Pour méditer: L’octave de Pâque et le temps Pascal

L’Octave en général. 

L’Octave, c’est une durée de temps qui compte huit jours. Il y a donc octave d’un dimanche au dimanche suivant, d’un lundi au lundi suivant, etc. Ce chiffre huit inclus dans le sens du mot octave est indiqué par la racine octo d’origine latine. L’ajout du suffixe qui donne octave en fait l’adjectif numéral ordinal latin qui signifie huitième

En liturgie, l’Octave, ce sont les huit jours qui séparent une solennité au jour où elle est célébrée du jour homonyme qui vient immédiatement après elle. Cet intervalle de temps se caractérise par une certaine prolongation de l’ambiance de la solennité dans les célébrations quotidiennes. Tout se passe comme si la solennité vous élevait à un sommet où vous vous maintenez un bon moment avant de commencer à descendre graduellement pour sombrer avec souplesse dans le quotidien. 

Si le terme octave donne lieu à un compte de huit jours, il est toutefois permis de considérer l’octave comme recouvrant la durée d’une semaine. Vous me direz certainement qu’une semaine compte sept jours et non huit. Cela est vrai, mais ce qui est sûr, c’est que l’octave, comptant huit jours, recouvre bien les sept de la semaine et y ajoute seulement un de clôture. Mais au total, c’est ce même ajout qui fait que l’octave détermine sept intervalles entre ses extrêmes, en sorte que l’octave, tout en conservant sa connotation de huitaine, renvoie à l’entité hebdomadaire de sept jours. Cela nous autorise à prendre l’octave comme déterminant dans ses extrêmes l’intervalle d’une semaine et renvoyant au chiffre sept qui, dans la Bible, se revêt d’une très grande richesse symbolique. 

Le symbolisme en question reste à décoder, et c’est à cela que nous procéderons maintenant. 

Le chiffre sept, c’est la somme de trois et de quatre. Pour les prendre un à un, le nombre trois est celui de la divinité, celui du Dieu invisible qui communique avec les hommes par sa Parole, son Esprit et sa Sagesse. Cette même divinité, dans la Révélation chrétienne, s’identifie aux trois Personnes de la Très Sainte Trinité. Quatre de son côté, est symbolique de la création, en raison des quatre points cardinaux qui quadrillent le paysage terrestre

On comprend alors que sept qui fait la somme de trois et de quatre, symbolise la rencontre des deux réalités existantes, c’est-à-dire, la divinité (symbolisée par le chiffre trois) et l’homme, être de la terre (la terre étant symbolisée par le chiffre quatre). Sept symbolise alors la complétude. Et comme cette rencontre entre Dieu et l’homme aboutit à l’Alliance, le chiffre sept sera aussi le chiffre de l’Alliance. Or, à cause de la présence de Dieu comme partenaire, une telle rencontre d’alliance ne peut qu’être marquée par une parfaite intimité. Le chiffre sept sera donc le chiffre de la perfection. A tout cela, il faut ajouter que la semaine avec son chiffre sept coïncide avec la durée de la création (six jours de travail et un jour de repos). Si la Bible présente la création en sept jours, c’est que là, le chiffre sept représente la divinité à l’œuvre pour faire être la totalité de l’univers matériel et la totalité de l’histoire, en sorte que le premier jour sera le début de l’histoire, et le septième le dernier ou les derniers temps. Ces considérations comportent de lourdes conséquences quand il s’agira de les appliquer au cas ponctuel de l’Octave de Pâque et à celui du Temps Pascal.

 

L’Octave de Pâque.

En considérant le contenu de livres anciens, on s’aperçoit que ce n’est pas seulement Pâque qui comportait une octave, mais aussi un certain nombre de solennités. De nos jours, la liturgie catholique moderne choisit de doter deux solennités d’Octave, la solennité de la Nativité du Seigneur et celle de la Résurrection du Christ. Dans les deux cas, elle entend faire prolonger le contenu desdites solennités sept jours après le premier jour. Nous allons maintenant nous intéresser au cas particulier de Pâque.

L’Octave de Pâque, c’est donc la semaine qui compte Pâque comme premier jour et comme dernier jour le dimanche après Pâque, celui appelé aussi Quasimodo. Concrètement, la liturgie, dans l’intervalle de cette Octave, entend faire de chacun des jours un jour de Pâque bis. La messe comporte le Gloria, et la prière des heures reprend invariablement les psaumes et les antiennes des laudes et des vêpres de Pâque. L’idée est de répercuter la solennité de la Résurrection sur toute la semaine. Depuis que la Tradition commence à placer idéalement dans la Veillée pascale la célébration des baptêmes (d’adultes), l’Octave de Pâque représente la durée au cours de laquelle les nouveau-baptisés étendent sur une semaine la joie d’être renés dans le Christ, et manifestent cette joie en adoptant tout ce temps l’habit blanc qu’ils avaient porté le jour de leur baptême. En outre, pour laisser l’attention se concentrer sur la Résurrection du Christ, la liturgie dégage l’Octave de toutes autres formes de fête et solennité. C’est pourquoi, quand il arrive, par exemple, que la solennité de l’Annonciation (25 mars), tombe dans l’Octave de Pâque, on en rejette la célébration au lundi de la deuxième semaine de Pâque. 

