Marie, la croyante, est entrée la première, après son Fils Jésus, bien sûr, dans la Gloire du ciel, c’est ce que nous célébrons en cette fête de l’Assomption. Quel chrétien ne rêverait pas d’avoir une telle destinée ? Parvenir à la Gloire du ciel, on peut dire que c’est le but de la vie chrétienne. Le curé d’Ars ne s’y était pas trompé en disant au petit berger qui l’avait remis sur le bon chemin : « tu m’as montré le chemin d’Ars, je te montrerai le chemin du ciel. » Voilà sa mission toute entière résumée en une seule phrase : montrer le chemin du ciel. Mais il n’y a pas que les chrétiens qui rêvent de la Gloire du ciel, il en va de même pour tous les croyants de toutes les religions. On sait que pour encourager des islamistes à commettre des attentats, il leur est promis la Gloire du ciel en charmante compagnie !
Eh bien, puisque tous les croyants ont comme but ultime de partager la Gloire du ciel, Marie, la première à partager cette Gloire ne pourrait-elle pas devenir un pont entre tous les croyants ? Vous allez me dire, c’est mal parti parce que Marie est plutôt symbole de division à l’intérieur même des chrétiens entre catholiques et protestants. C’est vrai ! Mais nous avons tellement de choses en commun et localement, nous vivons une telle proximité que je ne désespère pas que nous puissions un jour nous expliquer sur ce sujet et nous rapprocher. Et puis les plus belles pages dans la littérature chrétienne de commentaire du Magnificat que nous avons entendu à la fin de l’Évangile, elles ont sans doute été écrites par Luther ! Quand les protestants revisitent leur propre tradition, ils sont obligés de reconnaître que leur durcissement vis à vis de Marie n’est pas conforme à la vérité de l’Évangile. Ce ne sont quand même pas les catholiques qui, pour justifier leur dévotion mariale, ont inventé cette phrase : toutes les générations me diront bienheureuses ! Un pas de leur part et pas du nôtre pour rééquilibrer certaines pratiques de la dévotion mariale et on avancera !
En tout cas, Marie est un pont avec les orthodoxes. Vous savez sans doute que les relations œcuméniques sont loin d’être simples entre catholiques et orthodoxes. S’il était besoin de s’en convaincre, il n’y a qu’à penser à l’impossibilité pour les papes successifs de se rendre à Moscou à cause du véto du patriarche orthodoxe. Mais tous les espoirs ne sont pas perdus, puisqu’une rencontre a eu lieu entre le pape François et le patriarche Cyrille de Moscou. En tout cas, dans ces relations difficiles, Marie est un pont. Elle est vénérée avec un infini respect dans l’orthodoxie, elle qu’on appelle la « theotokos » c’est à dire la Mère de Dieu. Marcher ensemble vers le Seigneur avec Marie comme guide, voilà qui peut resserrer nos liens avec les orthodoxes.
Mais au-delà de la chrétienté, c’est avec l’Islam que Marie devient un pont très important. Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin, il devient de plus en plus urgent de trouver des ponts avec l’Islam si nous ne voulons pas entrer dans une confrontation violente dans laquelle personne n’a rien à gagner. Eh bien, avec l’Islam, Marie peut remplir la mission de pont. Une simple anecdote pour nous faire pressentir combien Marie est importante pour les musulmans. En 630, lorsque Mahomet, détruisit les images des idoles, il étreignît une icône de Marie en disant « Effacez toutes les peintures, exceptée celle que protègent mes mains. » On sait en plus que le nom de Marie qu’ils appellent Maryam, en arabe, est cité à 34 reprises dans le Coran, c’est à dire plus que dans tout le Nouveau Testament.
Et il y a une sourate presque entière, la sourate 19, qui est consacrée à Marie, on l’appelle d’ailleurs dans l’Islam la « sourate de Marie ». Dans tout le Coran, aucune autre femme n’est nommément citée : ni la mère du prophète, ni son épouse, ni sa fille. Par contre de Marie, il est dit, entre autres choses : qu’elle a reçu « bonne nouvelle » d’une « parole » lui venant de Dieu (3, 45), qu’elle est donc devenue enceinte sans concours d’homme « sous l’action de l’esprit de Dieu. » Vous voyez donc à quel point Marie est importante.
Et il n’y a pas que dans le Coran, mais dans la vie des musulmans aussi, surtout pour les femmes. Je me rappelle, il y a quelques années, je faisais un pèlerinage en Turquie et on avait visité à Ephèse ce qu’on appelle la maison de la Vierge, cette maison dans laquelle St Jean aurait recueilli Marie. Eh bien, j’avais été frappé par le nombre de femmes musulmanes qui venaient visiter et prier dans cette maison. À Lourdes, selon les responsables du sanctuaire, les musulmans représentent 5% des pèlerins. Sur 6 millions de personnes qui passent chaque année, ça commence à faire pas mal de monde ! Enfin un dernier indice de la place de Marie dans l’Islam et donc de sa mission de pont avec les chrétiens, c’est ce qui s’est passé au Liban. Vous savez que le Liban est une nation dans laquelle il est nécessaire de respecter en permanence un difficile équilibre entre principalement les chrétiens et les musulmans. Dès qu’un camp s’estime maltraité, discriminé, il y a d’énormes problèmes. Eh bien quand il s’est agi de trouver une date qui convienne à toute le monde pour fixer le jour de la fête nationale, c’est le jour de la fête de l’annonciation qui a été retenu. Vous vous rendez compte, seule Marie pouvait mettre tout le monde d’accord !
Le pont avec le judaïsme est moins évident, mais quand même, Marie est juive et c’est par elle que Jésus est devenu juif. Vous savez en effet que ce sont les mères qui transmettent l’identité juive. Le père, on n’est jamais totalement sûr qu’il soit le père, par contre la mère, il n’y a aucun doute. C’est donc par Marie que Jésus était juif. C’est elle qui lui a appris les coutumes juives et surtout, c’est par elle qu’il a été baigné dans les Ecritures et la prière des juifs.
J’arrête là, mais vous voyez à quel point la place de Marie est essentielle pour l’avenir de l’humanité. C’est elle, parce qu’elle est vénérée par tous, qui nous empêchera de tomber dans une guerre de religion. Nous serions donc bien inspirés de développer des lieux de dialogue avec les autres chrétiens, avec les autres croyants en mettant ce dialogue sous le patronage de Marie. Puisqu’elle partage la Gloire du ciel et que, sur la Croix, Jésus a voulu qu’elle devienne la Mère de l’humanité, nul doute qu’elle saura nous montrer comment, à partir de chemins différents, nous pourrons tous parvenir au même but, empruntant ultimement le même chemin, celui de Jésus qui a dit : Je suis le chemin, la Vérité et la Vie. Oui, permets que tous les hommes soient, un jour, réunis pour partager la Gloire du ciel. Oh Marie, puisque tu ne veux pas que tes enfants continuent à se battre comme des chiffonniers, à se mépriser comme des adversaires intercède pour nous, plus que jamais, nous en avons besoin. Et nous t’adressons cette prière particulièrement pour notre pays, la France, en ce jour où nos évêques nous ont demandé de prier pour la France.
Père Roger Hébert