à l’initiative de prières sur lesquelles il y aurait beaucoup à redire tant pour la forme et le fond. Ceux qui font ces prières n’ont aucun mandat pour les faire et le contenu est très orienté. Je pense que ça se fait plutôt dans les locaux des nombreuses églises évangéliques qui ne sont pas du tout comme chez nous des Eglises ferventes ; là-bas, ce sont comme des sectes souvent acoquinées avec le pouvoir.
Fort de ces textes il a donc expliqué qu’il ne suffisait pas de faire des prières pour prier : les apôtres faisaient des prières (comme tous les juifs) et pourtant, ils disent à Jésus : apprends-nous à prier. Nous pouvons donc dire des prières, a-t-il expliqué, qui ne sont encore de vraies prières. Il y a d’ailleurs bien des prières qui ne sont pas agréées par Dieu. Quand Jonas réclame auprès de Dieu que Ninive soit détruite, il n’écoute pas cette prière ! Quand Jacques et Jean demandent à Jésus que le feu du ciel détruise un village qui a refusé de les accueillir, Jésus n’exauce pas cette prière. Il ne suffit pas de dire des prières pour prier et ce n’est pas parce qu’on demande quelque chose à Dieu qu’il nous exauce, certaines demandes sont mauvaises.
Il m’a dit j’espère qu’ils ont bien compris ce que je voulais dire ! Il a d’ailleurs rajouté que, le plus sûr était de participer à des prières qui sont conduites par des personnes qui sont mandatées par leurs Églises pour les organiser, les diriger.
Il a terminé en évoquant les 500 ans de la Réforme protestante. Il savait qu’il y avait beaucoup de personnes protestantes, mais donc avec un certain nombre de ces pseudo-Églises, dont la femme du président qui est pasteure d’une de ces Églises. Il a souligné que cette journée était célébrée par des chrétiens qui font beaucoup d’efforts, en dehors de la politique, pour arriver à se comprendre en respectant leurs différences. Les chrétiens reconnaissent qu’ils ont vécu des événements douloureux qui les ont profondément séparé, mais maintenant, ils cherchent comment ils peuvent se respecter, marcher ensemble. Il a souhaité que le pays prenne modèle sur l’œcuménisme pour construire un avenir dans lequel nous ne serons jamais tous d’accord mais qui nous permettra de vivre ensemble en nous respectant et en reconnaissant que ce qui nous unit est plus important que ce qui nous sépare.
A la fin du repas, l’archevêque m’offre deux cadeaux :
• Un tambourinaire, symbole du Burundi. Le tambour du Burundi vient d’être inscrit au patrimoine culturel mondial par l’UNESCO
• Un joli cadre avec 3 petites corbeilles. Ces corbeilles sont très importantes au Burundi, il y en a de toutes les tailles, mais elles ont toujours la même forme. Elles sont utilisées dans les églises pour mettre les intentions de prière des gens, dans les maisons pour ranger les bijoux et tout ce qui a de la valeur … Il m’a demandé de transmettre ce cadre à Ars pour remercier le sanctuaire d’avoir permis à la relique du cœur du curé d’Ars de venir jusqu’ici. Ils nous ont confié ce qu’ils avaient de plus précieux avec le cœur du St Curé, nous leur offrons ce symbole de tout ce qui est précieux pour nous.
Voyage à Burasira
Après le repas, sieste rapide (20mn) préparation de la valise et départ pour Burasira au Nord du pays à 4h de route de Bujumbura. Nous allons visiter le grand séminaire de philosophie. La semaine dernière, j’ai visité, avec la relique, les deux grands séminaires de théologie, plutôt au Sud, il reste les deux grands séminaires de philosophie. Le père Amand vient avec moi et conduit, l’abbé Deo Gratias nous accompagne. Deo Gratias est un nom courant, il donné à ceux dont la naissance s’est fait désirée, alors quand la grossesse puis la naissance arrivent enfin, on dit : Deo Gratias ! … et l’enfant s’appellera ainsi ! C’est lui qui a organisé la tournée dans les séminaires. Nous emmenons deux prêtres qui profitent de la voiture pour rejoindre leur lieu de mission après la retraite. Nous déposons le 1° à une cinquantaine de kilomètres, le long de la route, il attendra qu’une moto-taxi passe pour se faire emmener jusqu’à sa paroisse à une dizaine de kilomètres par une piste. Comme il est très fort et qu’en plus il a une valise, le père Amand souhaite bon courage au pilote de la moto !