Après avoir ainsi déterminé l’octave de Pâque, il resterait à en approfondir la signification. Dans le cadre de l’Octave de Pâque, nous voulons nous renvoyer au chiffre sept qui est celui de la semaine. Selon le symbolisme que nous venons d’exposer plus haut, Pâque apparaîtrait comme le premier jour de la nouvelle création, et la semaine de l’octave serait celle de la nouvelle création. Nous devinons aisément d’où vient la nécessité d’une nouvelle création ! Ce qui a rendu l’autre vieille, ce n’est pas le temps, mais le désordre introduit par la désobéissance de l’homme et la sanction qui s’ensuivit. Pâque se présente alors comme le  triomphe du pardon de Dieu sur le péché et le rétablissement de l’ancien ordre dans un ordre nouveau. Pâque s’agencerait au premier ordre comme le dernier jour de celui-ci et s’imposerait comme le premier jour du nouvel ordre. Or, ce nouvel ordre, comme tel, est le dernier, donc Pâque annonce les derniers temps, c’est le premier jour des derniers temps, ou, pour citer le poète, la première clarté de mon dernier soleil. Cela laisse entendre que la Résurrection du Christ indique le début des temps nouveaux, et si ces temps sont les derniers, c’est que rien de nouveau ne se passe après Pâque, et que celle-ci représente en même temps la fin des temps et la réalisation de tout. De fait, quand Dieu donne son Fils Unique, il n’a plus rien à donner à l’humanité, et quand ce Fils meurt et ressuscite, aucun autre événement nouveau n’est attendu sur la terre, à part le jugement dernier. De fait, les premiers chrétiens ont compris ainsi le contenu du kérygme apostolique proclamant la Morte et la Résurrection du Christ (cf. Ac 2, 22-24 ; 3, 13-15 ; 4, 10 ; 10, 39-41). C’est cette compréhension qui a subi une certaine déformation dans la communauté de Thessalonique pour que l’Apôtre des Nations la redresse énergiquement (cf. 2 Th 2). Avec Pâque, Dieu entre dans son repos et y entraîne l’homme en lui faisant connaître les derniers temps. L’Octave de Pâque prend en son compte cette signification pascale de premier et de dernier jour et entend déterminer par les sept jours inclus dans ses extrêmes, la totalité de la Création et la totalité de l’histoire portées désormais à leur terme par la Morte et la Résurrection du Christ. L’Octave, ce sont donc les sept jours de la nouvelle création, et dans ses extrêmes, elle inclut l’espace et le temps rachetés par le Christ dans son Mystère pascal.

Tout cela explique le cri de triomphe que pousse le célébrant à la fin de la messe de Pâque, dans la formule de la Bénédiction solennelle: « Ils sont finis les jours de la Passion ». Toutefois, au dernier jour de l’Octave, on ne dit pas : « Ils sont finis les jours de la Résurrection », car la fin de l’Octave ne ferme pas la Solennité pascale, mais celle-ci se poursuit dans la période liturgique appelée le Temps Pascal.

 

LE TEMPS PASCAL

 

Introduction 

Avant d’être pascal, ce temps est l’un des temps forts de l’Année liturgique, et il serait bon, pour ce début, de le situer dans le contexte des autres temps.

En considérant la séquence des Temps dans l’Année liturgique, force est de constater que le Temps pascal est le dernier Temps fort. Mais par-delà cette séquence, il serait intéressant aussi de saisir ces temps liturgiques par rapport à la logique de leur contenu. Le Temps de l’Avent nous met en attente du Sauveur, c’est le temps du désir, et le désir est une souffrance. Voilà pourquoi ce temps est marqué par le port de l’ornement liturgique violet et l’absence du Gloria à la messe. La satisfaction du désir survient avec la Nativité du Seigneur et la gaîté éclate dans les ornements blancs et le Gloria retrouvé. Mais une fois né, le Sauveur doit grandir, et pendant ce temps, nous voulons entrer dans le mouvement de sa Rédemption en jouant le rôle qui nous est propre à nous les pécheurs, le rôle de repentance et de conversion des cœurs, et pour cela, nous engageons le Temps du Carême, caractérisé par le retour de l’ornement violet et la suppression du Gloria et de l’Alléluia à la messe et à la Prière des Heures. Puisque l’homme ne peut pas se sauver lui-même, son salut ne pourra devenir effectif que quand Dieu jouera sa part dans la Mort et la Résurrection de son Fils, et de nouveau la joie éclatera, définitivement. L’ornement blanc marquera le paysage du Temps pascal, avec le rétablissement du Gloria et plus que jamais de l’Alléluia.

