Homélie dimanche 27/09: Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu.

XXVIème DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE A

L1 : Ez 18, 25-28 ; Ps 25(24) ; L2 : Ph 2, 1-11 ; Evangile : Mt 21, 28-32

Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu.

Surprenante, stupéfiante, excessive, provocatrice,… frères et sœurs, pensez tout ce que vous voulez de la parole citée ci-dessus, elle sera sortie de la bouche de Jésus qui la dit, persiste et signe.

Parole de Jésus, elle est aussi Parole de Dieu, la Parole d’un Dieu tel que, autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant ses chemins sont élevés au-dessus des nôtres et ses pensées, au-dessus de nos pensées (Is 55, 8-9), comme nous le rappelle le Prophète Isaïe dans la première Lecture du dimanche dernier ; un Dieu tel qu’Israël, renversé dans sa logique toute humaine, l’attaque, trouvant sa conduite étrange ; un Dieu qui épouse la cause du pécheur tout en haïssant le péché, un Dieu qui
soutient l’opprimé tout en désirant la conversion de l’oppresseur. C’est ce Dieu qui, à travers son Fils Jésus, parle aux chefs des prêtres et aux anciens du peuple : Les publicains et les prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu.

Demandons-nous qui sont les publicains et les prostituées en question.
Dans la bouche de Jésus, ces deux termes n’ont rien d’abstrait. En effet, pendant sa vie publique, le Maître de Nazareth rencontre de nombreux publicains. Deux sont connus de nom : Matthieu et Zachée. Ces fréquentations lui attirent des remarques désobligeantes de la part des
Pharisiens (cf. Lc 15, 2). Pareillement, quoique Rabbi juif, Jésus ne se dérobe pas au contact avec des prostituées (cf. 7, 36-50) qui, elles aussi, marquent l’histoire du nom emblématique de Marie-Madeleine. Mais il semble aussi que Jésus entende aussi résumer sous ces deux termes de publicains et de prostituées l’ensemble des hommes et des femmes qui ne se conforment pas aux commandements de Dieu. Je crois aussi qu’il y inclut tous ceux que nous estimons pécheurs selon nos critères personnels ou sociaux, ceux que nous méprisons sans connaître leur histoire, que nous condamnons sans établir leurs fautes, ceux auxquels nous nous comparons pour nous trouver meilleurs qu’eux. Mais si nous le sommes, est-ce normal qu’ils nous devancent dans le Royaume de Dieu ?

Dans le Royaume que Jésus vient instaurer, cela semble bien possible, car il y accueille les pécheurs et en rejette les justes. Mais qui sont les justes, et qui sont les pécheurs ? Les justes, ce sont
ceux qui s’estiment tels parce qu’ils observent les commandements, paient la dîme, jeûnent deux fois par semaines (Lc 18, 12), sont irréprochables et se permettent de mépriser les autres. Au total, ce sont
des “justes” entre griffes, justes à leurs propres yeux. Les pécheurs par contre, ce sont ceux qui, au plus secret de leur conscience, ont des choses à se reprocher au niveau de leur conduite, qui désirent faire mieux et demandent pardon à Dieu : mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis (Lc 18, 13).

Il est toutefois exclu que Jésus encourage le statut du pécheur comme tel, car le péché qui appartient aux ténèbres ne saurait conduire à son Royaume de lumière. Cependant le repentir du pécheur et le Sang de Jésus effacent le péché. C’est à ce niveau qu’il se produit un renversement tel que par sa conversion, le pécheur peut écarter la menace du châtiment ; par sa faiblesse, le juste peut contrarier son droit à la récompense 1 . Alors le pécheur repentant devient juste, et les soi-disant justes classés parmi les hypocrites.

Hypocrites sont de fait ceux-là dont le oui recouvre le non, comme le deuxième enfant dans l’évangile de ce jour. Le Seigneur même décrit les hypocrites en termes de ceux qui disent et ne font pas (Mt 23, 3). Qui sont-ils précisément ?

Pour ne pas me trouver à être hypocrite moi-même, je propose que chacun s’examine soi-même. Que, par exemple, moi, prêtre, je voie si, par hasard, je ne me trouve pas à réciter des prières sans pour autant prier ; si, pour parler en images, je ne fais pas paître les brebis du Christ pour me nourrir de leur lait et me vêtir de leur laine. Chacun peut chercher à savoir si ses différents engagements chrétiens reviennent à une authentique recherche du Royaume de Dieu et non à quelconque forme de recherche de soi. Chacun pourrait chercher à savoir auquel des ces deux enfants de la parabole il s’identifie, et vérifier la qualité de son oui ou de son non, en pensant à la Parole du Seigneur : que votre oui soit oui, que votre non soit nom (Mt 5, 37).

Mais cette parabole peut nous conduire encore à un autre niveau de compréhension si l’on remarque que c’est Matthieu seul qui la rapporte. Cela ne peut être un effet de hasard. En effet, Matthieu le publicain ne peut jamais oublier cette rencontre unique avec un certain Jésus de Nazareth, aux portes de Capharnaüm. Ce jour-là, il ne peut se soustraire au charme de l’inconnu, ni lui résister quand il lui dit de but en blanc : suis-moi (cf. Mt 9, 9). C’est le grand tournant de sa vie. Comment
Mathieu ne se sentirait-il pas concerné quand, dans la parabole, Jésus fait entrer le publicain dans le Royaume ?

C’est cette grande joie du salut que l’Evangéliste partage avec sa communauté primitive où cohabitent Juifs et Hellénistes, où les Juifs se targuent d’être les premiers à dire oui à Dieu en concluant avec lui l’Alliance du Sinaï, où les mêmes Juifs oublient qu’ils avaient tellement méconnu en Jésus le Messie qu’ils l’avaient fait crucifier par Ponce Pilate. Par contre, tard venus à la foi parce qu’ils avaient d’abord dit non, les païens, par la conversion, remplissent parfaitement les critères de
l’entrée dans le Royaume, et Jésus les y accueille à bras ouverts. Elle est vraiment étrange la conduite de Dieu ! Mais, vous revient-il de le corriger ?

1 MAERTENS T., FRISQUE J., Guide de l’Assemblée chrétienne, Casterman, 1970, Tome VII, p. 131.