L’autre père est le père d’un autre Foyer de Charité, il y en a 4 au Burundi, après la France, c’est dans ce petit pays qu’il y en a le plus ! Les évêques aiment les Foyers de Charité et leur font confiance. Il faut dire aussi que l’un des évêques a été le 1° père du Foyer de Bujumbura. Nous nous arrêtons ½ heure au Foyer, il a passé un coup de fil pour prévenir que je venais avec la relique et qu’il fallait prévenir les amis du Foyer pour vivre un temps de prière. Certains sont venus de plus de 20 km pour ce petit temps de prière au cours duquel je présente toujours les grandes lignes de la vie du curé d’Ars.
Nous continuons la route dans la nuit. Je me demande comment fait le père Amand pour conduire dans ces conditions ! Beaucoup conduisent en plein phare et ne les baissent jamais malgré les appels de phare, il y a toujours ces vélos, piétons, les camions qu’on double sans visibilité … moi, je ne vois rien ! C’est vrai que je dois me faire opérer de la cataracte en rentrant, mais ça n’explique pas tout ! Je comprends pourquoi dès qu’on monte dans une voiture, systématiquement, on prie pour que le voyage se passe bien et on implore la protection de nos anges gardiens !
Nous arrivons au séminaire vers 20h30, nous sommes accueillis par le supérieur, un prêtre très sympa, installation dans les chambres, apéritif, repas avec l’équipe des pères du séminaire, une belle équipe … et dodo. Le matin réveil à 4h45 car ils m’ont demandé de prêcher à la messe de 7h, il faut que j’ai le temps de préparer ! Il y a plus de 150 séminaristes et les premières années de philo ne sont encore pas arrivés car il faut attendre les résultats du bac qui ne sont toujours pas là … il faut le bac pour rentrer au séminaire de philo.
A 7h messe avec de très beaux chants : 150 séminaristes qui chantent de tout leur cœur, c’est beau, l’un d’entre eux fait le chef de chœur et les remue ! Je suis toujours étonné, ils chantent plein de vieux chants que nous ne chantons plus (par exemple le Notre Père de Raymond Fau ou allez vous en sur les places …) mais ils y mettent plusieurs voix, des contre-chants et un rythme africain, ce qui fait que c’est magnifique !
9h, conférence pour les séminaristes et les pères du séminaire. Ils me donnent une trente avec trente minutes de questions. Le père Amand me dit : plus tu parles du curé d’Ars et plus j’ai l’impression que tu l’as juste quitté avant de venir ! C’est vrai que je suis de plus en plus habité par ce que je dis à tel point que je ne peux plus parler de sa mort sans être pris par une émotion profonde. Au cours des questions, un séminariste intervient pour demander au supérieur de récupérer le texte de ma conférence afin qu’il puisse la redonner un jour parce qu’il veut être sûr de ne pas avoir laissé passer quelque chose d’important !
Ce temps est suivi d’un temps à la chapelle pour la vénération de la relique. A chaque fois, j’explique bien que nous n’adorons que le Saint Sacrement, mais que là, nous demandons l’intercession du St Curé d’Ars pour que notre cœur devienne semblable au sien. Comme je leur ai expliqué tous les obstacles au cours de la formation de Jean-Marie Vianney et que je sais que la philo est bien compliquée pour un grand nombre, je les invite à demander l’intercession du Saint curé pour qu’ils ne se découragent pas devant les obstacles. Je crois que ça leur parle bien !
Apéritif et repas avec l’équipe des pères qui est vraiment très très sympa, nous rigolons beaucoup tout en échangeant très sérieusement. Vraiment cet accueil est bien plus sympa que la semaine dernière dans les deux séminaires de théologie !
Nous reprenons la route après le repas, vers 14h30 après pas mal de photos. Au bout d’une bonne heure de route, nous nous arrêtons dans le 4° Foyer de charité que nous n’avions encore pas visité vers Gitega (2° ville du pays). Là encore, ils avaient organisé un temps de prière avec des des jeunes lycéennes qui étaient de passage au Foyer. En allant boire un café avec la communauté, la responsable m’explique qu’elle est allée à Ars l’année dernière et qu’elle a supplié le saint Curé d’intercéder pour eux. En effet, leur Foyer n’avait pas de Père depuis plusieurs années, ce qui est une situation bien compliquée et il y en a un qui a été nommé, il y a un ou deux mois. Elle me dit en le montrant qui parlait avec le père Amand : il est le fruit de l’intercession du Saint curé d’Ars, alors que son cœur puisse venir chez nous, c’est merveilleux !