Nous voilà situés dans la chronologie et la logique du Temps pascal sur lequel nous nous pencherons maintenant pour en déterminer l’extension dans le temps, l’ambiance spirituelle et la signification théologique (eschatologique).

 

L’extension dans le temps. Le Temps pascal, ce sont les sept semaines qui séparent Pâque de la Pentecôte. Ce temps s’impose comme le seul qui coïncide exactement avec le vécu réel de l’histoire. Pour le comparer aux autres de ce point de vue, le Temps de l’Avent, avec ses quatre semaines, représente la longue attente de l’humanité, l’attente du Sauveur ; le Temps de Noël marque l’événement de la Nativité du Seigneur, mais sa durée d’un peu plus de deux semaines n’entend pas recouvrir matériellement toute l’enfance de Jésus ; les quarante jours du Carême se trouvent aussi revêtus de symbole : l’humanité traverse le désert quarésimal à la suite de son Seigneur, dans l’esprit de conversion et de pénitence pour obtenir le pardon de ses péchés. Seul le Temps pascal s’étend sur le temps réel qui s’est déroulé entre la Résurrection et la Pentecôte, en cette année de la Rédemption opérée par Jésus-Christ. Même si des commentateurs de l’Evangile inventent l’expression Pentecôte johannique en partant de Jn 20, 22 (Jésus souffla sur eux et leur dit : ‘’recevez l’Esprit Saint…’’), nous voulons privilégier la chronologie lucanienne dans les Actes des Apôtres (cf. Ac 2, 1) pour dire que l’Esprit Saint est descendu sur les Apôtres le jour de la Pentecôte, cinquante jours après la Résurrection, dernier jour du Temps pascal.

Ainsi établie, l’étendue du Temps pascal couvre logiquement les quarante jours entre la Résurrection et l’Ascension du Seigneur, sans oublier, bien sûr, l’Octave de Pâque.

 

L’ambiance liturgique et spirituelle du Temps pascal.

Si le temps liturgique en question porte le qualificatif de pascal, c’est que l’accent qui le caractérise porte sur le Mystère de la Mort et de la Résurrection du Christ comme événements de notre foi. En ce qui concerne le choix des lectures pour animer ce Temps, la Liturgie éprouve de grosses difficultés parce que les Evangiles ne sont pas prolifiques en relations de faits post-résurrectionnels. Cela se comprend bien car la Résurrection a lieu dans le Mystère, elle est elle-même Mystère. Or, le Mystère ne se raconte pas, il se médite et se vit. Cela ne prive cependant pas le Temps pascal de lectures significatives car si, à part les apparitions et les quelques rares paroles qui les accompagnent, Jésus Ressuscité n’est plus le sujet direct de nombreux faits, gestes et paroles, il se trouve bien à la source de paroles qui, dans la continuité avec l’Ancien Testament, sont annonciatrices de son Mystère Pascal. De plus, après sa Mort, son Paraclet désormais prend le relai et contribue à enraciner le Mystère de la Mort et de la Résurrection du Christ dans le cœur des disciples et dans l’Eglise naissante. Voilà pourquoi en cette période, la liturgie nous propose les récits des apparitions du Ressuscité et l’œuvre merveilleuse du Saint-Esprit dans la fondation et l’enracinement social et historique de la communauté de Jésus.

Par-delà la communauté, ce sont nos personnes, notre foi et nos communautés d’aujourd’hui et de tout temps que ce Temps pascal entend bâtir et rebâtir en nous rappelant les merveilles des origines, en sorte que ce n’est pas seulement une ambiance liturgique que ce temps entend créer en nous, mais aussi une spiritualité de ressuscités, de génération en génération. Pour notre vie de chrétiens, nous n’avons pas d’alternative : nous vivons en ressuscités ou nous ne sommes pas des disciples du Christ !  C’est justement ce que le Temps pascal nous aide à ne pas oublier de si tôt.

 

Symbolisme du Temps pascal.

Il resterait maintenant à faire remarquer que si le Temps pascal fait si littéralement corps avec l’histoire et l’historicité, il n’est pourtant pas dépourvu de symbolisme. Impliqué comme il est dans le Mystère de la Mort et de la Résurrection du Christ, il ne faut pas l’imaginer comme un temps prosaïque dont la narration historique épuise la signification. 

