Homélie dimanche 22/08: « Il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. »

Vous vous rappelez sans doute de la verve de Georges Marchais, qui était alors responsable du parti communiste français. Quand il était interviewé, il avait l’art de ne jamais répondre aux questions qu’on lui posait, il avait même eu cette répartie extraordinaire à l’adresse d’un journaliste : vous, vous venez avec vos questions et moi, je viens avec mes réponses ! Il fallait oser ! Une autre fois, qu’il était interviewé, le journaliste n’en pouvait tellement plus qu’il lui a dit : « Alors posez-vous, vous-même la question intelligente à laquelle vous aimeriez répondre ! » Eh bien, quand on lit cet évangile, on se demande si Jésus n’utilisait pas la même tactique à l’égard de ceux qui lui posaient des questions. Vous avez entendu la question : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Et lui, il ne répond pas du tout à cette question. Mais il répond à une autre question qui lui semble autrement plus importante.

La question qui lui est posée porte sur le nombre des sauvés, et Jésus répond sur le « comment on peut être sauvé » ? Avouez qu’il a bien raison de déplacer la question, d’autant plus qu’il ne le fait pas comme les hommes politiques pour se sortir d’une situation embarrassante par une pirouette, il le fait pour préciser ce qui lui semble le plus essentiel. En effet, la question du nombre des sauvés n’intéresse que les témoins de Jéhovah ! Mais à propos du Salut, reconnaissons-le, il y a plus important comme question.

Car, le Salut, c’est bien la question essentielle que se posent les hommes. Nous fuyons souvent cette question, mais elle se réinvite régulièrement dans notre actualité quand nous participons à des funérailles, par exemple, ou quand nous sommes mis en présence de la mort comme nous l’avons été de manière si dramatique au cours de cet été avec les actes terroristes. Oui, qu’est-ce qu’il y a au bout de la vie ? Est-ce que l’injustice, la barbarie auront le dernier mot ? L’amour pourrait-il, contre toute attente, est vainqueur au bout du bout ? Toutes ces questions si essentielles, elles touchent toutes, d’une manière ou d’une autre, à la question du Salut. Avouez que ça vaut le coup d’y réfléchir un peu et que Jésus a bien raison de déplacer la question. Est-ce si important de connaître le nombre ? N’est-ce pas plus important de savoir comment y parvenir ? Alors, écoutons ce que Jésus nous dit sur le sujet.

Le premier point qu’il souligne, c’est que beaucoup, parmi ceux qui chercheront à entrer n’y parviendront pas. Alors là, ça peut commencer à nous inquiéter ! Parce que j’espère que vous êtes comme moi et que vous n’avez qu’un seul désir, c’est d’entrer dans la maison du Père éternel. Alors, que veut-il dire ? D’abord il ne dit pas que tous ceux qui cherchent à entrer n’y parviendront pas, mais il dit que beaucoup n’y parviendront pas, ce qui veut dire qu’il y en a qui réussiront. A travers ce que Jésus dit, il me semble entendre deux conditions pour réussir.

  • La 1° c’est qu’il y a une bonne attitude à avoir quand on veut entrer. J’imagine que vous n’êtes pas contents quand on cherche à vous passer devant à la caisse d’un magasin! Eh bien, ceux qui chercheront à entrer à la manière de ceux qui grillent la place de tout le monde aux caisses, ils n’y parviendront pas. Personne ne peut dire qu’il est plus digne qu’un autre et qu’il doit passer avant lui !
  • La 2° condition, c’est qu’il faut réussir le test de la porte étroite. Tous ceux qui seront encombrés ne passeront pas. Et qu’est-ce qui risque le plus de nous empêcher de réussir le test de la porte étroite ? Il y a bien sûr tout ce qui nous encombre dans nos richesses et que nous refusons de partager. Vous savez qu’on dit qu’on n’a jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard … et pourtant qu’il est difficile d’accepter de partager. J’aime cette réflexion d’une célèbre psychologue qui dit : « la mort ne nous prendra que ce que nous n’avons pas su partager. » Mais il y a encore autre chose qui peut nous encombrer, c’est la conviction que, nous, on mérite d’entrer. « Nous avons mangé et bu en ta présence et tu as enseigné sur nos places. » Il y en a qui pensent que s’ils ont leur carte des mérites dûment tamponnée, Dieu ne peut rien leur refuser, ni dans les demandes qui lui font, ni pour leur Salut éternel. Alors, ils cherchent à accumuler les bons-points, pas pour rendre le Bon-Diu heureux, pas pour faire du bien autour d’eux, mais pour cumuler des mérites et montrer que, puisqu’ils sont meilleurs que les autres,  rien ne pourra leur être refusé.

Entendons-nous bien, Jésus ne dit pas ces paroles énergiques pour nous fermer les portes du Salut, sûrement pas, c’est au contraire pour que les portes du Salut ne se ferment pas qu’il nous prévient qu’au Royaume, c’est le règne de la gratuité. Nul n’est plus digne qu’un autre et pourrait revendiquer une meilleure place, nul n’est plus méritant qu’un autre. Ce qui nous ouvrira les portes du Salut, c’est de reconnaître que nous sommes des petits, des pauvres, des pécheurs. Pour tous ceux qui oseront être assez humbles, par contre, les portes s’ouvriront largement.

Il m’arrive de temps en temps, pour les funérailles que je célèbre, de reprendre l’extraordinaire cérémonial qui avait été développé pour les funérailles de l’impératrice Zita, cette impératrice pour laquelle un procès de béatification est en cours. Voilà ce qui s’était passé lors de son enterrement à Vienne, le 1er avril 1989. On avait descendu le cercueil dans une crypte qui servait de caveau pour les monarques. Mais la crypte était fermée par une porte. Le responsable du protocole frappait à la porte de la crypte et de l’autre côté un officiant posait cette question : qui es-tu ? Le responsable au nom de la reine défunte répondait en disant : je suis Zita, reine de ce pays et elle déclinait tous ses titres de noblesse. L’officiant répondait alors : je ne te connais pas. Une deuxième fois, le responsable du protocole frappait à la porte de la crypte et à la même question qui était posée, une même réponse était apportée. Ce qui provoquait la même déclaration : je ne te connais pas. Alors pour la 3° fois, le responsable frappait à la porte, mais cette fois à la question : qui es-tu ? Il répondait tout simplement : je suis Zita, fille de Dieu. Alors l’officiant reprenant une phrase de l’évangile annonçait : entre dans la joie de ton maître ! Merveilleuse mise en scène pour nous faire comprendre que ce ne sont pas nos titres de gloire, nos mérites qui nous ouvriront les portes du ciel, c’est l’amour du Père qui nous donne gratuitement notre dignité de fils et de fille de Dieu.

Dès lors, on comprend mieux cette parole qui nous semble souvent énigmatique : « Il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. » Avouez que c’est plutôt encourageant car, qui peut dire qu’en matière d’amour de Dieu et d’amour des autres, il est toujours le premier de la classe ? Evidemment, il ne s’agit pas de chercher à être dernier, à se satisfaire de sa médiocrité ! Ce n’est pas le fait d’être dernier qui ouvre les portes de la maison du Père, sûrement pas ! Ce qui ouvre les portes, c’est, quand on est dernier, d’avoir assez d’humilité pour le reconnaître, devant Dieu et même devant les autres !

Père Roger Hébert