Nous reprenons la route. Avant d’arriver à Bujumbura, il y a une très grande descente, je ne sais pas, peut-être 30 ou 40 km de descente ! Il faudrait encore parler de tous les dangers d’autant plus qu’il a bien plu, il y a donc régulièrement des coulées de boue et la route est en travaux (je ne suis pas sûr que les travaux avancent, mais elle est défoncée, ça c’est sûr, avec des passages à une voie où il faut s’engager même si on voit quelqu’un en face. De très nombreux camions très chargés et pas de la 1° jeunesse empruntent cette route et, dans la descente, ils roulent très doucement, j’imagine qu’ils ont peur que leurs freins lâchent. Il faut donc sans arrêt les doubler et il peut y avoir 3 semi-remorques de suite, de la pluie, pas de visibilité, les travaux, la boue … heureusement, dans cette descente, on est en train de prier le chapelet !
Nous nous arrêtons dans cette descente, il y a plein de paysans le long de la route qui vendent leurs produits. Ce sont donc des produits très frais et souvent pas très chers … mais il faut négocier. D’ailleurs le père Amand n’achète rien à son 1° arrêt ! Il s’arrête 100 mètres plus loin et va acheter des avocats, des bananes … et surtout du maïs à faire griller, les membres du Foyer aiment beaucoup ça. Quand nous les mangeons le soir, elles me disent : quand on pense que chez vous, vous donnez ça aux animaux et que chez nous, c’est une nourriture si précieuse que nous apprécions tant !
Nous déposons l’abbé Deo Gratias à la cathédrale où il est vicaire, il m’invite à manger, au nom de son curé (que j’ai vu a la 2° retraite et avec qui j’avais bien parlé après le repas final) pour mardi midi. Retour au Foyer, joie des retrouvailles, c’est toujours touchant de voir leur joie de nous retrouver … moi aussi je suis heureux de retrouver cette communauté que j’apprécie tant ! Repas et Dodo mais encore lever à 4h45 car le père Amand veut que je prêche à la messe, il faut donc préparer !
Dimanche de repos !
Office à 7h le matin petit déjeuner et messe suivie d’un temps totalement libre jusqu’au repas à 13h … ça fait longtemps que ça ne m’était pas arrivé ! J’en profite pour écrire ces pages !
Au repas de midi, les membres du Foyer me demandent de leur faire une conférence sur le curé d’Ars : vous en avez parlé à tout le monde, sauf à nous ! C’est vrai et il faut réparer cette injustice … même si à chaque homélie que j’ai faite, j’ai parlé de lui ! Rendez-vous est pris pour 18h30.
Auparavant après-midi de libre jusqu’à 17h … j’en profite pour terminer cette rédaction du journal n°4 me préparant à une visite à 17h de la fille de paroissiens de Bellegarde qui vit et travaille à Bujumbura. J’ai bien des questions à lui poser sur la manière de vivre en tant qu’expatriée dans un pays comme le Burundi.
Comment se prépare et se vit un mariage
Je profite du long voyage en voiture au retour de Burasira pour demander au ère Amand qu’il m’explique quelques coutumes du pays. On commence par le mariage, c’est délicieux !
Quand un garçon a repéré une fille qui lui plait et qu’il le lui a dit, il va devoir aller dans sa famille pour demander sa main. Alors se déroule un rituel bien établi ! Il vient avec des cadeaux dont une jarre de bière de banane et demande leur fille. Le père répond systématiquement : chez nous, ça ne sera pas possible, nous n’avons pas de fille (même s’ils en ont plusieurs) ou alors elle est bien trop jeune (même si ce n’est pas vrai !) mais tu as bien fait de venir chez nous parce que nous connaissons des voisins qui seraient sûrement très contents de t’accorder une de leurs filles. Reviens nous voir prochainement avec des cadeaux et nous te donnerons leur réponse ! Le garçon revient 15 jours après avec des cadeaux et une nouvelle jarre de bière ! Le père dit : les voisins à qui nous avions pensé ne sont pas d’accord, mais nous en connaissons d’autres et nous allons les contacter, reviens nous voir ! Et il peut y avoir six rencontres comme celle-là, avec à chaque fois cadeaux et jarre de bière jusqu’à ce que le père accepte de donner sa propre fille ! Il faut quand même arrêter un jour car le père devra offrir le jour du mariage aux parents du garçon autant de jarres de bière qu’il a reçues plus une !