Tout en s’identifiant à une période historique vécue, le Temps pascal se trouve lui aussi profondément impliqué dans le symbolisme du chiffre sept. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer que ce Temps liturgique est dit pascal. Or, le Mystère pascal se vit dans un au-delà des mots, et cet au-delà des mots se décode dans le symbolisme du chiffre sept constitutif de l’identité du Temps pascal, comme il l’est aussi de l’octave de Pâque. 

On se souvient que l’octave de Pâque détermine l’intervalle d’une semaine et qu’une semaine vaut sept jours. Or, la durée historique du Temps pascal est de quarante-neuf jours, c’est-à-dire sept fois sept. Clairement on ne sort pas des griffes du chiffre sept qui, dans le contexte du Temps pascal, se trouve élevé au carré. En passant donc de l’octave au Temps pascal, on passe du compte des jours au compte des semaines. En effet, les huit jours de l’octave déterminent l’intervalle d’une semaine de sept jours, et le Temps pascal compte sept semaines en quarante-neuf jours. Comme sept jours composent une semaine, ainsi sept semaines composent le Temps pascal. Celui-ci vaut sept fois les sept jours de la semaine de l’octave. Si l’on prend ces sept semaines du Temps pascal comme une seule entité, on peut dire que le Temps pascal est une semaine, faite non de jours, mais de semaines, et donc une semaine de semaines. Sur la base du chiffre sept, on perçoit le rapport entre l’octave et le Temps pascal. Tout laisse entendre que celui-ci est un septénaire de semaines. L’essence commune du chiffre sept tant dans la composition de la semaine que dans la composition du Temps pascal amène logiquement à imaginer une même signification symbolique tant à l’octave qu’au temps pascal. Il ne resterait plus qu’à rappeler le symbolisme du chiffre sept pour l’appliquer et à l’octave et au Temps pascal en recourant, non pas à une alchimie de nombres, comme les Pythagoriciens anciens, mais à la stricte Tradition biblique.

Dans l’exposé précédent, j’avais montré que le chiffre sept est celui de la création du monde et symbolise le premier et le dernier jour, c’est-à-dire la totalité du créé et de l’histoire. C’est le chiffre de la complétude et de la perfection. En appliquant cette signification à l’octave de Pâque, elle fait apparaître l’octave comme la semaine de la nouvelle création et la Pâque elle-même comme le premier et le dernier jour de cette  nouvelle création. 

En l’appliquant au Temps pascal ; on ne peut s’empêcher de retrouver la même signification, avec cet autre élément que le Temps pascal dure sept jours au carré. Dans le symbolisme biblique des nombres, un chiffre parfait comme sept (ou douze) élevé au carré, marque une grande intensité dans la perfection indiquée déjà dans la racine du carré. 

C’est dire qu’à son tour, la durée du Temps pascal, à l’instar de celle de l’Octave, détermine le premier et le dernier jour du monde, c’est-à-dire, un intervalle qui voit se jouer en lui, avec une intensité redoublée, tout le drame du cosmos et de l’histoire. Et c’est la Pâque de Jésus qui confère tant à l’Octave qu’au Temps pascal la valeur symbolique de début et de fin de l’histoire, de premier jour et de derniers temps. C’est cette même signification qui se trouve exprimée autant dans le chiffre de l’octave, de la semaine, et dans celui de sept au carré, c’est-à-dire, d’une semaine de semaines qu’on appelle Temps pascal.

Le Temps pascal à son tour se comporte un peu comme la semaine et l’Octave, comme nous l’avons vu en étudiant l’Octave de Pâque. A ses quarante-neuf jours, il faut nécessairement ajouter un jour de clôture, ce qui amène le Temps pascal à se terminer cinquante jours après Pâque, au jour de la Pentecôte. Cette dernière solennité appelée Pentecôte est une entité à part sur laquelle je proposerai des considérations très prochainement.

 

Conclusion.

Pas plus qu’on ne dit à la conclusion de l’Octave de Pâque : « ils sont finis, les jours de la Résurrection », on ne le dit davantage, en conclusion du Temps pascal. Cela signifie qu’avec la Résurrection du Christ, tout le temps de l’homme devient pascal, car l’effet de Pâque se répercute sur les trois dimensions du temps, en aval et en amont du présent. L’histoire de l’homme et du cosmos se trouve prise dans ce mouvement pascal porté à son achèvement par le Christ, le Verbe de Dieu cheminant avec l’homme dans son histoire, pour le conduire à l’éternité de Dieu.