Vient ensuite la question de la dote. C’est le garçon qui paie la dote à la famille de la fille. Chez les paysans, c’est une ou deux vaches selon les cas ; mais en fait le montant de la dote montre l’estime que le garçon a pour celle qu’il choisit. Il serait donc inconvenant qu’un garçon cherche à s’en tirer à bon prix ! Pour une jeune femme qui est fonctionnaire, en ville, ça sera une somme d’argent parfois conséquente, ça peut aller jusqu’à 3000 dollars. Il faut donc que le garçon travaille beaucoup et qu’il emprunte souvent pour réunir cette somme. En plus, le mariage ne sera possible que si le garçon a trouvé un logement pour le couple. En ville, ce n’est pas simple, à la campagne quand le fils parle de son projet à son père, le père lui donne un lopin de terre sur lequel, bien souvent, il va construire lui-même une petite maison. C’est donc la fille qui part de chez elle pour aller dans la famille du garçon et c’est pour cela que le garçon paie la famille de la fille qui va perdre des bras précieux. Je pensais que, du coup, les parents préféraient avoir une fille plutôt qu’un garçon. Ce n’est pas le cas ! En effet, la dote, ne coûte pas trop aux parents du garçon, c’est leur fils qui doit assumer. Par contre les parents du garçon sont sûrs de garder leur fils à proximité, ce qui est une sécurité pour eux quand ils vont vieillir alors que les parents de la fille, s’ils empochent la dote n’auront plus d’aide pour le travail ni pour leurs vieux jours.
Le jour du mariage, il y a une fête qui réunit les familles, les amis, les voisins, mais si j’ai bien compris, les parents de la fille ne participent pas, il n’y a que les frères et sœurs … à moins que ce ne soit l’inverse ! Tout le monde amène quelque chose : à manger, bière de banane … et le mariage est considéré comme un beau mariage si les invités n’arrivent pas à tout manger ni boire ! Sachant que le lendemain, la fête continue, c’est le « lever de voile » En effet, le mariage a été consommé et là, on le fête largement autant que la veille. Avec une coutume particulière, le garçon va offrir une jarre de bière à la famille de la fille dans laquelle il y a signe conventionnel qui permet aux parents de savoir si leur fille était vierge ou pas. Si elle ne l’était pas, c’est une honte pour leur famille car tout le monde le saura. Evidemment, on ne se préoccupe pas de savoir si c’était le cas du garçon ! Le père Amand m’explique que dans d’autres pays d’Afrique, cette question de la virginité est au contraire un obstacle au mariage. Les jeunes ne veulent se marier qu’avec une fille qui a déjà un enfant d’eux ou de quelqu’un d’autre, peu importe, mais au moins, ils sont sûrs qu’elle est féconde.
Comment se vit le deuil ?
Quand une personne meurt, elle est enterrée le plus vite possible, dans la journée, c’est ce qu’il y a de mieux. En effet, au moins à la campagne, il n’y a pas de morgue. Alors peu de monde peut participer aux funérailles, pas facile de prévenir, de se libérer, de venir … Suit une période de deuil : autour de 5 jours (en fait, ça dépend si c’est un homme, une femme, un enfant, je ne me rappelle plus les détails mais c’est autour de 5 jours). Pendant ces jours de deuil, les gens vont venir voir le mari, la femme du défunt, qu’il s’agisse de la famille, des amis, des voisins. Ils viennent, ils s’assoient, mangent, boivent, évoquent des souvenirs … Au terme de ce temps légal de deuil aura lieu la levée partielle du deuil qui met fin, en grande partie, à toutes ces visites. Suivra un long temps d’une année au cours de laquelle, la famille va régler les affaires. Les gens ont un an pour venir voir la famille et expliquer que le défunt avait promis ceci ou cela ou devait de l’argent …. Toutes les demandes sont examinées, parfois l’époux, l’épouse est au courant et s’engage à régler cela, d’autres fois ce n’est pas le cas, il faudra que le plaignant apporte des preuves sûres. Et, au terme de cette année, il y aura une cérémonie de lever totale de deuil, plus personne ne peut rien réclamer !
J’ai compris que la situation des veuves était compliquée. Certes, elle hérite systématiquement des biens de son mari, mais il n’est plus là pour travailler, ni pour la protéger … même s’il la battait quand il rentrait saoul du cabaret !
L’alcoolisme est un vrai problème dans ce pays. Je m’en suis rendu compte quand je parlais de la lutte acharnée du curé d’Ars pour faire fermer les cabarets d’Ars. J’expliquais qu’il y avait trois raisons qui peuvent expliquer sa lutte : les hommes dépensaient le peu d’argent qu’ils gagnaient et la famille était dans le besoin, ils buvaient un mauvais vin qui ruinait leur santé, ils rentraient saoul et battaient leurs femmes et criaient sur les enfants minant l’atmosphère familiale. Quand j’ai expliqué cela devant des laïcs, on m’a dit que les femmes présentes disaient : ah s’il pouvait revenir chez nous !